« Pour un peu, Farrah va être enterrée le jour de son anniversaire » : Farrah est une muse, le genre de femme et de personnage que l’on ne peut pas oublier, aussi belle et séductrice que minée de l’intérieur par des démons dont elle refuse de parler. Après sa mort dans un accident dramatique, aux deux sens du terme, Mathieu Terence raconte une introspection, une enquête psychologique à la deuxième personne.
Ce procédé rapproche et éloigne d’un même mouvement : le lecteur est apostrophé et, sitôt harponné, placé sur la table d’opération en même temps que l’auteur. Ici, c’est le syndrome du saint-bernard que l’on dissèque avec une poésie clinique. Car ce qui est vrai d’un personnage l’est souvent plus encore de son auteur. Lui qui n’a connu dans son enfance que la tragique odeur de la folie flottant autour des femmes de sa famille reproduit le modèle : ses maîtresses, ses amours, ses fantasmes sont dérangées, et il se doit de les sauver. D’aller chercher, une par une, toutes les pensionnaires des hôpitaux, des cliniques, de tirer de leur lit les dépressives, de faire croquer la vie aux anorexiques, de rendre la parole aux psychotiques. Plus qu’une vocation, c’est un réflexe : il ira au bout du sacerdoce universitaire pour comprendre que c’est par là qu’il se détruit.
On ignore que ce syndrome est aussi ravageur pour celui qui en est la proie. Mathieu Terence se frotte constamment à du papier de verre plutôt qu’à la peau douce des jeunes vacancières de Biarritz, et s’use. Quand il parvient à guérir de son penchant pour la démence, il ne guérit pas de Farrah. Elle est un repoussoir magnétique. Il ne pourra plus lui faire l’amour, ni sortir de sa vie. Puisque celle de Farrah s’est achevée brusquement, elle sera son talisman.
« Les conjugaisons sont de drôles de croque-morts »: l’imparfait enterre plus vite que les pompes funèbres. Encore faut-il être sûr de savoir qui était Farrah. Au jeu du doute, on a souvent tout à perdre. Dans l’aventure du mensonge, c’est soi-même que l’on perd à tous les coups. Farrah avait inventé sa vie, depuis son nom et ses origines jusqu’à son métier et son emploi du temps. Elle était une artiste à sa manière, elle peignait sur son visage un passé et des émotions volées à d’autres, tandis que la « vraie » Farrah, celle que son père aurait reconnue, était morte bien avant l’accident.
Le Talisman est la chronique d’une démystification. Avec grâce, Mathieu Terence parvient à sur-écrire sans ennuyer, à rendre par les mots les tourments de l’esprit. Il dit avoir fait « folie première langue », c’est sans doute à ce seul prix qu’un homme plonge, fouille et découvre des trésors dans l’âme humaine.
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