Entretien avec l’essayiste Mathieu Slama, auteur de Adieu la liberté, essai sur la société disciplinaire (Presses de la Cité).
Gelés par la grande peur virale, nos esprits se figent. Prisonniers de la répétition automatique des gestes barrières, nos corps se robotisent. Masqués, les visages, autrefois sanctuaires inviolables de la personnalité, sont anonymisés, réduits à des yeux inquiets qui scrutent – certains appelant l’échange d’un regard, d’autres cachant l’âme d’un délateur.
Telle est la société “covidée” que décrit et rejette Mathieu Slama. Dans son dernier livre, Adieu Liberté, l’essayiste dresse non seulement un violent réquisitoire contre la politique sanitaire du gouvernement qu’il qualifie de disciplinaire, mais il dénonce aussi et surtout le consentement d’une large majorité de citoyens, qui a accepté ou plébiscité avec une docilité déconcertante des mesures de contrôle et de surveillance qui sont passées d’exceptionnelles à normatives. Hier, le peuple français était à l’avant garde de la liberté. Aujourd’hui, il est celui de la soumission volontaire à “l’idéologie du safe” et à un biopouvoir… Entretien.
Isabelle Marchandier. Des visages masqués devenus anonymes, des corps robotisés par la répétition de gestes barrières, une citoyenneté et une liberté conditionnées au statut vaccinal : a-t-on basculé dans une autre société ?
Mathieu Slama. Si les racines de ce désastre viennent de plus loin, il est incontestable que la crise sanitaire a précipité notre basculement vers un nouveau modèle de société. Une société où la liberté cesse d’être un principe supérieur à tous les autres, une société où la liberté nous est accordée par le pouvoir en fonction de notre comportement, une société où l’ordre est la condition de la liberté, où les devoirs précèdent les droits (de l’aveu même du Président de la République !), où la morale remplace le droit. Une société, également, où l’individu s’efface devant le collectif, et où, au fond, tous nos principes républicains se retrouvent à l’envers, inversés. J’ai en tête un échange avec un grand spécialiste de droit public, défenseur reconnu des libertés publiques, qui affirmait, en défense des mesures sanitaires, que le principe même de la République est de mettre le collectif avant l’individu. Qu’une telle méprise vienne d’un juriste aussi capé montre bien l’ampleur de notre désarroi…
“Mesures de freinage”, “distanciation”, “gestes barrières”, “protocole”… jusqu’à la dernière trouvaille langagière en date, signée Olivier Véran, “la concordance” entre la carte d’identité et le passe vaccinal… Quel rôle joue cette novlangue ?
Je suis convaincu que notre enfermement s’est d’abord joué sur le terrain de l’imaginaire et de la langue qui a, en quelque sorte, conditionné notre perception de la crise et donc notre acceptation des mesures prises. À partir du moment où la société toute entière reprend le lexique médical et scientifique, parle de « confinement » au lieu d’ « enfermement », euphémise les mesures les plus aberrantes en parlant de « mesures de freinage », alors nous sommes prêts à accepter l’inacceptable. Parler de « résilience », de « fragilité », de « vulnérabilité » etc. sous l’influence du pouvoir et de quelques intellectuels naïfs, revient à dépolitiser totalement la situation et à rendre les mesures les plus liberticides inéluctables. Et que dire du chantage à la « solidarité » et à la « responsabilité », mots martelés jour et nuit par le gouvernement pour culpabiliser les réfractaires (ce même gouvernement qui est responsable des mesures
