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Le poète assassiné


Le poète assassiné
Portrait de Max Jacob, par Modigliani (Wikipédia)
Modigliani Max Jacob Cocteau Lina Lachgar
Portrait de Max Jacob, par Modigliani (Wikipédia)

« Aryens ». « Conjoints d’aryens ». « Femmes d’aryens ». « Demi-juifs ». « Quart de juifs »… Au camp de Drancy, en 1944, les personnes internées, après avoir déposé leurs biens précieux à la baraque de fouille, sont envoyées dans leur chambre par plusieurs escaliers – vingt-deux en tout –, triés selon la race. Arrêté par la Gestapo le 24 février à Saint-Benoît-sur-Loire, Max Jacob, soixante-sept ans, arrive à Drancy après avoir passé quatre jours dans la sinistre prison militaire d’Orléans. On lui attribue un lit au quatrième étage, escalier 19 ; puis, presque aussitôt, il reçoit une étiquette verte. Elle signifie qu’il sera du prochain convoi pour la Pologne.

« Les enfants se moquent de mon étoile jaune »

« On le jeta dans une des chambres glaciales réservées aux déportables, raconte Julien J. London, et ce changement lui fut fatal ». Max Jacob est en effet malade ; il respire mal et vomit. A l’infirmerie, les médecins diagnostiquent une pneumonie. L’écrivain Yanette Delétang-Tardif, internée à ses côtés, se souvient : « Il ne parlait presque pas. Il ne demandait rien. Il ne souffrait pas. Il était si loin de nous qu’il n’avait rien à dire. Il priait ». Max Jacob meurt le 5 mars, deux jours avant le départ du convoi n°69 qui conduit 1501 personnes à Auschwitz. Ses amis, dont plusieurs ont tout tenté pour le libérer, n’apprennent sa disparition qu’après plusieurs jours. Eluard, Mauriac, Reverdy, Cocteau, Paulhan, Queneau ou Picasso se presseront le 21 mars à l’église Saint-Roch de Paris, pour une messe à sa mémoire.

Lectrice passionnée de Max Jacob à qui elle a consacré deux récits (Les Pantoufles de Max Jacob en 2001 et Max Jacob et Mademoiselle Infrarouge en 2012), Lina Lachgar a recueilli dans Arrestation et mort de Max Jacob de nombreux témoignages et récits sur les dernières semaines du poète. Elle les restitue tels quels, sans commentaires ni « littérature », sauf une courte introduction pour rappeler l’admiration qu’elle lui voue et la place qu’il occupe dans la littérature moderne. Entre le 4 janvier 1944, date de l’arrestation de la sœur cadette de Max Jacob, et le printemps 1949, date du transfert de la dépouille de ce dernier à Saint-Benoît, elle reprend ainsi tous les événements, note les menus détails, confronte les récits ; elle corrige au passage certaines légendes infondées, en particulier sur Cocteau, accusé parfois de n’avoir pas assez fait.

La polémique à ce sujet avait rebondi en 2011, lors de la diffusion sur Arte du téléfilm de Gabriel Aghion, Monsieur Max, d’après un scénario de Dan Franck fort hostile à Cocteau. « N’en déplaise à certains, note Lina Lachgar, ce fut bien ce dernier qui “mobilisa les énergies” pour sauver Max Jacob », notamment à travers sa lettre au diplomate allemand von Bose pour qu’il intercède en faveur du poète. Précis, sobre, riche en photographies et documents (fiche d’identité, constat de décès, jusqu’à l’étoile jaune que portait Max Jacob en 1942), ce poignant petit livre-dossier, paru en 2004 pour le soixantième anniversaire de la mort du poète, est aujourd’hui réédité. Bien des éléments qu’il rapporte vaudraient d’être cités. Contentons-nous d’une phrase, l’une des dernières du poète, presque mort déjà : « Je suis avec Dieu ».

Arrestation et mort de Max Jacob de Lina Lachgar (La Différence, 142 p., 15 €)

Arrestation et mort de Max Jacob

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