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Marthe Keller a toujours eu «quelque chose»

La chronique dominicale de Monsieur Nostalgie


Marthe Keller a toujours eu «quelque chose»
L'actrice suisse Marthe Keller, à Hollywood, "Marathon Man", 1976 © REX FEATURES/SIPA

Marthe Keller nous confie « Les Scènes » de sa vie avec pudeur tout en réaffirmant sa passion intacte pour le métier d’actrice et en rappelant l’essence même de l’art du jeu


Pourquoi aime-t-on tant Marthe Keller ? Pour Koba, bien sûr. Cette Heidi égarée sur le pont d’Avignon qui apparut à l’hiver 1972 au côté de Louis Velle. Princesse de l’ORTF dont les aventures sentimentales, naïves et sincères, marquèrent l’âge d’or d’une télévision française de qualité. C’est-à-dire populaire sans être miséricordieuse, sincère sans avilir les sentiments.

Charme suisse

Pour un justaucorps rouge aperçu chez Philippe de Broca dans une famille échevelée de châtelaines désargentées lors d’un film tourné juste après les événements de Mai 1968. Pour cette beauté venue des montagnes suisses à l’accent guttural et au charme indéfinissable. Chez Marthe, il y a ce visage doux et mélancolique qui excelle aussi bien dans le registre de la comédie légère que dans celui du drame intimiste. Rigolote aux jambes de ballerines, mystérieuse et possédée, Marthe est, par nature, inclassable. Une mère et une actrice de premier plan. On la croit malléable, elle a conservé le mental d’acier de ses jeunes années comme danseuse au Kinder Ballett. Dure au mal, portée par un feu intérieur au service d’une œuvre, elle ne vacille pas. Elle est posture et musique, maintien et ondoyance, rigueur et émotion. « Un ménisque en bouillie à 16 ans » après un accident de ski, activité qui lui était contractuellement interdite, décida de sa réorientation artistique. Elle apprendra son nouveau métier de comédienne à Munich. Elle fut aventureuse dans ses choix et sut se réinventer quand cette expression n’était pas le masque des usurpateurs. Elle n’hésita pas à conquérir des univers fort éloignés, d’un théâtre berlinois d’avant-garde aux studios d’Hollywood, d’Arsène Lupin aux Dialogues des Carmélites.

Opiniâtre et discrète, elle a tracé une carrière internationale où elle aura très souvent brouillé les pistes. Elle possède ce qui ne se commande pas, une sorte de vérité brute, pas du tout minaudeuse ou capricieuse, une vérité qui étreint sans importuner. D’autres actrices s’imposent par l’éclat et le fracas, Marthe, à bas bruit, sans gestes superflus, rend ses personnages totalement vibrants et inoubliables. A la lecture de son livre Les Scènes de ma vie aux éditions Les Presses de la Cité écrit en collaboration avec Élisabeth Samama, on redécouvre cette énigme helvétique. Cette fausse autobiographie raconte d’une manière impressionniste une carrière finalement très iconoclaste, tordue et brillante à la fois. Ne vous attendez pas à des déclarations péremptoires, des règlements de comptes à quarante ans d’intervalles, des confessions impudiques. Marthe Keller parle d’elle, de son long cheminement, de son enfance auprès de parents aimants, de ses lectures, de ses rencontres mais surtout de l’appétit pour un métier qui ne pardonne rien aux ingénues.

Pas une donneuse de leçons

Marthe est trop intelligente pour donner des conseils, affirmer des certitudes sur les méthodes d’enseignement, elle nous fait seulement part de son expérience. Ce livre est un passage de relais. Toutes les jeunes actrices devraient le lire. Avec beaucoup de tact et de prévenance, il montre comment une débutante va prendre son destin en main et tenter de se faufiler dans une profession si aléatoire et injuste. Voyeurs que nous sommes, avides de détails, nous n’en saurons pas plus que nécessaire sur sa relation avec Al Pacino. Marthe ne dira rien de plus que l’essentiel selon elle. Nous apprendrons juste que, fraîchement débarquée à Paris, elle logera avenue Charles-Floquet chez la princesse Soutzo, l’épouse de Paul Morand, et que sa tentative de repeindre une armoire chinoise lui coûta plus que le prix du pot de peintre. Le voyage commence avec Rochefort, Marielle, Montand, se poursuit avec Dustin Hoffman, Billy Wilder, Sydney Pollack, Marlon Brando, l’Actors Studios époque Lee Strasberg ou encore Patrice Chéreau.
On navigue dans les grandes eaux, au pays des grands fauves.
Comment a-t-elle appris à jouer, comment s’est-elle nourrie des autres et notamment des compositeurs ? Comment a-t-elle su exister dans une profession où la chance ne sourit qu’aux audacieux ? « J’ignore si on peut se représenter l’ennui d’une enfance en Suisse quand on ne l’a pas vécu » écrit-elle, dès les premières pages, donnant le ton. Dès sa première audition, ses examinateurs du Théâtre de la Ville à Bâle lui avaient trouvé « quelque chose ». Ils ne s’étaient pas trompés.

Les Scènes de ma vie de Marthe Keller- Les Presses de la Cité. 224 pages

Les Scènes de ma vie

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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