Depuis son entretien au JDD, Martine Aubry a fait bruisser le landerneau politique durant tout le week-end. Ce n’est pas compliqué, il n’y en avait que pour elle, au point que fut oubliée la prestation pourtant excellente et presque apaisée d’un Mélenchon à On n’est pas couché. Qu’avait donc fait la maire de Lille, repliée depuis un certain temps sur le bastion de la métropole lilloise pourtant bien ébranlé lors des dernières municipales ? Elle avait ressuscité l’espoir à gauche, rien que ça, d’un claquement de doigt. Et que je te dénonce l’impasse libérale du gouvernement, et que je t’appelle à une « social-démocratie rénovée », à la relance et à l’union des forces de gauches, même très à gauche.
Et, par la magie de son verbe, la voilà à coups de tweets et de déclarations comme celle de Laurent Baumel, intronisée par les frondeurs du PS eux-mêmes comme la nouvelle Eva Peron de ce qu’on pourrait appeler « la gauche un peu à gauche quand même ». Ils ne sont pas rancuniers, les frondeurs… Ils s’épuisent depuis des mois à dire ce que dit Aubry en ce beau dimanche d’octobre, ils passent pour des traîtres, ils sont instrumentalisés par la droite comme bélier contre la politique gouvernementale, ils voient des ministres qui parlent comme eux se faire virer et ils vivent dans la schizophrénie qui consiste à rester dans une majorité qu’ils détestent mais avec laquelle ils ne peuvent rompre pour des raisons de scrutin majoritaire qui les feraient aller à l’abattoir électoral après une éventuelle dissolution.
Nous voudrions apporter quelques nuances à ce portait d’une Martine Aubry ripolinée en rose soutenu, presque en rouge. Pour commencer en rappelant des choses que tout le monde sait. Martine Aubry est au moins aussi copine avec les patrons que Manuel Valls ou le banquier Macron (je sais, oui, ce n’est pas bien, je parle comme Mélenchon mais ça soulage et pour ma peine, la prochaine fois, je ferais Lille-Paris en car avec les pauvres). Ce n’est pas un défaut en soi d’être copine avec des patrons, moi-même j’ai des amis de droite, par exemple, voire très à droite. En revanche, quand on en fait une ennemie historique du patronat parce qu’elle a fait voter les 35 heures, il faudrait rappeler que l’idée, à l’origine, est de… Strauss-Kahn, qu’elle y était opposée vu ses liens avec le chef du Medef de l’époque, Jean Gandois, et qu’elle ne les a défendues en 1997 que par loyauté gouvernementale.
L’autre nuance que nous aimerions faire connaître à nos aimables lecteurs est le comportement de Martine Aubry vis–à-vis de sa propre gauche, ses propres frondeurs lors des dernières élections municipales. En 2008, elle avait été élue avec 66, 5% des voix au second tour à la tête d’une liste classique d’union de la gauche (PS-PC) qu’elle avait élargie entre les deux tours aux écolos (11, 5%), ce qui était prévu et au Modem (7, 8%), ce qui ne l’était pas et ce qui avait fait grincer, déjà, quelques dents communistes. Elle avait donc gagné contre son challenger de l’UMP qui n’avait rassemblé qu’un peu plus de 33% des suffrages exprimés. En 2014, le paysage était très différent. Non seulement la droite était en forme mais les sortants communistes, au nom de la stratégie du Front de gauche, décidèrent de faire une liste autonome avec le PG. Cela rendit furieuse la maire de Lille qui vit là la trahison d’une alliance pluridécennale. Aussitôt, la chasse aux cocos fut décrétée à Lille, mais aussi dans tous le départements par Gilles Pargneaux, l’homme à tout faire, adjoint au maire et aussi député européen. Plus une équipe socialiste, partout dans le département du Nord, ne devait accepter de communistes sur ses listes. La consigne ne fut pas suivie la plupart du temps mais c’est l’intention qui compte. La liste FDG de Lille eut beau jeu de faire remarquer que les écolos avaient eux le droit de se présenter seuls au premier tour avant de fusionner au second, Aubry objecta que ce n’était pas la même chose, que les communistes étaient des traîtres et qu’ils allaient le payer.
Quand le premier tour arrive, c’est à Lille comme ailleurs, une catastrophe pour les listes socialistes. Aubry de 46% au premier tour en 2008 se retrouve à 34, 8%. Plus de onze points dans les dents. La liste FDG, elle, pour son premier tour de piste, fait 6,2% et les Verts restent stables à 11%. Et, comme partout, le FN fait son apparition en force avec 17%. Et si Aubry regarde en plus les résultats de la Métropole, elle comprend en voyant ce qui se passe à Roubaix et Tourcoing, villes socialistes déjà virtuellement perdues, que ce sera très dur de rester présidente de la communauté urbaine. Mais les grandes politiques cachent leur dépit et leur fureur. Devant les télés nationales, elle compte large, additionne les voix socialistes, vertes, FDG et même l’extrême gauche et elle explique que le total gauche reste stable à 60%.
Très heureux, le FDG se présente aux négociations d’entre deux tours (on a trente-six heures pour boucler les listes en préfecture) et négocie sur la base de 10% de sièges puisqu’il représente 10% du total gauche. Reçus par le fameux Gille Pargneaux, les candidats du FDG, y compris les élus sortants se voient opposés une fi de non-recevoir. Les écolos, eux, reçus par Aubry, se font aussi incendier au point que le FDG et les écolos pensent un instant à élaborer une liste rouge verte. Aubry l’apprenant, et comprenant que dans ce cas de figure elle serait confrontée à une quadruganlaire PS/UMP/FN/ Rouge-Vert, accepte les conditions des écolos mais reste inflexible sur l’éradication totale du FDG et de ses anciens adjoints cocos qui n’avaient pas démérité pourtant, que ce soit au logement ou aux handicapés.
Bref, le communiste lillois, il a comme un sourire amer quand il voit Martine Aubry se refaire une virginité à gauche quand il sait qu’elle a préféré de fait, alors que le FN entrait en force au conseil municipal, se priver de conseillers Front de Gauche uniquement par orgueil blessé. Aubry à gauche nationalement ? Je ne sais pas. Mais aubryste à Lille, assurément.
*Photo : Michel Spingler/AP/SIPA. AP21568267_000009.
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