Les bouleversements économiques post-Covid se font déjà sentir à travers le monde. Envolée des prix des matières premières, spéculations sur le bitcoin… L’issue de la partie est entre les mains de la banque centrale américaine qui va devoir choisir entre inflation et déflation. Mais quelle carte tirera-t-elle?
L’économie mondiale ne ressemble plus vraiment à ce que nous connaissions depuis quarante ans et la nouvelle expérience libérale. Celle-ci se basait sur une très faible inflation dans les pays développés et une progression des salaires constamment inférieure à la productivité. Cette déflation salariale rampante engraissait les marchés boursiers et s’accommodait de déficits commerciaux chroniques. Elle usait et abusait d’un endettement disproportionné du privé et du public que les banques centrales bénissaient par des politiques de taux toujours plus bas. Mais tout a changé.
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Le Covid a eu deux conséquences, outre celle d’ébranler la croissance et l’emploi dans le monde entier. La première, celle de faire exploser à nouveau les dettes publiques et privées, mais cette fois avec un endettement subi, et non volontaire. Tandis que la dette antérieure générait tant bien que mal de la production et de l’emploi, c’est leur chute qui engendre les nouvelles dettes du « quoi qu’il en coûte », et non pas la consommation ou l’investissement qui n’en tirent aucun profit. Seconde conséquence, la pandémie a modifié les comportements des ménages : aux côtés de ceux qui continuent à s’endetter, pariant sur des lendemains favorables, ceux qui le pouvaient ont épargné, laissant des masses d’argent inemployé, faute d’investissements à financer.
Le paradoxe des matières premières
Je ne vous apprendrai rien en évoquant l’envolée inouïe des cours des matières premières, à laquelle s’ajoute le prix des transports. En l’espace d’un an, plus 83 % pour le cuivre, plus 50 % pour l’aluminium, le métal de l’aviation, plus 12 % pour le blé, plus 68 % pour le maïs, plus 68 % pour le sucre, plus 112 % pour le pétrole. Avez-vous vu que l’explosion des prix a commencé au moment même où les économies s’affaissaient sous les coups de la pandémie ? Comme si on avait anticipé le retour à la normale suivi d’une forte croissance, alors que les premiers vaccins étaient encore à l’état d’ébauche, et comme si on prenait pour quantité négligeable les dettes nouvelles non productives issues de la pandémie.
Tout s’explique par une spéculation organisée, dont le bitcoin offre le stigmate le plus grotesque. Faute de plus-values sur les emprunts dont la valeur a atteint un plafond – quand les taux sont à zéro, les prix des emprunts ne peuvent plus monter –, les traders se sont rabattus sur les actions et sur les matières premières. Nous voyons depuis un an une course à l’échalote qui n’a pas de précédent depuis, semble-t-il, la spéculation qui a précédé la Grande Dépression de 1929.
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Mais l’irrationalité des marchés se combine avec le phénomène rationnel d’une demande constamment accrue pour les métaux rares requis pour la production de voitures électriques. Les métaux rares deviennent de plus en plus rares et chers au fur et à mesure que les constructeurs, pris en otages par les écologistes, les médias et les autorités normatives, multiplient les projets de voitures électrifiées. Encore une course à l’échalote.
Inflation américaine, incertitudes chinoises
Inflation américaine. L’Amérique serait-elle sur le point de renouer avec les délices de l’inflation à deux chiffres des années 1970 ? Que nenni, disent les autorités monétaires et budgétaires. Nous subissons une « bouffée d’inflation » qui se dissipera mécaniquement quand la hausse des matières premières cessera. Il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure de la hausse de 4,2 % des prix à la consommation et de 6,2 % des prix à la production en un an.
La majorité des hausses en amont ne sera pas répercutée en aval avant l’été, des goulots de production se manifestent, et surtout, le plan Biden, à contresens, ajoute une pression à la hausse de la demande. Enfin le risque existe d’un déversement de l’épargne récente sur les marchés de la consommation. L’hypothèse d’une inflation auto-entretenue ne peut plus être écartée, inflation que la banque centrale, prise au piège de sa politique de soutien des marchés par des taux zéro, ne pourra contrarier sans prendre le risque d’une déflagration financière.
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Incertitudes chinoises. Les indices chinois se bousculent et se contredisent. La Chine, qui nous a fait don du Covid, est le pays qui semble avoir le premier surmonté la récession issue de la pandémie. Elle pourrait renouer avec une croissance annuelle de 7, voire 8 %. En effet, les exportations chinoises augmentent sans désemparer et les plans de relance keynésiens déployés en Occident les doperont encore. Mais la consommation est à la traîne du fait des pertes d’emploi non encore compensées et de pertes de pouvoir d’achat liées à la montée des prix alimentaires. Et le BTP, moteur discret et puissant de la grande croissance chinoise depuis vingt ans, ne pourra plus apporter de contribution positive. Le pays est couvert de villes nouvelles, de routes, d’autoroutes, d’aéroports, de lignes de TGV. Et, par-dessus tout, l’énorme dette accumulée menace l’avenir à court ou moyen terme.
La solution aux problèmes potentiels de la Chine repose sur une montée en gamme de l’appareil de production. Elle a commencé. Mais c’est encore l’Occident qui en ferait les frais, comme il a fait les frais de la délocalisation de son industrie.
Inflation ou déflation ?
Première hypothèse : la banque centrale américaine reste inerte devant la montée en puissance régulière de l’inflation, soutenue par tous les facteurs de la demande, dépense publique, désépargne, tensions salariales. L’inflation revient au centre de l’énoncé du problème.
Deuxième hypothèse : ladite banque centrale se résigne à relever le défi inflationniste par une remontée progressive de ses taux d’intervention. Il suffirait alors d’une hausse de deux points pour ébranler le système financier mondial. Ce serait le retour de la déflation.
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