Martin Suter, romancier suisse exilé à Ibiza, a pris soin de s’entourer d’experts de la question bancaire pour la rédaction de son dernier livre. Il n’est pourtant pas un novice en la matière. Lauréat en 1995 du Prix autrichien de l’industrie pour ses contributions à la rubrique Business du très à droite Die Weltwoche, ce zurichois connait la musique.
Montecristo aurait pu donner un coup d’accélérateur symbolique au délitement de la toute-puissante banque suisse que certains appellent toujours plus fort de leurs voeux – pour des raisons toujours plus obscures, mais passons. Il y a effectivement une jouissance à dynamiter ou à voir dynamiter les institutions et les monuments dans les oeuvres de fiction, à assouvir ses instincts de destruction.
C’était l’occasion. C’était même bien parti. Suter avait réuni un conseiller bancaire blasé, des économistes pas dupes, leurs hommes de main aux méthodes expéditives, une imprimerie sécurisée véreuse au bord du dépôt de bilan, une jolie fille en talons aiguilles et deux billets authentiques portant le même numéro de série autour de Jonas Brand, journaliste trop curieux (ils le sont toujours trop). Avec ce scénario, on pouvait même fermer les yeux sur la traduction, très passable comme souvent. Mais voilà. Aussi efficacement que l’école française tue ses germanistes dans l’œuf, ce canevas hollywoodien ne donne rien.
Ce qui paraît suspect ou accablant à ce journaliste d’investigation raté n’est surprenant pour personne d’autre: les banquiers helvétiques sont discrets et ne parlent pas à la presse, la police garde un œil sur quiconque enquête sur ce terrain, il arrive que des traders se suicident sans que personne ne comprenne pourquoi, il est rare de croiser des pendulaires de bonne humeur dans les wagons restaurants des Intercity… Oui. La finance a ses raisons que la raison ne connait pas.
L’intrigue est bien menée, les personnages crédibles, avec une mention spéciale pour la femme de ménage croate au parler fleuri, mais la mèche qui aurait pu faire sauter la bombe romanesque est humide. La banque suisse plie et ne rompt pas, en réalité comme en fiction.
Fataliste, Montecristo est la chronique d’une affaire parmi tant d’autres au pays tranquille de l’horloge et du chocolat. Dommage ?
Martin Suter, Montecristo – Christian Bourgois Éditeur.
*Photo : Sipa. Numéro de reportage : 00603195_000008.
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