Daoud Boughezala. Vous êtes sorti du Conservatoire national d’art dramatique en 1966, arrivé 2e prix en théâtre classique, 1er en moderne au milieu d’une sacrée promotion d’acteurs. Êtes-vous resté lié à vos anciens condisciples ?
Maurice Risch. J’ai arrêté mes études en deuxième année, alors que le Conservatoire se faisait normalement en trois ans. Avec Michel Creton, on a eu nos premiers prix ensemble. Il n’y a pas longtemps, j’ai tourné avec Patrick Chesnais, ça nous a fait plaisir de nous revoir. En même temps que moi, il y avait une belle équipe – Catherine Hiegel, Annie Duperey, Bernard Giraudeau –, mais j’ai gardé des amitiés avec des camarades de promotion moins en vue. Avec Patrick Préjean, que je revois régulièrement, on a fait pas mal de choses ensemble comme les Gendarme…
… aux côtés de Louis de Funès qui vous a fait jouer dans Le Grand Restaurant à seulement 23 ans. Vous avait-il repéré grâce à Claude Gensac, souvent son épouse au cinéma, qui était votre partenaire dans La Dame de chez Maxim de Feydeau ?
Louis de Funès était venu voir la pièce au Palais-Royal. Il m’avait effectivement vu jouer avec Claude Gensac et m’a proposé de faire Le Grand Restaurant. Mais Claude Gensac n’était pas encore son épouse au cinéma ; plus tard, il m’a chargé d’aller la voir pour lui demander si elle ne voulait pas devenir sa femme dans Le Gendarme de Saint-Tropez. J’ai servi d’intermédiaire entre eux. J’ai fait cinq films avec lui, dont les deux derniers épisodes des Gendarme.
On a dit que-vous deviez votre rôle dans les Gendarme à sa brouille avec Jean Lefebvre. Comment avez-vous entretenu de bonnes relations avec ce grand irascible qu’était de Funès ?
On s’entendait très bien parce qu’il adorait les acteurs de théâtre. Du reste, c’est au théâtre que sa carrière a vraiment démarré, avec Oscar de Claude Magnier qu’il a joué avec Maria Pacôme. Il écoutait les acteurs de théâtre comme Grosso et Modo, et tenait compte de nos idées. Contrairement à ce que beaucoup d’envieux ont raconté, c’était un homme d’une classe formidable, très généreux. Comme tous les comiques, il prenait son matériau dans la connerie humaine – notant ses idées dans le petit carnet noir dont on a beaucoup parlé ! S’en priver l’aurait fait passer à côté de beaucoup de ses trouvailles parce que la vie est riche en comique : il y a plus de cons que de prix Nobel ![access capability= »lire_inedits »]
Est-ce pour cela que vous considérez le boulevard comme du grand art ?
Ça dépend de quel « boulevard » vous parlez, sans faire de comparaison, Molière c’était du « boulevard » en 1660 ! Le théâtre de boulevard ressemble aux échecs. C’est très sérieux à faire, le comique ! Par exemple, chez Feydeau, c’est de l’horlogerie, il faut que ça aille vite, dans le bon rythme, au bord du tragique. Pas si facile que ça.
Comment expliquez-vous le snobisme français qui déconsidère le genre comique ?
Il n’y a rien de plus injuste parce qu’il est beaucoup plus facile de jouer un rôle sérieux qu’un rôle comique. Dans un drame, un silence poli peut passer pour un succès, pas dans une comédie, le public « joue » un rôle important, il a ses répliques (les rires) à donner ! La différence de fond entre une pièce dramatique et une pièce comique, c’est que si toutes les deux posent un regard désespéré sur la condition humaine, l’une la prend au sérieux et en pleure, l’autre met un peu de distance en se disant qu’on n’y échappera pas et qu’il vaut mieux en rire. Au fond, je crois que les gens vont au théâtre et au cinéma pour se voir eux-mêmes. Quelque part, ils n’aiment pas tellement se voir ridicules. Souvent quand ils rigolent, ils pensent que l’imbécile est le mec sur le strapontin d’à côté, et pas eux. Mais quand la pièce est bonne et bien jouée, il arrive qu’ils commencent à se dire « merde, c’est moi », ça les déstabilise…et le rire corrige les mœurs. C’est là que ça devient intéressant.
Aujourd’hui cantonné à la comédie, vous épanouissez-vous toujours sur les planches ?
