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«Une hécatombe programmée s’annonce à Mayotte»

Entretien avec le député (LR) de Mayotte Mansour Kamardine.  


«Une hécatombe programmée s’annonce à Mayotte»
Maternité de Mamoudzou (Mayotte). SIPA/ DUPUY Florent. Feature Reference: 00623885_000012

Département d’outre-mer en plein Océan indien, l’île de Mayotte n’est absolument pas en mesure d’affronter l’épidémie de Covid-19. Avec seize lits de réanimation pour 400 000 habitants, l’Etat qui engage des moyens insuffisants et le risque d’une vague migratoire supplémentaire de Comoriens malades, l’hypothèse d’un effondrement sanitaire grandit de jour en jour. Le député (LR) Mansour Kamardine sonne le tocsin et appelle le gouvernement à agir. Entretien.


Daoud Boughezala. Jusqu’à présent, seuls onze cas de Coronavirus ont été détectés sur les quatre cent mille habitants de l’île de Mayotte. Pourquoi craignez-vous l’effondrement du système de santé local ? (Mise à jour : dimanche 22 mars,  à Mayotte, un médecin de ville ainsi qu’un médecin hospitalier ont été contrôlés positifs au coronavirus)

Mansour Kamardine. La propagation de l’épidémie de coronavirus est plus fulgurante à Mayotte qu’en métropole. En effet, le nombre de cas avérés a été multiplié par onze en exactement une semaine. Or la détection médicale à Mayotte est plus faible que dans n’importe quel autre département français compte tenu d’un nombre de médecins de ville par habitant vingt fois inférieur à la moyenne nationale. L’épidémie progressera sournoisement et sans bruit pour encore quelques jours, puis, soudainement, à très court terme, saturera brutalement les capacités de réanimation du Centre hospitalier de Mayotte qui ne compte que 16 lits de réanimation pour 400 000 habitants. Entre le premier cas détecté le 14 mars et la saturation des capacités hospitalières, il ne se passera qu’environ deux semaines. Alors qu’en métropole on espère encore éviter la saturation des capacités de réanimation plus de deux mois après le premier cas détecté, à Mayotte, les praticiens hospitaliers annoncent déjà une inadéquation extrême entre les capacités de soins et les besoins, une semaine seulement après le premier cas détecté.

Or Mayotte est une île située à plus de 9 000 kilomètres de la métropole dans un environnement régional qui n’a pas les capacités de lui venir en secours, y compris l’île de La Réunion, située à 1 400 kilomètres et qui doit également faire face à l’épidémie.

De plus, le terreau urbain à Mayotte est extrêmement favorable au développement de l’épidémie. En effet, promiscuité et insalubrité caractérisent une partie importante des zones d’habitation. Selon les données de l’Insee, 54% de l’habitat est insalubre. Pire, 29% des habitations n’ont pas l’eau courante. De plus, la concentration humaine, notamment d’enfants et de jeunes gens, dans les cases en tôle des bidonvilles rend quasi impossible l’application des consignes de sécurité sanitaire, notamment la distanciation physique des individus.

Enfin, comme dans de nombreux endroits de France, les masques chirurgicaux, les masques FFP2, les gants blouses lunettes de protection et les produits aseptisant manquent déjà à l’hôpital.

Tout cela, le gouvernement le sait parfaitement. Or il a annoncé qu’il n’y aurait pas de moyens supplémentaires pour les collectivités d’Outremer. C’est donc bien une hécatombe programmée qui s’annonce. Il nous reste exactement une semaine pour l’éviter selon les praticiens de l’hôpital eux-mêmes, ce qui nécessite des décisions immédiates pour avoir le temps d’acheminer des renforts et des moyens supplémentaires à 9 000 kilomètres de Paris.

La fermeture des cafés, restaurants, cinémas, théâtres, universités et musée est-elle appliquée à Mayotte comme en métropole ? Les Mahorais sont-ils également confinés chez eux pour endiguer l’épidémie ?

