Manuel Valls a donc obtenu une majorité relative mardi lors de son nouveau discours de politique générale alors qu’en avril dernier, il bénéficiait encore d’une majorité absolue. Une cinquantaine de députés se sont abstenus, marquant sa différence mais n’allant pas jusqu’à voter contre, consciente qu’elle aurait alors pris la responsabilité de déclencher la dissolution de leur assemblée et le retour hautement périlleux devant les électeurs. Que vaut une fronde, en effet, face au feu nucléaire de l’article 12 de la Constitution ?
Parmi ces fameux « frondeurs », on a pu noter la présence de proches de Martine Aubry, dont Christian Paul, député de la Nièvre, qui en était l’un des porte-paroles les plus actifs, mais aussi Jean-Marc Germain ou François Lamy. Depuis la célèbre braderie de Lille, l’ancienne patronne du PS avait plaidé pour « l’indépendance de chacun », ce qui avait été interprété comme un soutien à demi-mot aux fameux frondeurs. Il n’est un secret pour personne que Martine Aubry ne porte ni François Hollande ni Manuel Valls dans son cœur. Elle n’a pas digéré sa défaite à la primaire et considère, à tort ou à raison, qu’elle aurait été meilleur chef d’Etat que le premier et meilleur premier ministre que le second. Les frondeurs aubrystes ont annoncé que leur patronne allait parler un jour et que, ce jour-là, cela ferait mal. Le problème c’est qu’on voit mal ce qu’elle aurait à proposer de différent du gouvernement Valls II. C’est bien joli d’être « marquée plus à gauche », mais si on n’est pas prête à assumer quelques ruptures, c’est une juste question de couleur d’étiquette.
Du reste, cette étiquette est née de malentendus que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans ces colonnes. Martine Aubry doit notamment cette image à Philippe Alexandre et son fameux pamphlet sur La dame des trente-cinq heures qui l’a pourtant faite beaucoup souffrir avant de lui rendre ce service : pour la plupart des gens, elle est à l’origine de la mesure sociale phare du gouvernement Jospin, conquête pour les uns, boulet pour les autres. Or, elle n’en est pas vraiment l’instigatrice puisque c’est Dominique Strauss-Kahn qui l’a pensée. Aubry doit aussi cette étiquette à la manière dont elle a mis la main sur l’aile gauche du PS, scellant une alliance avec Benoît Hamon face à Ségolène Royal lors du congrès de Reims en 2008, rejetant ainsi la perspective d’une ouverture à François Bayrou, proposée par l’ancienne candidate à la présidentielle. Mais l’arbre Hamon cachait une forêt peuplée notamment de DSK, de Delanoë, de Fabius et de tous les adversaires de Royal en général.
En réalité, Martine Aubry, sur les dossiers économiques et sociaux, n’a rien de « plus à gauche » à proposer que le Président actuel. Peut-être aurait-elle souhaité aller plus loin sur le terrain sociétal : droit de vote des étrangers aux élections locales, procréation médicale assistée pour les femmes célibataires et homosexuelles. Mais sur le reste ? Comme souvent, c’est le sujet européen qui bloque. Si l’on ne souhaite pas remettre en cause l’Europe telle qu’elle est construite et continue à fonctionner, lorsqu’on a approuvé les différents traités qui la constituent, on n’a pas davantage de marge manœuvre que Nicolas Sarkozy hier, et François Hollande aujourd’hui. Ce n’est déjà pas facile pour des militants du Oui à ces fameux traités de se déjuger, imaginez ce que cela doit être pour la propre fille de Jacques Delors ! Aubry pourrait certes sauter comme un cabri sur sa chaise en criant « Europe sociale, Europe sociale ! », comme le faisait déjà son père il y a vingt-cinq ans, tout en mettant en place la liberté de circulation des marchandises et des capitaux, que cela ne constituerait en rien une différence avec François Hollande ou Manuel Valls. On peut même légitimement se demander si elle aurait aussi « souhaité mettre l’Allemagne en face de ses responsabilités » comme l’a fait mardi le Premier ministre dans une geste très montebourgienne. Bref, ce n’est pas d’elle qu’on peut attendre une rupture dans ce débat-clef.
La partie aubryste des frondeurs est-elle naïve ? Est-elle consciente de l’orthodoxie de la patronne, faisant alors preuve d’une duplicité coupable ? Dans les deux cas, ces députés ne rendent pas service au débat politique qui fourmille déjà de malentendus regrettables.
*Photo : BAZIZ CHIBANE/SIPA. 00597060_000006.
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