« C’est la vengeance de Dreyfus ! » Les livres d’Histoire retiennent ainsi l’exclamation de Charles Maurras à l’annonce de sa condamnation par la Haute Cour de Justice de Lyon, le 28 janvier 1945, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie de l’infamante indignité nationale dont on reparle ces jours-ci. L’académicien, gloire célébrée par toute une génération intellectuelle bien au-delà des rangs monarchistes, fondateur de l’Action française, est alors accusé d’actes d’intelligence avec l’ennemi. L’objet du délit ? Il est rappelé avec une rigueur et une froideur professionnelle par Jean-Marc Fédida dans L’affaire Maurras : les éditoriaux que le patron de L’Action Française écrivit entre 1940 et 1943, appelant tantôt au rétablissement de la peine de mort systématique pour les communistes, tantôt au meurtre des gaullistes, livrant çà et là avec noms et force détails des Juifs – coupables à ses yeux de tous les maux et en premier lieu de celui du nazisme et de la défaite de 1940 – au bon vouloir de son lectorat. Voilà pour l’exposé des faits, que le procureur eut bien du mal à achever, interrompu par un monologue de plus de sept heures dans lequel l’accusé ferrailla uniquement sur le terrain des idées sans un regard sur les faits incriminés
Les mots font-ils plus de mal que les balles ? Métaphoriquement, c’est incontestable. Mais en temps de guerre, doit-on d’abord blâmer les discours exaltés ou la réaction d’un auditoire chauffé à blanc qui se montre particulièrement réceptif ? Ou les deux, c’est à dire celui qui parle et ceux qui l’écoutent. Savoir si la responsabilité incombe au donneur d’ordres ou aux exécutants est une question qui ne trouvera jamais de réponse univoque. Celle que fournit le tribunal de Lyon en janvier 1945 ne devait en rien faire jurisprudence. Comme n’a cessé de le rappeler son président, le procès Maurras est celui des faits, non des idées, n’en déplaise à l’accusé. Seuls les faits furent examinés, sans une considération pour les « théories politiques » de ce dernier.
Et il fut décidé, laconiquement, que dans les colonnes de l’Action Française se trouvaient de véritables actes de collaboration. A ces mots, Maurras déstabilisé rejeta la responsabilité sur les seuls exécutants, prétendant n’être qu’une voix : celle d’une idéologie complexe à laquelle il s’agrippa de manière délirante jusqu’au bout, puisqu’il rédigea pas moins de sept ouvrages en prison, sans la moindre remise en question.
Il se flattait de manier la rhétorique comme un sabre, et à bien des égards ne se méprenait pas. Mais sa passion pour la Fille aînée de l’Eglise, la France des clochers et des rois catholiques, dépassait de loin la raison. Dans une extase frisant l’érotomanie, il prétendait être le seul amant de la langue française, violée impunément par ses adversaires politiques. La République lui cracha au visage pour toute réponse, lui refusant le droit de mourir debout. L’Académie française, quant à elle, déclara le fauteuil de Maurras vacant et réserva à l’épée de l’Immortel le même sort qu’à celle du capitaine Dreyfus.
Elle la brisa.
Jean-Marc Fédida, L’affaire Maurras, L’Âge d’homme.
*Photo : wikicommons.
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