Après une tergiversation incompréhensible en ce qui concerne la fermeture des écoles, les règles en métropole s’appliquent désormais également à Mayotte. L’île fonctionne donc en mode de service minimum avec ordre de confinement des personnes selon les mêmes règles qu’ailleurs sur le territoire national. La fréquence des barges de transport collectif entre Petite-Terre et Grande-Terre est fortement réduite, tout comme celle des avions de et vers La Réunion et la métropole. Avec un petit décalage au départ, la fermeture des cafés, des restaurants, de l’unique cinéma, de l’université et des quelques rares musées est effective. Les plages et le lagon sont interdits de fréquentation, les cérémonies sont reportées, les lieux de cultes sont fermés notamment les mosquées, les forces de l’ordre interviennent pour faire respecter les règles et commencent à verbaliser les contrevenants.

Néanmoins, la faiblesse des effectifs de police et de gendarmerie fait planer le risque d’un relâchement des pratiques, notamment dans les zones à forte concentration de population, en particulier de la part d’une jeunesse qui doit ressentir péniblement le confinement (55% des habitants a moins de 20 ans). Les risques de débordement sont donc patents. S’ajoutent à cela les 10 000 à 15 000 jeunes livrés à eux-mêmes, souvent sans encadrement familial, vivant dans un habitat précaire et dans l’instabilité sociale. Au-delà des risques sanitaires, nous sommes donc également confrontés à Mayotte à d’importants risques de troubles à l’ordre public. Je crains un véritable effondrement des capacités régaliennes de l’État. C’est pourquoi le renforcement sensible des forces de maintien de l’ordre et la mobilisation coordonnée des forces militaires sont des impératifs urgents.

Quelles mesures l’État a-t-il prises pour combattre le Covid-19 à Mayotte ?

La seule mesure spécifique est une initiative de l’Agence Régionale de Santé qui a installé il y a quelques jours un filtrage des passagers à l’aéroport consistant à prendre la température, à demander aux passagers s’ils souffrent de symptômes du coronavirus et à leur remettre un formulaire d’information. Cette initiative arrive trop tard puisque le virus circule déjà à Mayotte et que les porteurs asymptomatiques sont nombreux.

Le gouvernement n’a donc pris aucune mesure pour protéger Mayotte de l’épidémie, alors qu’il y a moins de deux semaines l’île n’était pas touchée et qu’il était aisé de contrôler l’importation du virus à partir des trois seuls points d’entrée à Mayotte que sont l’aéroport de Pamandzi, le port de passagers de Dzaoudzi et le port de marchandises de Longoni. Avant l’arrivée du coronavirus, j’ai demandé en vain la mise en œuvre de mesures de sécurité sanitaire strictes appliquées aux acteurs locaux des trois zones aéroportuaires et la pratique de tests systématiques pour les arrivants à Mayotte. Je regrette que le gouvernement ne m’ait pas écouté. Je le regrette d’autant que cela signifie qu’il ne tire pas les conséquences de l’échec criant de sa stratégie en métropole, ni même les conséquences de la réussite à maîtriser l’épidémie de certains pays comme la Corée du Sud et le Japon qui ont pourtant étaient touchés par le coronavirus avant la France. Il n’est même pas tenu compte des recommandations de l’OMS !

Globalement, que vous inspire la gestion de la crise au sommet de l’Etat ?

Depuis deux mois, l’exécutif multiplie les injonctions contradictoires. Il est incompréhensible qu’il institue à la fois le confinement d’une partie de la population et pousse en même temps des millions de Français à travailler à l’extérieur, dans des secteurs non essentiels, les exposant de fait à un réel risque de contamination pour eux et pour leurs familles qui sont confinées. Là est le principal vecteur actuel de contamination en métropole. Le gouvernement ne pourra durablement faire porter le chapeau aux personnes confinées qui vont prendre l’air dehors et se dégourdir les jambes pour masquer sa responsabilité dans les contaminations des actifs du secteur privé et de leurs familles. Le double discours doit cesser. L’amateurisme et la légèreté doivent laisser la place à l’action résolue et efficace. L’ensemble des activités non essentielles exigeant de sortir du confinement doivent être stoppées pour briser la dynamique épidémique en métropole et la ralentir outremer.