En ce moment, je joue Ma colocataire est une garce, une pièce de Fabrice Blind et Michel Delgado avec Évelyne Leclercq. Ça marche fort, le public aime ça. C’est une histoire de jeunes qu’on a réadaptée en la jouant comme deux vieux cons qui se la pètent comme s’ils avaient encore 18 ans. Du coup, c’est encore plus drôle !
Pour parler comme les critiques d’après-guerre, votre emploi de comédien a-t-il toujours été celui d’un brave type un peu bonhomme ?
J’ai aussi joué des salauds et j’aime bien ça. J’apprécie les rôles « sérieux » que j’ai interprétés pour la télévision en Angleterre – dans Capitaine Cook, et dans They Never Slept avec Edward Fox où je jouais un résistant. Comme je viens du théâtre classique qui est fait de ce qu’on appelait les « emplois » (jeune premier, valet, roi de comédie, roi tragique…), j’ai l’habitude d’être rangé dans une case. Le physique raconte quelque chose, c’est un a priori qui conditionne votre emploi de comédien. À l’époque de l’âge d’or du cinéma français, les Julien Carette et Saturnin Fabre racontaient une histoire grâce à leur physique dès que le rideau se levait.
Quelques années plus tard, vous avez participé à plusieurs numéros d’Au théâtre ce soir. On y jouait à la fois du Labiche, du boulevard, du Robert Lamoureux…
C’était une belle expérience. Il fallait aller vite, en trois semaines de studio avec une répétition le vendredi, une autre le samedi matin devant les caméras, avant d’enregistrer la captation le samedi après-midi. Lorsque je suggérais à son créateur Pierre Sabbagh d’essayer de diffuser des pièces un peu plus intellectuelles, il me répondait : « Si cette émission n’existait pas, est-ce que tu te rends compte du nombre de gens qui seraient morts sans savoir ce qu’est une représentation théâtrale ? » Cela me rappelle une anecdote…
Dites-moi tout.
En 1966, au moment de la diffusion de L’Amour, toujours l’amour, le premier Au théâtre ce soir que j’ai joué, je tournais Les Grandes Vacances avec de Funès. Les séquences censées se passer en Écosse étaient filmées au mont d’Or. J’avais prévenu le régisseur du film que j’avais envie de voir l’émission qui passait ce soir-là. Au fin fond du mont d’Or, il finit par dénicher deux paysans avec la télé dans leur cuisine. Je me retrouve donc chez eux, ils me mettent devant la télé, foutent le camp dans leur chambre et reviennent habillés en dimanche pour regarder Au théâtre ce soir. Je leur lance : « Faut pas vous habiller pour moi ! » Et ils me répliquent : « Mais ce n’est pas pour vous. Quand on va au théâtre, on va au théâtre ! » Dans l’émission, on voyait la salle, le public entrer, la sonnette retentir, le rideau se lever, tout ce qui est dans une représentation théâtrale. Et à la fin, le vieux me demande : « Mais comment on fait pour filmer les gens chez eux sans qu’ils s’en aperçoivent ? » C’est extraordinaire de passer la barrière et d’entrer à ce point dans le spectacle : tout ce que son cerveau ne voulait pas voir, il ne le voyait pas ! Cela donne vraiment à réfléchir…
Vous avez joué dans un grand film sur le théâtre dont l’action se déroule sous l’Occupation. L’intrigue du Dernier Métro de François Truffaut (1980) parlait-elle intimement au petit Maurice né à Paris en 1943 ?
Cela m’a rappelé des images confuses de souvenirs d’enfance. À la Libération, en 1944, ma mère et la concierge étaient sorties dans la rue des Acacias où on habitait, et ça tirait sur les toits. On voyait les FFI et les premiers soldats américains arriver. Dans Le Dernier Métro, la scène où le comédien incarné par Depardieu casse la gueule du critique théâtral de Je suis partout interprété par Jean-Louis Richard s’inspire d’une histoire vraie. Sous l’Occupation, Jean Marais avait effectivement cassé la gueule d’un journaliste de Je suis partout dans un restaurant.
Qu’avez-vous retenu du Dernier Métro ?
