Nouveau drame du séparatisme. Les Marseillais demandent à ne pas orner le Stade-Vélodrome de l’inscription « Paris 2024 », pour respecter la rivalité historique entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain.
Pourra-t-on orner le stade Vélodrome de Marseille de l’inscription « Paris 2024 », dans un an, quand débuteront les Jeux olympiques ? La question n’est pas tombée au bac de philo mais des élus marseillais, parmi lesquels l’adjointe au maire PS, Samia Ghali, se la posent très sérieusement. « Un point retient particulièrement notre vigilance et appelle de notre part inquiétude et désaccord profond. Il s’agit de l’inscription des insignes Paris-2024 sur la casquette extérieure du Stade-Vélodrome », avait d’abord écrit l’élue à Tony Estanguet, le président du comité d’organisation des Jeux. « Protéger l’identité de notre stade, l’histoire de notre club [l’Olympique de Marseille], c’est le choix que nous avons fait avec Benoit Payan [l’actuel maire de Marseille] en demandant de ne pas apposer Paris2024 sur le toit du stade » a finalement déclaré l’élue sur les réseaux sociaux, dimanche 9 juillet. « Le Vélodrome est le temple du football à Marseille, avec son club historique. Apposer Paris sur le stade serait très mal vécu par les Marseillaises et les Marseillais », a précisé enfin Samia Ghali à l’AFP.
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Rassurer les fadas et les minots
On l’oublie parfois, mais les Jeux olympiques ne se cantonnent pas à la seule ville organisatrice désignée par le CIO. En 2024, le site de Teahupo’o à Tahiti accueillera les épreuves de surf, habile manière de rappeler que le soleil ne se couche jamais sur la France d’Emmanuel Macron. Quant aux tournois de football féminin et masculin, ils seront disputés dans plusieurs stades. En 1992, Barcelone ne les avait partagés qu’avec les grandes villes voisines de la Catalogne, Valence et Saragosse. Cette fois, le Parc des Princes partagera le tournoi avec les stades de Nantes, Bordeaux, Lyon, Saint-Etienne, Nice et… Marseille. La cité phocéenne accueillera par ailleurs les épreuves de voile. En toute logique, les stades sont censés arborer l’habillage du tournoi olympique. Le comité olympique a tenu à rassurer tout le monde : « Paris 2024 travaille avec l’ensemble des collectivités hôtes des Jeux sur la meilleure manière de déployer le “look des Jeux” avec depuis le départ une approche qui offre plein d’adaptations possibles et pour la première fois un look personnalisable pour les villes. Il sera tout à fait possible de ne pas mettre “Paris-2024” sur la casquette extérieure du Vélodrome tout en mettant le stade aux couleurs du look des Jeux ». On imagine le soulagement de l’ancienne sénatrice phocéenne, animée par des préoccupations de la plus haute importance : minots, fadas et cagoles pourront aller au stade sans croiser du regard le nom de la capitale honnie.
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Une ville qui craint degun
On pourrait s’amuser à faire une histoire de la défiance de Marseille envers Paris. Rattachée à la France avec le reste de la Provence en 1481 à la mort de Charles V d’Anjou, Marseille a gardé une certaine autonomie municipale, comme d’autres villes du Sud de la France. Ville turbulente durant l’Ancien Régime, qui tarde à reconnaître Henri IV comme roi de France, elle se mouille ensuite dans la Fronde durant la minorité de Louis XIV. Le Roi-Soleil en tint rancœur et fit une entrée musclée dans l’enceinte de la ville en 1660 en perçant une brèche dans les remparts, non sans avoir fait désarmer les habitants de la ville (sous peine de mort), aboli les institutions municipales et réclamé une contribution exceptionnelle de 750 000 livres. Une ambiance plus pesante encore que les dernières visites présidentielles dans la capitale provençale, et en rupture avec l’attitude des précédents rois de France, qui s’arrêtaient à la porte Réale et juraient de respecter les « privilèges, franchises et libertés de la ville de Marseille ». La République n’a guère freiné la dynamique centralisatrice de la monarchie, si bien qu’au XIXème siècle, la Provence allait être le berceau d’un régionalisme nostalgique, autour du Félibrige de Frédéric Mistral. Paris a certes cherché à désenclaver Marseille en creusant dans les montagnes pour que le TGV s’y arrête, à partir de 2001. Il n’y a pas que les montagnes qui ont été percées, mais aussi les oreilles, avec vingt ans de musique du générique de Plus belle la vie, tarte à la crème cathodique et journalière proposée par le service public pour nous convaincre que Marseille allait bien finir par rentrer dans le rang de la bien-pensance et du vivre-ensemble. Malgré ces nobles efforts, la ville reste à part dans le concert des métropoles françaises : elle est la seule à accorder de gros scores au Rassemblement national aux élections locales et nationales, alors que les autres grandes villes chouchoutent les candidatures écolos. Au moment de la crise du Covid, il y avait encore quelque chose de cette vieille rivalité entre Paris et Marseille dans le bras de fer entre le professeur Raoult, champion marseillais de l’hydroxychloroquine, et Yves Lévy, ancien patron de l’Inserm et représentant du milieu médical parisien.
Une rivalité footballistique inventée de toute pièce
Mais c’est quand même la rivalité footballistique qu’avait principalement en tête Samia Ghali. D’où l’évocation indispensable, à présent, de l’Olympique de Marseille dans cette analyse. Désormais connue sous le nom très galvaudé de « classico » ou « classique à la Française », la rencontre biannuelle entre l’OM et le PSG est censée être le rendez-vous fort de la saison du championnat de Ligue 1, même si depuis le rachat du club parisien par les Qataris, l’écart de niveau entre les deux équipes a quelque peu tué l’enjeu. Paradoxalement, Daniel Riolo et Jean-François Pérès avaient montré, en 2005, dans OM-PSG, PSG-OM, les meilleurs ennemis: enquête sur une rivalité à quel point cette animosité sportive avait été tardive et créée de toute pièce par Bernard Tapie et Canal + au début des années 1990 pour rendre le championnat un peu plus « vendeur ». Les tacles d’Eric Di Méco ont aussi beaucoup participé à la naissance de la légende. Dans les années 80, quand Francis Borelli, président pied-noir en costard du PSG, descendait dans le Midi, il avait des airs de régional de l’étape et y était accueilli comme tel, jusqu’au jour où il a déclaré, en 1989 : « nous allons en terre hostile, voire étrangère », ce qui avait quand même eu tendance à tendre les relations entre les deux équipes.
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Pour finir, on ne résiste pas à cette plongée dans les calanques du kitsch, avec cette chanson inoubliable de Charly et Lulu qui réjouira tous les mélomanes…
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