Le poème du dimanche
Nous savons tous que Maupassant est sans doute le plus grand nouvelliste de langue française. Le bref est chez lui un art qui permet de saisir l’essentiel d’un instant ou de toute une vie. Il a aussi l’art de la chute, essentiel à la nouvelle où la dernière phrase doit surprendre le lecteur, toute bonne nouvelle s’apparentant au bout du compte à une forme de tachycardie.
On connaît aussi, moins en général, Maupassant romancier quand bien même Une vie ou Pierre et Jean, où est théorisé dans une préface célèbre le naturalisme, ce réalisme poussé dans ses derniers retranchements, sont des chefs d’œuvre trop peu fréquentés à notre avis.
Mais Maupassant poète, vraiment, vous êtes sûr ? Et pourtant, on connaît bel et bien de lui un recueil de poèmes intitulé tout banalement Des vers. Si Maupassant ne s’y révèle pas l’inventeur qu’il a été en prose, il reste la virtuosité du bon élève et même, dans certaines pièces, comme cette Découverte que nous vous proposons, un certain charme désuet qui ne manquera pas de plaire aux nostalgiques de l’enfance.
Découverte
J’étais enfant. J’aimais les grands combats,
Les Chevaliers et leur pesante armure,
Et tous les preux qui tombèrent là-bas
Pour racheter la Sainte Sépulture.
L’Anglais Richard faisait battre mon cœur
Et je l’aimais, quand après ses conquêtes
Il revenait, et que son bras vainqueur
Avait coupé tout un collier de têtes.
D’une Beauté je prenais les couleurs.
Une baguette était mon cimeterre ;
Puis je partais à la guerre des fleurs
Et des bourgeons dont je jonchais la terre.
Je possédais au vent libre des cieux
Un banc de mousse où s’élevait mon trône.
Je méprisais les rois ambitieux,
Des rameaux verts j’avais fait ma couronne.
J’étais heureux et ravi. Mais un jour
Je vis venir une jeune compagne.
J’offris mon cœur, mon royaume et ma cour,
Et les châteaux que j’avais en Espagne.
Elle s’assit sous les marronniers verts ;
Or je crus voir, tant je la trouvais belle,
Dans ses yeux bleus comme un autre univers,
Et je restai tout songeur auprès d’elle.
Pourquoi laisser mon rêve et ma gaieté
En regardant cette fillette blonde ?
Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté
Quand, dans la brume, il entrevit un monde ?
Guy de Maupassant, Des vers
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