Martin Heidegger, le « plus grand philosophe du XXe siècle » selon Hannah Arendt, était membre du Parti nazi dans les années 30.
Même si j’ai lu il y a longtemps le maître ouvrage philosophique de Martin Heidegger, Sein und Zeit (Être et Temps), je n’ai jamais eu vraiment la tête philosophique. Malgré ma dilection intellectuelle pour cette discipline de la pensée pure, lors de mes études supérieures j’étais plus attiré par la limpidité de la littérature. Elle m’était plus accessible que les brouillards même géniaux de Martin Heidegger.
On comprendra alors pourquoi le court texte de Roger-Pol Droit (dans la série « Philosophes et despotes » du Monde) sur Martin Heidegger m’a passionné. Abordant le problème de la relation de Martin Heidegger avec le nazisme, Roger-Pol Droit affirme qu’il y a eu d’emblée une totale convergence entre la pensée du philosophe et l’idéologie du Führer, qui a duré avec une intensité et un soutien bien au-delà de ce que Martin Heidegger qualifiait en 1960 de « grosse bêtise ».
Ce n’était pas seulement les mains d’Hitler que Martin Heidegger admirait (« Il a de si belles mains », écrit-il pour justifier son enthousiasme) mais sa vision de l’Allemagne, de sa race, de sa force et de sa langue, qui s’opposait radicalement au « monde de la raison, de l’humanisme, de la loi morale universelle, un monde déraciné, hors-sol, enjuivé », et qui doit être écrasé. Si on pouvait douter du caractère profond et virulent de son antisémitisme, comme certains, dont Jean Beaufret, ont tenté de le démontrer en le situant seulement entre avril 1933 et mars 1934, la publication de ses Cahiers noirs a levé toute équivoque. Martin Heidegger était antisémite viscéralement, haineusement.
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Il faut donc accepter l’idée que dans le cerveau complexe de ce génie de la philosophie, cohabitaient la pensée avec ses abstractions, fulgurances et obscurités et l’abjection d’une détestation aux antipodes de ce premier univers.
Martin Heidegger ne semble pas avoir été obsédé par l’ambition de devenir un « conseiller du prince », un inspirateur d’Hitler. Ce qui lui importait était de bénéficier d’un certain nombre d’avantages, notamment pour la réédition de ses livres jusqu’en 1944. D’être bien en cour.
Je m’interroge. S’il est clair que l’esprit philosophique le plus profond et complexe qui soit n’a jamais détourné d’une alliance avec le pire de l’Histoire, Martin Heidegger a-t-il élaboré sa pensée parce que le nazisme existait et qu’elle en a été irriguée ? Ou bien a-t-il découvert que l’idéologie nazie, avec son mépris structurel et son éradication de l’humain, rejoignait, miraculeusement selon lui, ce que sa réflexion avait toujours été depuis ses origines ?
Il y a sans doute des problématiques plus actuelles et brûlantes que ce débat concernant Martin Heidegger. Certes mais il n’empêche que ce n’est pas rien que de savoir, sans le moindre doute aujourd’hui, que Martin Heidegger était tout contre Adolf Hitler et qu’on ne pourra plus jamais le lire et l’étudier en oubliant cette sombre et terrifiante fraternité. Triste limite de la philosophie qui ne préserve pas de tout !
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