Accueil Édition Abonné Avril 2024 Maurice Renoma, l’homme qui se marre

Maurice Renoma, l’homme qui se marre

Sonia Rachline publie "Maurice Renoma : hors cadre" (Flammarion, mars 2024)


Maurice Renoma, l’homme qui se marre
Autoportrait, Maurice Renoma, 2008. ©Adelap - Renoma Archives

La maison Renoma incarne un style chic et décalé. Une fantaisie insufflée par Maurice, son fondateur. Styliste, photographe et galeriste, ce jeune homme de 83 ans est mis à l’honneur dans un beau livre, et sa mascotte, un poisson rouge, s’expose à l’Aquarium de Paris…


La maison Renoma a 60 ans. C’est peu dire que Maurice, son juvénile fondateur et immarcescible patron, n’accuse pas ses 83 piges. Dans le regard de ce bonhomme de petite taille, pâle, chenu, nippé comme s’il avait toujours 20 ans, se lit une malice pétillante, quelque chose d’enfantin, j’allais presque écrire : d’immature, qui vous met à l’aise d’emblée. C’est pourtant un homme d’affaires madré, le Renoma ! En 1963, il ouvre à Paris avec son frère la boutique White House Renoma. Le style chic décalé de ses vêtements fait fureur chez les « minets » du XVIe. Plus tard, il multiplie les licences partout sur la planète. Fortune faite, il se recentre sur la fameuse boutique du 129bis, rue de la Pompe, adresse immuable, face au lycée Janson-de-Sailly. C’est là, dans les étages, qu’il aménage L’Appart, un espace tarabiscoté où il expose ses amis, mais surtout ses propres travaux. Autodidacte, travailleur infatigable, doué d’un optimisme et d’une confiance en lui à toute épreuve, Maurice Renoma, dans les années 1990, se met, en plus, à la photo. Depuis, ses images fantasques et gentiment transgressives tapissent les cimaises de nombre de galeries ou d’espaces prestigieux, en France comme à l’étranger.

Ce « roman d’une vie » nous est conté sous les auspices de Flammarion dans l’écrin d’un beau livre accordé au style Renoma : un collage. Titres pleine page en énormes caractères, portfolio sur papier glacé alternent avec les feuillets mats qui portent ces iconographies dissidentes ; quant aux témoignages, on les lit en lettres blanches sur fond noir, textes où Maurice, relayé par la plume de Sonia Rachline, confesse sans emphase son petit tas de secrets, comme disait l’autre.

Entre fashion et people, la mémorialiste est à son affaire, elle à qui l’on doit, entre autres, un Karl Lagerfeld de A à Z (Gallimard, 2019) ou encore, un David Bowie n’est pas mort (Robert Laffont, 2017). La voilà donc qui s’attaque désormais à un vrai vivant parmi les vivants. Le titre de l’ouvrage cadre avec son héros : Maurice Renoma : hors cadre – justement. Car la quadrature du créatif, c’est bien d’être curviligne, telle la route du poisson rouge dans l’aquarium, rebelle au parcours fléché : espèce amphibie, muette et furtive dont le Maurice plasticien s’est fait une mascotte en plastique, dotée même d’un prénom :« Cristobal » – ce que la banane est à Andy Warhol ? Sinon que, au contraire de la banane, « le poisson rouge n’est pas bête du tout, dixit Maurice. Si on le remet dans son élément aquatique, il grandit et retrouve ses réflexes. »

Et il lui consacre même une expo ! L’idée est née d’une rencontre, à La Havane, avec le célèbre israélo-cubano-argentin Enrique Rottenberg. Jusqu’au mois de mai, le fétiche à branchies de Maurice Renoma est à l’honneur à l’aquarium de Paris, enfoui sous la colline de Chaillot. Plus folâtre que militante, plus pulsionnelle qu’engagée, sa figurine y est en immersion, sous la forme de vidéos et de photographies, dans la mouvance du pop-art. Histoire de nous rappeler aussi que les poissons ingurgitent innocemment le plastique déversé par millions de tonnes dans les océans… Le recyclage est une vieille croisade de la griffe Renoma.

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Les témoignages égrainés dans le livre de Sonia Rachline sont précieux. À commencer par celui de Stéphanie, la fille de Maurice, créatrice de mode et photographe. Elle note : « Le rapport s’est d’ailleurs inversé : l’adulte, c’est moi. » De son côté, l’ex-patron de l’Espace Pierre Cardin, Nicolas Laugero Lasserre, à présent galeriste et « entrepreneur d’art » (sic), se présente comme le « fils spirituel » de Maurice, « sous le charme de tous ses rituels : les repas, les parties de ping-pong, les promenades en forêt, le marché ». Il a d’ailleurs acheté une maison en Normandie, à un kilomètre de celle où son mentor reçoit le week-end ses amis de tous âges. Il y a aussi Marc Held, « l’ami de longue date » – architecte et designer ; ou encore Jean-Jacques Feldman, « le presque frère », qui dit de Maurice :« c’est un vrai triste, mais un vrai triste juif… C’est-à-dire que sa tristesse est toujours accompagnée d’un sursaut de dérision. »

Il est vrai que venir au monde un 23 octobre 1940 n’est pas alors une sûre promesse d’avenir. L’enfant est « gaucher, (contraint à la main droite) dyslexique, bègue ». Dans le quartier du Sentier, ses parents, émigrés juifs polonais, tiennent atelier et boutique de confection. La famille trouve refuge à la campagne. Le père inscrit son fils turbulent dans une école de comptabilité : Maurice aime les chiffres ; ils le lui rendent bien. « Vierge de savoir, d’instruction, de connaissances », il laissera « parler son instinct, suivre son bon sens et sa sensibilité, sans aucun tabou, aux antipodes de l’académisme ». Son frère aîné Michel, démobilisé à son retour d’Algérie, le rejoint dans cette maison de couture qui « redistribue les codes vestimentaires » : recyclages, couleurs affirmées, patchworks, détournements de pièces d’ameublement, coupes cintrées, réactualisations vintage– Escher ou Vasarely comme inspirateurs d’un classicisme en rupture de ban. Dénichée par hasard, l’adresse de la rue de la Pompe devient l’épicentre d’une entreprise florissante. Les points de vente se multiplient, en France, en Europe, aux États-Unis, en Asie. « Chez lui, la spéculation est un muscle hyper développé », plaisante Sonia Rachline. Même si « le marketing, dans sa bouche, devient un gros mot. » C’est pourquoi Maurice finit par se délester de ses licences : leur gestion entravait sa créativité. Recentré sur la boutique, il lance L’Appart, « espace ouvert aux événements, happenings, expositions ». Le Renoma Café Gallery, sur l’avenue George-V, lui sert de QG relationnel. N’étaient les tables nappées d’un blanc immaculé, le chic déglingué du restaurant est bien à l’image de Maurice. Sonnez, trompettes de la Renoma !

À lire

Sonia Rachline, Maurice Renoma : hors cadre, Flammarion, 25 mars 2024.

Maurice Renoma: Hors cadre

Price: 69,00 €

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À voir

« Mythologies du poisson rouge », carte blanche à Maurice Renoma, aquarium de Paris. Jusqu’au 3 mai 2024.

À fréquenter

Boutique Renoma et L’Appart,129bis, rue de la Pompe, Paris 16e.

Restaurant Renoma Café Gallery, 32, avenue George-V, Paris 8e.

Avril2024 – Causeur #122

Article extrait du Magazine Causeur




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