Quand Arnaud Montebourg lui a proposé de racheter l’usine Goodyear d’Amiens, Maurice Taylor aurait pu se contenter de dire « non » poliment. Mais le PDG du fabricant américain de pneus Titan (qui arbore de surcroît un prénom tellement de chez nous) a préféré opposer un niet brutal et méprisant au ministre du Redressement productif.
Si Maurice Taylor peut se mettre à dos des millions de consommateurs potentiels, les Français n’ont plus les moyens de se mentir. L’état de notre économie et la faiblesse de notre appareil productif relèvent de l’urgence. Nous n’en continuons pas moins à nous bercer de contes de fées.
Certes, les salariés français ne sont pas des « fainéants » et leur journée de travail type ne ressemble évidemment pas à la caricature qu’en fait M. Taylor – trois heures de travail une heure de pause-déjeuner, trois heures de bavardage avec les copains, le tout grassement payé. Ceci dit, certains contre-arguments avancés pour réfuter les accusations de Taylor sont loin de refléter la réalité de notre compétitivité.
Ainsi, sur le Huffington Post, Anne Sinclair observe que « si le salaire minimum horaire est de 9,43 euros en France, et qu’il n’est que de 5,40 équivalents euros aux États-Unis […], la productivité française est une des meilleures du monde. Si les Américains travaillent plus, ils ne travaillent pas mieux ». Cette affirmation est parfaitement conforme aux chiffres de l’OCDE. Avec une productivité horaire de 57,7 dollars en 2011, la France occupe la septième place du classement, derrière la Norvège (81,5 dollars), l’Irlande (66,4 dollars) ou les Pays-Bas (59,8 dollars)… loin devant les Allemands (44 dollars).
Mais bien qu’exacts, ces chiffres sont trompeurs, et même inquiétants en ce qu’ils illustrent l’un des principaux fléaux de l’économie française, que médias et politiques dénoncent à grands cris – les délocalisations.[access capability= »lire_inedits »] Eh bien, plus on délocalise, plus la productivité augmente ! Tout simplement parce que les entreprises délocalisent généralement des activités à faible productivité (« call centers », tâches informatiques élémentaires, etc.) tandis que les sièges sociaux restent en France avec leurs employés peu nombreux et très productifs. Comme l’atteste un rapport du Sénat, « les comparaisons internationales sont faussées : la productivité des pays qui, comme les États-Unis, délocalisent relativement plus, donc délocalisent des activités moins productives que la moyenne, est dopée relativement à celles des pays qui délocalisent moins ». En d’autres termes, l’entreprise France se conduit comme un lycée qui s’enorgueillirait d’un excellent taux de réussite au bac… en « éliminant » ses élèves médiocres avant la terminale.
La compétitivité du secteur privé n’est pas seule en cause. Faute de pouvoir mesurer l’activité des fonctionnaires par des données sonnantes et trébuchantes, l’usage est de calquer la production sur les coûts salariaux. Autrement dit, dans des secteurs comme la santé ou l’éducation, il suffit d’augmenter les salaires pour mécaniquement améliorer la productivité, puisque le même nombre de personnes travaillant le même nombre d’heures « produit » plus. Statistiquement.
Je noircis le tableau ? Peut-être. Certes, des groupes étrangers continuent à investir en France. Mais là aussi, le diable se cache dans les détails : l’Agence française pour les investissements internationaux déplore la stagnation des implantations d’entreprises étrangères depuis six ans. Pis encore, le nombre d’emplois générés par ces investissements a diminué de 25% en cinq ans, passant de 40 000 en 2006 à 30 000 en 2011.
Dans cette myriade de chiffres, comment distinguer la « bonne » productivité de la « mauvaise » ? Certains recommandent d’examiner le niveau d’investissement dans la recherche-développement. Hélas, dans ce domaine aussi, les performances tricolores laissent à désirer. Malgré les progrès accomplis ces dernières années dans ce domaine, avec un niveau d’investissements en R&D correspondant à 2,25% du PIB en 2011, la France reste loin de l’Allemagne (2,8%), voire de l’objectif qu’elle s’est assignée en 2000 : 3% pour 2010. Et le fossé avec l’Allemagne s’accentue encore davantage à l’examen du nombre de brevets déposés. Pendant que nos voisins déposaient 39,9% des brevets européens en 2010, nous nous contentions de 14%.
À négliger l’innovation, nous sommes aujourd’hui doublement punis. D’un côté, en attendant d’améliorer réellement notre compétitivité, nous sommes condamnés à gagner du temps en baissant le coût du travail pour être moins chers faute d’être meilleurs. De l’autre, nous nous exposons aux quolibets d’individus comme Maurice Taylor. Deux bonnes raisons de se réveiller.[/access]
*Photo : Caméra Café.
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