« Il y a une psychologie du radicalisme, surtout reconnaissable à la croyance en la possibilité d’un autre monde », écrit Mathieu Bock-Côté. On ne comprend rien à l’idéologie multiculturaliste si on la considère comme le simple discours d’accompagnement d’une mutation sociologique ayant affecté la composition ethno-culturelle des sociétés occidentales. Il faut faire le détour par l’historique de ce système de croyance. Et retourner jusqu’aux années 1960-1970.
Aux alentours de 1968, la foi communiste se consume dans un ultime brasier. L’Union soviétique, phare des intellectuels progressistes d’après-guerre, cesse de faire rêver. Et les ouvriers font savoir aux étudiants qu’à leur Grand Soir ils préfèrent des augmentations de salaires. Lénine avait raison : le prolétariat n’est pas à la hauteur de sa mission historique. Il va falloir lui trouver un substitut. D’où la multiplication des « fronts secondaires » dans les années 1970 : lutte des femmes, régionalismes, émancipation des homosexuels, comités de soutien aux prisonniers, aux immigrés, etc. Le communisme cesse d’être l’horizon révolutionnaire, mais la pulsion nihiliste qui le nourrissait se réinvestit. L’ennemi n’est plus le capitalisme, mais l’Occident. La bataille change de terrain ; elle ne se livre plus sur le champ économique et militaire, mais sur le plan culturel.[access capability= »lire_inedits »] C’est le moment de la « déconstruction ». Il faut démolir les institutions ; favoriser la marginalité, la déviance et combattre la norme.
Le nouveau prolétariat est vite trouvé : c’est « l’autre ». Doté d’un regard étranger, il sera l’agent rêvé de la Grande Déconstruction de la culture occidentale. La nouvelle gauche se rabat sur la politique des identités. La démocratie est vidée de son sens : elle n’a plus pour objectif l’émancipation des individus, mais l’égalité des groupes identitaires. Et comme certains d’entre eux ont subi, dans un passé plus ou moins mythifié, des torts historiques, il faut les réparer aujourd’hui ; en leur accordant des droits particuliers et supplémentaires.
Le résultat, nous l’avons sous les yeux. Bock-Côté l’appelle « la société diversitaire ». Une société éclatée, sans normes ni culture commune. Le cadre traditionnel du débat civique, la nation – au nom de laquelle s’est faite notre Révolution de 1789, est récusé, évidé. Les individus sont abandonnés par l’État républicain à des « leaders communautaires », qui parlent en leur nom et se chargent de faire rentrer dans les rangs les récalcitrants. Le peuple est tenu en suspicion : sa rééducation n’est jamais achevée. La justice et des agences supra-nationales dépourvues de toute légitimité démocratique sont chargées d’une mission subsidiaire de contestation de la souveraineté populaire.
Contrairement à la doxa, le multiculturalisme n’est donc pas le couronnement du processus démocratique. Il est le moyen trouvé par l’éternel courant révolutionnaire pour abattre la République. Bock-Côté, qui a été le témoin de la tentative de noyer l’identité québécoise dans le multiculturalisme canadien, est l’un des meilleurs analystes du phénomène.[/access]
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