Le directeur de la photographie Nestor Almendros avait fait des éclairages extraordinaires et Heinz Bennent était formidable dans le rôle du directeur juif du théâtre. Truffaut avait défendu aux acteurs de discuter entre les prises, alors que je connaissais bien Andréa Ferréol, une vieille copine rencontrée dans les pièces de Jean-Michel Ribes. Il m’avait seulement autorisé à parler à Jean Poiret parce que je jouais son assistant. Après le film, Truffaut nous a expliqué qu’il nous avait demandé ça parce que les gens ne se parlaient pas sous l’Occupation. Pendant la guerre, la confiance ne régnait que très moyennement, c’était une période dangereuse dont Truffaut a voulu reproduire l’atmosphère très particulière. François a été adorable, j’ai beaucoup perdu quand il est parti.
À l’autre extrême de votre filmographie, Mon curé chez les Thaïlandaises (1983) et Le Führer en folie (1974) sont deux beaux nanars. Comment expliquez-vous la disparition des films français de série Z ?
Le public français est peut-être un peu plus intelligent qu’il y a une trentaine d’années, l’humour et le second degré se sont popularisés. Après-guerre, Blanche, Poiret et Serrault – des acteurs extraordinaires qui avaient un humour à tomber par terre – étaient souvent employés dans des films alimentaires en noir et blanc. Les gens s’en accommodaient très bien. C’était tourné très vite, sans grands moyens, pour faire vite de l’argent. Ça ne passerait plus maintenant.
Quand on a fait Le Führer en folie, c’était grandiose. On tournait à La Ferté-Alais, au milieu des collines et des montées. À l’intérieur d’un char AMX-30, au-dessus du canon, dans la tourelle, sur un terrain plus que chaotique, Alice Sapritch, qui jouait Eva Braun, se prenait des gnons comme je n’en ai jamais vu ! Elle était sacrément courageuse. Avec Luis Rego et Patrick Topaloff, on a d’abord essayé de jouer la comédie de façon assez stricte. Puis on nous a demandé de faire les cons, de loucher, de tirer la langue. On l’a fait, on s’est marrés mais le cinéma n’y a pas gagné grand-chose !
Ce genre d’excentricités a-t-il scellé votre sort au cinéma ?
C’est au moment de Gros Dégueulasse (1985), adapté des dessins de Reiser, que François Chalais a pondu un article effroyable pour me démolir parce qu’il ne supportait pas de me voir en slip jaune devant marron derrière sur les affiches au festival de Cannes, avant la sortie du film. Ma carrière au cinéma s’est arrêtée là. Deux réalisateurs me sont tout de même restés fidèles : Jacques Rozier et Pascal Thomas. Mais les plateaux de cinéma ne m’ont pas tellement manqué parce que ma vie a toujours tourné autour du théâtre…
… et même de la chanson puisque vous avez chanté « Lucy, ma petite australopithèque » en 1984 ! (rire)
Bernard Menez venait de cartonner avec « Jolie Poupée ». Des producteurs ont senti le bon filon et se sont dit qu’ils allaient encore faire chanter un acteur. Même si je chante comme une patate, on m’a toujours fait chanter dans les spectacles. L’interprète n’est pas très payé, c’est l’auteur-compositeur qui empoche le gros des droits. Ils m’ont donc fait faire ce disque en engageant l’adaptateur musical de Tino Rossi et en arrangeant à la machine les passages où je chantais faux. Mais j’aimais mieux la face B, « Le Sofa de Sophie », une chanson assez marrante à la Boby Lapointe. Une fois le disque sorti, je n’ai pas vu la couleur d’un fifrelin, ou presque. D’autres ont voulu recommencer mais, pour m’en débarrasser, je les ai prévenus : « Cette fois, je change quelques paroles et je signe comme coauteur. » Ils ont compris et mon incursion dans la chanson française s’est arrêtée net.
En regardant votre longue carrière, avez-vous des regrets ?
Je n’ai jamais eu de plan de carrière, cela donne des aventures formidables, d’autres moins. Au théâtre, j’ai mieux contrôlé les choses. Sur les planches, vous êtes le maître de l’affaire, et le public vous sanctionne immédiatement. Au cinéma, vous dépendez de beaucoup de monde : un mauvais éclairage, un mauvais montage, une mauvaise direction d’acteurs… J’assume avec plaisir mon côté « artisan ». Comme Michel Galabru, que j’ai bien connu, j’ai fait des bons films et aussi quelques beaux navets pour payer mes impôts. Sans regrets. C’est ma nature, vous savez, la chanson de Piaf : « Non, rien de rien… Non je ne regrette rien. »[/access]
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