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« Marvin ou la Belle Education » : l’argent ne fait pas le malheur


« Marvin ou la Belle Education » : l’argent ne fait pas le malheur
Jules Porier dans "Marvin ou la Belle Education". / D.R.

Dans Marvin, la cinéaste Anne Fontaine se penche sur les rapports de domination dans un couple où l’un des partenaires est riche, l’autre pas. Une œuvre subtile qui désagrège les poncifs du sociologisme ambiant. 


Un personnage réel qui a fait de sa vie une fiction, un personnage de fiction ancré dans le réel : ce sont deux films d’une même réalisatrice, Anne Fontaine, Coco avant Chanel (2009) et Marvin ou la Belle Éducation, sorti fin novembre. Récits parallèles qui pourtant se croisent, car la problématique est la même : comment quitter la misère et devenir soi ?

Je rêvais d’un autre monde

Puisque l’époque est aux « minorités » sexuello-genrées, allons-y gaiement : nous avons donc une jeune Française du début du XXe siècle, lequel ne garantit alors aux filles, selon leur appartenance sociale et leur chance, d’autre issue que le mariage, la demi-mondanité, la prostitution ou l’exploitation laborieuse ; ceci énoncé dans l’ordre de fortune décroissant. Nous avons un jeune garçon homosexuel né dans une famille de prolos chômeurs ruraux. Alcool, misère, tabassage en règle par les petites brutes locales. Tous deux, pressentant leur inadaptation à leur environnement, comprennent peu à peu la nécessité de faire partie d’un autre monde, plus libre. Ce monde auquel ils aspirent, encore indéfini, ne saurait pour autant se réduire à sa seule dimension socio-économique, à l’aisance et au statut : Coco ricane devant les dames emplumées de la haute, plaint sa sœur pourtant fort bourgeoisement casée et s’entend comme larronne en foire avec les demi-mondaines qui hantent les scènes parisiennes. Marvin, pour sa part, trouve refuge et attention chez son prof de théâtre, homosexuel vivant en couple, fils de prolos comme lui. Ce que recherchent en réalité Coco et Marvin, c’est la liberté, une liberté indissociable de la création. De cela, ils mettront du temps à se rendre compte, et c’est ce moment de prise de conscience et de compréhension de soi-même, étiré sur des années, que raconte Anne Fontaine.

Dans ce parcours d’émancipation à la fois sociale et existentielle, il semble que la sexualité constitue un passage obligé. Obligé non pas dans le sens de contraint, mais dans le sens d’une étape qui participe de la découverte simultanée d’un milieu social et de soi-même. J’entends d’ici les clameurs : elle ne va pas nous vendre Weinstein en promoteur de jeunes talents, tout de même ? Rassurez-vous, chères âmes sensibles, loin de moi l’idée de défendre de vils serial cuisseurs abusant de leur assise professionnelle pour trousser frais jeunes gens innocents. Mais en ces temps de cochons balancés à tout vent, il est assez sympathique qu’Anne Fontaine rappelle deux choses que le puritanisme américain nous a fait oublier : il est possible de coucher pour des motifs qui ne sont pas totalement désintéressés sans que ce soit un traumatisme (et d’ailleurs, le désintéressement n’est-il pas en soi incompatible avec la sexualité ?). Réciproquement, il est possible de profiter des faveurs de jeunes gens ambitieux sans être un immonde prédateur. La relation entre Coco et Balsan et celle qui relie brièvement Marvin et Roland montrent que l’échange de bons procédés qui semble les fonder n’exclut ni affection ni bienveillance. C’est Roland, grand consommateur de jeunes hommes, qui demandera à Isabelle Huppert de s’occuper spécifiquement de son « chat » perdu Marvin, c’est par Balsan que Coco rencontrera en Boy, à la fois l’amour de sa vie… et l’investisseur qui la lancera. Là où d’aucuns (d’aucunes ?) ne voient que domination, inégalité et exploitation, réduisant par là la complexité des relations affectives à un pauvre schéma dualiste (on est soit bourreau, soit victime), Marvin, un peu paumé, et Coco, très pragmatique, voient un accès à un monde qui leur resterait sinon hors d’atteinte.

Rompre la peine

Un marxiste ne manquerait pas de rétorquer qu’ils font en l’occurrence de nécessité vertu, car après tout, contrairement à leurs partenaires respectifs, leur corps est la seule monnaie d’échange dont ils disposent. Du fait de cette inégalité, ne pourrait-on parler, sinon de viol, du moins d’abus ? Il est certain que l’absence de violence et de contrainte physique ne supprime pas l’évidente domination sociale, économique et culturelle de Balsan sur Coco et de Roland sur Marvin. Le désarroi des deux jeunes gens est palpable, face à des codes qu’ils ignorent et à l’infériorité à laquelle on les renvoie sans ménagement. Mais que voit-on en réalité ? Confronté à une domination sociale sans complexes, chacun des deux va inventer sa propre stratégie pour non seulement éviter l’humiliation, mais encore créer une égalité avec ceux dont ils dépendent pourtant, égalité qui ne repose ni sur l’argent ni sur la maîtrise des codes, mais bien sur la liberté de l’individu qui pense, agit et choisit par et pour lui-même. Rentre-dedans vestimentaire et vérités sorties sans filtre pour Coco, silence et humour grinçant pour Marvin. Le rapport de forces ne se situe pas sur le terrain socio-économique uniquement, car il a lieu tout autant, si ce n’est plus, entre les âmes. Et ne le savons-nous pas tous par expérience, que la faiblesse se déploie bien davantage dans le registre sentimental et affectif que dans celui de l’argent ?

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Nous vivons une époque qui, tout en voyant de la domination partout (car telle est bien la logique du discours victimaire des « minorités » se sentant systématiquement humiliées, discriminées, etc.), refuse d’en admettre à la fois la dimension absolument inévitable mais aussi et surtout la plasticité. Car la roue tourne, les individus pensent, choisissent et agissent. C’est la petite cousette sortie de nulle part qui fera des grandes bourgeoises ses obligées. C’est le petit pédé du quart-monde qui deviendra le partenaire de scène d’Isabelle Huppert et gageons, aussi, la coqueluche des médias.

Ce passage obligé par l’intimité physique avec des partenaires qui sont aussi des viatiques pour la liberté relève aussi, pour Coco comme pour Marvin, de l’initiation et de la découverte de soi : c’est un moyen de savoir qui ils sont et de préciser ce qu’ils veulent (ce qui est la même chose). Coco ne supporte pas la bêtise de la vie de Balsan, Marvin comprend qu’il n’est pas un chat perdu parmi d’autres, un gigolo. Ils font donc le choix de rompre. Et comment auraient-ils pu le savoir sans en faire très concrètement l’épreuve ?

Marvin ou la Belle Education, d’Anne Fontaine, sorti le 22 novembre 2017. 

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Décembre 2017 - #52

Article extrait du Magazine Causeur




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Essayiste, journaliste, auteur de la newsletter https://annesophienogaret.substack.com/, décryptage des tactiques et de la rhétorique frériste

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