Retrouvez la première partie de l’entretien ici.
Au fond, on dirait que l’inégalité économique ne vous pose aucun problème…
Il est difficile de répondre à une question aussi fondamentale sérieusement et brièvement ! Mais partons du fait qu’une société libre basée sur le commerce pacifique donnera toujours naissance à des inégalités de revenus pour la simple raison que chaque individu a une histoire, des capacités et des aspirations qui lui sont propres et qui sont différentes de celles de son voisin. Deux choses sont importantes : d’une part, l’échange libre crée la richesse. Nous bénéficions tous du commerce, même et surtout ceux qui ont des capacités moindres que les autres. En d’autres termes, la pauvreté est bien plus grande lorsque les individus vivent en autarcie ou lorsque la société est tribale. Dans une société libre, l’individu ne peut s’enrichir que par l’échange et le service d’autrui, par l’innovation et le travail.
Mais dès lors que les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, les riches ne sont-ils pas responsables de la pauvreté ?
Cette idée fausse vient du temps où la richesse était le résultat de la domination par la force. Dans une société commerciale libre, ce n’est pas le cas. La richesse ne s’acquiert que par la satisfaction du client dans l’échange. Ainsi, dans l’échange, toutes les parties s’enrichissent. C’est pour cela que la société moderne a vu l’arrivée des classes moyennes – un phénomène inconnu des époques antérieures.
Soit. L’État n’en a-t-il pas moins le devoir de réduire les écarts de richesse à travers sa politique de redistribution ?
Vouloir ce qu’on n’a pas est une tentation permanente et universelle, c’est bien pour cette raison que « ne pas convoiter le bien d’autrui » est l’un des Dix Commandements. On ne rend pas cette tentation plus légitime ou honorable parce qu’on fait appel à la redistribution étatique pour la satisfaire. Au contraire, tout système de redistribution basé sur la coercition étatique cautionne l’idée qu’il y a, à la base de la société, une lutte des classes permanente[access capability= »lire_inedits »]. La social-démocratie crée, de manière contre-intuitive, la disharmonie, et favorise la guerre de tous contre tous, chacun cherchant à bénéficier, grâce au monopole de la violence légale, de subsides à la légitimité douteuse. La pauvreté nous révolte tous. Mais si l’on croit que les riches en sont responsables (ce qui encore une fois, n’est pas le cas), on risque de détruire le seul moteur qui in fine nous permet de la réduire : la libre entreprise et l’échange volontaire. Surtout, on décourage la jeunesse, les nouveaux entrants, les inventeurs, les créatifs qui souhaitent, légitimement, bénéficier du produit de leurs talents.
Même les ultra-libéraux les plus échevelés ne proposent pas, à ma connaissance, de supprimer complètement l’impôt. L’encouragement à l’initiative laisse-t-il une place à la solidarité ?
Je ne conteste pas l’impôt, contrairement aux anarcho-capitalistes dans la lignée de Murray Rothbard, qu’il faut lire et connaître, mais l’hyper-taxation et l’hyper-progressivité de l’impôt. Je leur préfère de loin la « flat tax », un impôt à taux limité et unique, proportionnel aux revenus, payé par tous, qui est simple et rapportera à terme autant voire plus que nos prélèvements actuels, multiples, complexes et décourageant le travail et l’effort. Il est par ailleurs urgent de réinventer la solidarité. La solidarité publique ne marche pas. Nous dépensons 600 milliards d’euros par an pour les prestations sociales et la pauvreté grandit. Nous aidons les insiders, ceux qui sont dans le système, pas les outsiders, les vrais pauvres, ceux que l’on voit dans la rue. Et notre État-providence est en faillite. Il promet mais ne pourra plus longtemps tenir sa promesse : quelle déception pour tous ceux qui y ont cru ! On a beau jeu de trouver des boucs émissaires, de dénoncer les riches. Mais c’est tout notre système qui est défaillant. Il faut, au contraire, recréer les bonnes incitations et développer pleinement la solidarité privée. Je déplore l’absence de réflexion et d’innovation politique à droite comme à gauche sur ce sujet crucial. Et vous noterez que c’est un libéral – qu’on accuse souvent à tort d’égoïsme – qui en appelle à révolutionner en profondeur la solidarité pour qu’elle fonctionne enfin ! Les débats actuels en Angleterre, sur la « Big Society », devraient nous inspirer.
Vous en convenez, la passion de l’égalité est une passion française. Êtes-vous totalement immunisé contre elle ?
La question est de savoir de quelle égalité nous parlons. La notion d’égalité peut porter soit sur les règles du jeu social (« Tous les hommes sont égaux en droit »), soit sur les résultats (« égalité des revenus »). Les droits de l’homme de 1789 insistent sur la première acception. Mais avec le temps et sous l’influence du solidarisme, la notion floue de fraternité a pris le dessus et, d’une égalité en droit, on est passé à l’égalitarisme. Or l’égalitarisme est une révolte contre la nature. Il n’est pas possible de rendre égal ce qui ne l’est pas. C’est non seulement une quête vaine, mais aussi liberticide et destructrice car l’on finit par détruire l’ordre social au nom d’un concept inatteignable de justice. On ruine les bonnes incitations et on crée, en souhaitant la réduire, de la pauvreté. Seule l’égalité des droits est à la fois juste et compatible avec la liberté individuelle.
Cependant, il y a consensus sur le fait que la France est sclérosée par la paralysie de l’ « ascenseur social ». Comment conjuguer les principes de liberté et d’égalité pour le refaire partir ?
Il est tout à fait juste de dire que l’économie française est sclérosée. Mais cette sclérose et cette immobilité sociale résultent précisément de la recherche toujours plus grande de l’égalitarisme. Une réforme fiscale aboutissant à des taux d’imposition marginaux plus faibles, c’est-à-dire pénalisant beaucoup moins l’effort et l’épargne, accompagnée de la remise en cause des privilèges et de la rigidité du marché du travail pourraient sans aucun doute aider à relancer l’ascenseur social. Mais la sclérose de l’économie est aussi engendrée par l’interventionnisme étatique grandissant dans les sociétés occidentales ainsi que par la gestion déplorable de l’État. À long terme, la liberté économique est le fondement de la prospérité.
Comme en témoigne le cas de la Chine…
Il est fascinant de voir combien une légère ouverture, y compris dans un contexte désespérément fermé, crée immédiatement du développement, puis, à terme, des aspirations irréversibles à plus de liberté politique, de démocratie, etc. Les pays les plus libres sont aussi ceux dont le revenu par habitant est le plus élevé. Même les pays de l’Europe nordique se sont réformés et ont largement accru leur niveau de liberté économique. C’est ainsi que la Suède, malgré son passé fortement socialisant, a aujourd’hui une économie plus saine que la nôtre. Or, dans notre pays, la liberté économique est en constante diminution depuis plus de dix ans. C’est un indicateur important des problèmes à venir. C’est aussi, a contrario, une clé de réforme formidable qui, étrangement, n’intéresse pour l’instant aucun homme politique français.[/access]
*Photo : wikipedia.
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