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Mathieu Terence, triste sire…


Spinoza prétend que « la joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». À en croire Mathieu Terence, cette sentence s’imposa à lui « comme une flamme dans une nuit morne ». Autant dire que ce garçon n’avait auparavant jamais été incommodé par de joyeux drilles. Il n’aurait pu les rater, pourtant. Ces gens-là manquent de la plus élémentaire pudeur.

Ames sinistrées

Exultent-ils en bandes après une victoire sportive ou politique, se réjouissent-ils lors d’une noce ou d’une révolte, sifflotent-ils en bricolant, ou s’époumonent-ils sous la douche, ces exhibitionnistes du vouloir-vivre ne respectent pas le sombre plaisir des cœurs mélancoliques. En fait de perfection, les joyeux drilles sont de parfaits tristes sires. En revanche, je connais des âmes sinistrées qui n’ont rien de sinistre et qui dispensent autour d’elles une certaine gaieté pour grimer leur tristesse sous le fard de l’humour. D’autres, celles de Veufs ou d’Inconsolés, nous écrivent des ballades à fredonner au crépuscule ou des contre-rimes à susurrer au bord des tombes.

Bien sûr, dans son opuscule, Mathieu Terence se garde bien de parler des boute-en-train, des ravis de la crèche et autres Ducon-Lajoie. Et pour cause : voilà des exemples peu sortables, mais hélas, très concrets, de la chose dont il fait l’éloge. Pas une seule œuvre à leur actif. La joie n’est féconde d’aucun art.

Chez les apologistes des passions joyeuses frottés hâtivement de spinozisme, de nietzschéisme, et qui n’ont pas lu Clément Rosset, c’est une manie que d’opposer abstraitement la joie, donc, au bonheur. À lire Terence, la joie est une foudre qui frappe le promeneur solitaire des cimes, le bonheur un foyer riquiqui où se réchauffent les petits cadres de la platitude en proie au Grand Deuil.
Le Grand Deuil de qui, de quoi, au juste ? De Dieu, pardi, rappelle Terence. Dieu que la rationalité technoscientifique et la déraison marchande ont occis en plongeant les humains, depuis, dans le marais de la bienheureuse morosité. Le nihilisme, en somme. Admettons. Mais alors, se demande le lecteur honteux de ses tortillements larvaires : quelle est donc cette Joie dont Terence évoque la puissance subversive et rédemptrice — au point qu’elle pourrait devenir une idée neuve dans l’Univers ? Notre Saint-Just cosmique n’en fournit pas la moindre définition. Mais il fait mieux. Ineffable, la Joie, pour être sentie en son essence, ne peut qu’en passer par une épiphanie — un satori.

La Joie Incarnée, ce n’est pas de la tarte

Le lecteur découvre qu’elle prend chair chez des individus d’exception et que, oui, c’est ainsi, Terence en est. Or, à en croire l’élu, si ce n’est pas tous les jours de la tarte d’être La Joie Incarnée, on en retire tout de même du contentement : « C’est parce que tu es tellement seul que tu peux sentir comment tu coïncides avec tout ce qui est ». Et s’il faut du courage pour une telle destinée, Terence le confesse humblement, il n’en manqua jamais : « Tu ne te souviens pas avoir voulu être ”heureux”. Dès l’enfance tu as aspiré à te montrer courageux. Le courage, d’instinct, t’a semblé être la vertu cardinale. Libre parce que courageux, sensible parce que courageux, solitaire parce que courageux ».

Après une telle révélation, on comprend combien il importe peu au lecteur de saisir le concept de la joie puisqu’il en a sous le nez la Manifestation sensible en la personne même de Terence — et de son Écriture.
Sans doute. Mais, en attendant, il y a tromperie sur le produit. Ce Petit éloge de la joie, dont le titre et les aphorismes semblent annoncer un léger traité de gai savoir, se révèle un navrant bréviaire héroïco-auto-vantard.

Je me rappelle Terence, il y a une quinzaine d’années. C’était un jeune doué, comme on dit. Admirateur de Roland Jaccard, il n’avait cure de formuler l’indicible joie mais de trouver des bonheurs de formules. Il y excellait, comme en témoignent son Palace forever et son Fiasco — petit chef-d’œuvre d’autodérision. Celui qui, jadis, nous régalait de maximes du genre : «Un rien m’ennuie mais le néant me captive», nous assomme aujourd’hui de lourdes phrases : «Tu t’es entraîné, tu as fait les efforts nécessaires pour gravir cette montagne, juste pour que ton refus de rester au sommet soit plus parlant que de t’y établir».

Comment Terence est-il passé d’un grand à un moindre talent ? Je ne vois qu’une explication : il a été touché par le sérieux, une bien mauvaise grâce.

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