Ville close, le dernier roman de Franck Maubert paru chez Ecriture, a la symétrie diabolique d’un scénario de Clouzot, l’âpreté d’un roman de Mauriac et le charme suranné d’un tube de Michel Delpech. En somme, une œuvre d’essence chabrolienne où la vie de province renferme son lot de mystères et de suspicions. Maubert a choisi pour décor à cette intrigue nostalgique la ville de Richelieu baptisée la « Cité idéale ». Sa géométrie implacable du XVIIème et ses secrets à l’obscure arithmétique. C’est délicieusement gris, embrumé, enfoui et vicié comme si une maison de famille n’avait pas été aérée de tout l’hiver.
Point de départ : un homme entre deux âges retourne vivre dans la maison de sa tante et y découvre les joies de l’enfermement. Cette atmosphère oppressante est habilement nuancée par une plume mélancolique dont les tendres inflexions offrent de salutaires respirations. Le charme de Maubert réside dans cet art délicat de la narration, un naturalisme soyeux, tout en nuances et sensibilité, avec une touche d’ironie assez tordante. Ville close est à cheval entre plusieurs genres, le roman policier, l’introspection et l’étude de mœurs. Patrick Modiano lui a trouvé « du Simenon, et aussi un peu d’André Dhôtel », un écrivain aujourd’hui oublié qu’il « aime beaucoup ». On est toujours tenté de rattacher un romancier à un mouvement, à l’inscrire dans une tradition, à lui imposer, parfois, un trop lourd héritage. C’est le signe que Franck Maubert commence à compter dans le champ littéraire français depuis qu’il a obtenu le Prix Renaudot Essai 2012 pour Le Dernier modèle dont Causeur avait salué, dès sa sortie, la grâce et l’éclat fragile.
La couverture illustrée par un émouvant dessin de Pierre Le-Tan confirme les intentions esthétiques de l’auteur. Le bon goût n’a jamais nui à la qualité littéraire. Maubert soigne son écriture sans jamais forcer les traits de caractère de ses personnages ou les situations. Quand chez d’autres, la sobriété confine à la platitude, chez lui, elle concentre une forte charge émotionnelle. Ce spécialiste de la peinture a le geste sûr et une précision poétique quand il saisit les détails d’une femme, d’un paysage ou des remparts de Richelieu.
La réussite de Ville close tient à ce subtil panachage. Nous sommes tantôt dans le suspens, l’effroi, le roman historique, la quête sentimentale, la satire, le journal intime; on ne se refuse aucun plaisir de lecture. Maubert rend cette balade macabre aussi angoissante qu’un épisode du Prisonnier, aussi désespérée qu’un paragraphe de Monsieur Jadis et narquoise qu’un extrait de film de Jean-Pierre Mocky. Si vous aimez les femmes de notaire, les bigotes, les lodens, la neige, les libraires libidineux, les antiquaires précieux, les plats en sauce, les petites vieilles qui tirent, le dos courbé, un caddie, sur une place de marché, vous serez comme un coq en pâte. Si en plus, le médecin et maire de la ville a la tête de Pierre Brasseur, le patron du bar porte la blouse et le taux de mortalité est anormalement élevé pour une commune d’Indre-et-Loire, ce roman vous charmera. J’y ai croisé des clones de Stéphane Audran, Jean Yanne, Dominique Zardi ou Jean Topart. Il n’est pas impossible que vous entendiez même le bruit d’une mobylette qui vient rompre la torpeur d’un lundi après-midi et qu’un vieux paquet de Kent mentholé laissé sur une table basse vous tire des larmes.
Ville close de Franck Maubert (Ecriture)
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