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Maurice Pons, le mystérieux

Mes vacances chez les bouquinistes


Maurice Pons, le mystérieux
Maurice Pons. ©ULF ANDERSEN / AURIMAGES / ULF ANDERSEN / AURIMAGES

Il y a des hasards objectifs pour les amateurs de chasse subtile chez les bouquinistes. C’est quelques jours après la mort de Maurice Pons (1927-2016) que je trouvais dans une caisse de livre chez un brocanteur de Cologne (Gers), Embuscade à Palestro. Le décalage entre le nom allemand de la petite ville et le plus joli département de France aurait plu à Pons, ce magicien subtil de notre littérature qui jouait sur un fantastique subtil et élégant, discrètement pervers, aimablement cruel comme dans Rosa, Mademoiselle B et surtout son chef d’œuvre Les Saisons, où l’on peut lire cette devise de tous les rêveurs amoureux : « Je fermerai les yeux et je serai heureux. Une caresse vaut mille images. »

Entre Sartre et Bernard Frank

Mais il y a eu un autre Maurice Pons, plus engagé, qui dans deux romans a donné une lecture sans concession mais sans prêchi-prêcha démonstratif sur la guerre d’Algérie : Le passager de la nuit, récemment réédité dans la collection Point du Seuil et cette Embuscade à Palestro que j’avais trouvé dans une édition du Rocher de 1992 mais qui avait paru une première fois en 1958 chez Julliard sous le titre Le Cordonnier Aristote.

Contrairement aux autobiographies, les romans qui retracent le cheminement aléatoire de toute une génération ont le charme nostalgique rendu encore plus prégnant par la certitude d’avoir été plusieurs à traverser les mêmes saisons orageuses, à s’être enflammés pour les mêmes idées, les mêmes femmes, les mêmes paysages. C’est le cas d’Embuscade à Palestro. Pour situer ce livre, il faut imaginer qu’il serait le fils illégitime de l’Age de raison de Sartre et des Rats de Bernard Frank. A Sartre, il doit le désir d’engagement, le sens de l’histoire et de la responsabilité, la faculté d’indignation. A Bernard Frank, il emprunte, ce qui nous enchante davantage, la panoplie fifties, le goût du style, de l’alcool et la tendresse de la nuit.

L’insouciance sous Guy Mollet

Embuscade à Palestro se déroule sur quelques mois, à la veille des élections de janvier 56 qui devaient porter au pouvoir Guy Mollet. Même en s’appliquant à l’insouciance, la jeunesse frivole de Saint-Germain des Près a du mal à faire comme si de rien n’était. On parle d’envoyer des appelés en Algérie, et la Chambre vote à l’unanimité les pouvoirs spéciaux au gouvernement.

Pour certain, comme pour Trennberg, le dandy désespéré qui a passé son adolescence dans les camps de concentration et s’attend pourtant à recevoir sa feuille de route, il y a des ironies historiques qui fleurent bon l’ignominie. Quant à Roland Maillard, pion à Louis-Le-Grand, qui voit son premier roman accepté, il se demande s’il est vraiment décent d’écrire comme Giraudoux à un moment où son ami, metteur en scène communiste, voit la représentation de sa pièce empêchée par des nervis fascistes et finalement interdite par la préfecture de police.

Ce ne sont là que deux des nombreux personnages de Maurice Pons qui les multiplie à plaisir et nous les fait découvrir au cours de conversations, de soirées, de meetings et dans les caves à jazz où se croisent comédiennes débutantes, éditeurs réacs, lycéens en rupture de ban et militants du PCF.

Au bout du compte, il faudra que dix-neuf jeunes soldats meurent dans les gorges de Palestro pour que tout ce monde-là fasse le deuil de sa jeunesse et d’une époque tout entière.

Maurice Pons avait réussi là un grand roman polyphonique sans tomber dans les travers habituels du genre : grosse caisse et technicolor. Ce roman demeure un ensemble admirablement nuancé et qui garde, toujours, cette touche un peu mystérieuse, un peu secrète, qui caresse le récit et qui est la marque irremplaçable de l’auteur.

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