L’été est la saison idéale pour (re)voir les nanars du roi de la discipline : Max Pécas. Louée soit l’invention du DVD.
L’ennui est un puissant aphrodisiaque surtout lorsque vous habitez loin des plages. Les étés à la campagne ont une langueur monotone, aussi poussive qu’une mobylette à l’assaut d’une côte de quatrième catégorie. Les maisons sentent l’encaustique et la lavande en sachets. L’herbe jaunie a envahi les prairies. À partir de midi et demi, la place du village cuve son mauvais vin dans une léthargie inquiétante. Pas âme qui vive dans un rayon de dix kilomètres. Le canton somnole et repense à sa gloire passée quand la coopérative agricole animait le bourg. Elle a fermé depuis vingt ans comme l’école publique et la caserne de gendarmerie. Même les grands-mères ont remballé leur cabas à cette heure de la journée. L’épicier ambulant a remisé sa camionnette au garage. Le patron du bar pense revendre sa licence IV et s’exiler en ville. Le curé rafistole la toiture de l’église sans l’aide de ses ouailles.
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Aujourd’hui, la foi est un plat qui se mange froid. Le médecin est parti aux Baléares en laissant ses patients aux soins des lointaines Urgences. Le maire refait ses comptes, la fin d’année risque d’être difficile. Les touristes ne sont pas encore venus malgré l’offensive du syndicat d’initiative. La campagne de publicité lancée dans le journal local n’aura attiré qu’une famille de Hollandais qui, après vérifications, s’est retrouvée par hasard dans notre bled, à cause d’une erreur de GPS. Cette saison n’en finit donc pas comme certains quinquennats. Les foins voltigent dans les airs et provoquent des éternuements en rafale. Seules les moissonneuses-batteuses bloquent les routes avec méthode et amusement. Des colonnes de tracteurs s’élancent sur les départementales en rejouant le Débarquement. Les paysans ragaillardis sortent de leurs étables après plusieurs mois d’hibernation. Et dire que le comice agricole n’aura lieu que dans sept ans. Le bitume fond au soleil. Toute tentative de bouger est vouée à l’échec.
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Sous un ciel d’enfer, le vélo, le ping-pong ou le croquet sont bannis. Ce jeune rural en déshérence attend sagement sa majorité pour aller voir ailleurs. Sans le permis de conduire, c’est un prisonnier qui occupe ses heures vides à tourner en rond et à sucer des bâtonnets de glace. En une semaine, il a vidé le congélateur et lu deux SAS, un Léo Malet et un San-Antonio. En parcourant le programme télé, il a vu que ce soir, la trilogie de Max Pécas (Les Branchés à Saint-Tropez, Deux Enfoirés à Saint-Tropez et l’inénarrable On se calme et on boit frais à Saint-Tropez) repassait pour la centième fois sur une chaîne de la TNT. Il devait avoir treize ou quatorze ans quand il a fait connaissance avec ce cinéaste balnéaire, ce Pagnol du nanar sous cagnard. Ce fut un choc esthétique. La gaudriole des parasols avait trouvé son maître à filmer. Il y a chez Pécas un côté kamikaze qui frise l’art et essai et qui défrise les intellos de la vidéo. Une tentative désabusée et magnifique de jeter sur pellicule tout ce qui d’habitude est interdit, proscrit par les guildes professionnelles. Pécas brise les diktats du scénario bétonné, de l’image léchée, du jeu millimétré, d’une forme de linéarité relativement ennuyeuse.
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Ça flotte, ça tangue, ça joue mal sans que le plaisir de voir et revoir ces œuvres érotico-comiques ne diminue. On est toujours surpris par l’incongruité du propos, la balourdise des répliques, les poses exagérées qui feraient passer Jerry Lewis pour le frère jumeau du mime Marceau. En un mot, ça dégouline de partout, on ressort de cette expérience visuelle le corps barbouillé d’huile solaire et la bouche pâteuse. Trop de barbe à papa. Trop de déconnade. Trop de maillots de bain. Voir un Pécas au creux de l’été, c’est se jeter à poil dans une sangria fraîche, bien poisseuse, alcoolisée à la limite de l’entêtement.
Ce documentariste des vacances fantasmées où le rigolo s’allie à la bimbo n’a aucune limite. Il laisse le bon goût aux chipoteurs, à tous ces cinéphiles frustrés qui pensent le cinéma comme on résout une équation mathématique. Il n’intellectualise pas. Il ne reste jamais sur la réserve. Il balance tout dans une démarche artistique aussi suicidaire que débonnaire. Il filme, de préférence, des filles en topless et string saillant sur le sable, au Club, dans un cabriolet ou en boîte de nuit. Son domaine d’intervention nous change du décor blafard et misérabiliste du cinéma engagé. Pécas est dégagé de toute responsabilité. Sa citoyenneté s’arrête au bord de la piscine.
Ce mateur a posé ses valises dans des villas confortables. Il laisse les cahutes souffreteuses aux architectes du 7e art. Il ne pratique pas un cinéma militant à tendance inquisitoriale qui culpabilise le spectateur. L’éros plutôt que le pathos, la fesse plutôt que l’artefact. La souffrance ouvrière, les terrils du Nord et l’introspection n’ont pas droit de cité dans ses génériques. Pécas ne s’aventure guère en dehors des frontières du Var. Durant les années 1980 il installe ses équipes techniques dans le Midi à l’ombre des cyprès et des voyeurs. Il est vrai qu’en regardant de trop près sa filmographie, on risque plus un coup de soleil qu’une méningite. Ce cinéma-là, quasi expérimental, tellement foutraque et hors-sol, a des vertus apaisantes. Il calme les nerfs. Il ne demande aucun effort. Il se déguste à la fainéante, affalé sur un sofa, un verre à la main. Dire qu’on rit aux éclats serait quelque peu exagéré. On est parfois gêné par la tournure de certaines scènes, un comique troupier avec quelques relents de bidasseries, l’angle boulevardier l’emporte toujours sur le sérieux des événements. Aucune logique n’est à chercher. Aucun second degré. Aucun message subliminal. Pécas est transparent comme l’eau de roche. Il pourrait s’économiser, éviter de tomber dans le pathétique grossier, il s’y refuse obstinément. Cette force de caractère inspire un profond respect. On l’aime pour ses foucades. Il ne recule devant aucune pochade. Il saute à pieds joints dans la farce. Sa morale se résume à l’un de ses titres : mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu.
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Pécas a inventé le divertissement filmé du point de vue du parasol. Le transat comme angle de vue. Le sable fin comme horizon. L’esprit débarrassé des injonctions actuelles à bien se comporter en société. Le charme de ces films de vacances réside dans le choix des actrices piquantes. La starlette s’ébat avec volupté dans ce cinéma de godelureaux. Des filles naturelles qui refusaient le bistouri et les modifications mammaires. Nous regardons cette déambulation de poitrines non refaites comme le témoignage vibrant d’un monde sans artifices. Un paysage d’une beauté originelle que la main de l’homme n’aurait pas encore sali ou trahi. Elles s’appelaient Victoria Abril en minishort rouge à l’accent chantant, Olivia Dutron fausse ingénue et vraie bombe atomique, Alexandra Lorska coco-girl touchante ou Caroline Tresca brune spirituelle et tête-à-claques craquante. Perdu dans sa campagne, le jeune garçon regarde toutes ces créatures bronzées s’agiter sur son écran dans d’improbables quiproquos. Il se dit qu’il n’est pas sorti de l’auberge, encore deux mois de vacances à tuer. Mais que sans Pécas dans le poste, son supplice serait encore plus long.
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