Je demande en urgence absolue pour Mayotte l’envoi d’équipements de sécurité sanitaire par fret aérien, d’un navire hôpital, d’un stock de chloroquine et d’azithromycine, de tests rapides portables de détection en nombre, d’un bâtiment de souveraineté de la Marine Nationale et de plusieurs centaines de personnels des forces de l’ordre.

Au-delà du seul cas de Mayotte, le gouvernement engage-t-il suffisamment de moyens contre la progression du Covid-19 dans les autres Dom-Tom ?

Non. Le gouvernement semble avoir décidé de sacrifier les ultramarins. En effet, il refuse de renforcer les moyens des collectivités d’Outremer alors qu’elles sont déjà les moins bien dotées de la République, faisant le pari que la saturation des capacités médicales outremer n’arrivera qu’après la décrue des besoins de mobilisation en métropole. Or il est établi que les capacités hospitalières outremer seront saturées dans plusieurs territoires avant même que le pic de l’épidémie soit atteint en métropole. C’est le cas à Mayotte où l’épidémie aura débuté sept semaines après son début en métropole, mais qui subira une paralysie de son système de santé alors que des lits de réanimation seront encore disponibles en métropole. Gouverner c’est prévoir. En la matière, avec deux mois de recul, le gouvernement n’a pas su gouverner. Face à l’agitation médiatique de la crise en métropole, il n’est pas acceptable que les territoires les plus fragiles de la République soient sacrifiés dans le huis-clos et le silence par des gouvernants qui connaissent la situation. Je refuse que le gouvernement abandonne les 400 000 habitants de Mayotte au même sort que celui qui a été réservé aux pensionnaires de l’EHPAD de Thise dans le Doubs et dont même la mémoire a été effacée pour amenuir les glaçantes statistiques des victimes du coronavirus. Errare humanum est, sed perseverare diabolicum.

L’immigration clandestine en provenance des Comores voisines se poursuit-elle malgré les progrès du Corona ?

Malheureusement, des kwassas chargés de clandestins continuent d’arriver à Mayotte en provenance de l’Union des Comores. Ils ne sont plus interpellés depuis que le centre de rétention administrative a été fermé et que les expulsions ont été stoppées. Les autorités comoriennes ont saisi le premier cas déclaré de contamination à Mayotte pour décider, de nouveau, de bloquer la réadmission de leurs ressortissants. De plus, l’épidémie débute parallèlement aux Comores voisines, ce qui risque d’entraîner une très importante vague migratoire vers Mayotte. Là encore, le gouvernement le sait mais n’en tire pas les conséquences en matière de renforcement de la marine nationale, ni de renforcement des effectifs de police aux frontières, ni en termes de création de structures d’accueil et de confinement à terre. Cette inertie coupable risque d’entraîner d’inévitables tensions communautaires, les Mahorais qui sont déjà minoritaires chez eux n’en pouvant plus.

Mayotte est assise sur un volcan et a vécu un tremblement de terre de magnitude 5.3 samedi. Les esprits sont inquiets car Mayotte tremble d’être entraînée dans la spirale diabolique de trois crises s’alimentant dangereusement les unes avec les unes. L’effondrement des capacités hospitalières risque d’entraîner un effondrement général de l’État à Mayotte favorisant une vague migratoire qui attisera le risque d’embrasement communautaire généralisé. Une tragédie humaine est devant nous. Il reste quelques jours au gouvernement pour l’éviter.



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