Il est de bon ton, chez nous, de tresser des louanges aux gouvernements et aux populations des Etats scandinaves, Suède et Norvège essentiellement, le Danemark s’étant récemment signalé défavorablement à l’attention des belles âmes françaises par l’affaire des caricatures de Mahomet.
Ces pays nous font honte, paraît-il, lorsqu’on les compare au nôtre dans le domaine des inégalités sociales, de la place faite aux femmes en politique et dans la société. Ils représentent, pour nos moralistes hexagonaux, un modèle dont il urgerait que nous nous inspirions. Comme si les recettes qui marchent dans une société ethniquement et culturellement homogène, dont les valeurs se fondent sur l’éthique luthérienne, étaient transposables dans notre France faite de bric et de broc, et suivant des préceptes moraux situés à cent lieues des injonctions réformées…
Grâce à l’inventeur de la dynamite, Suédois et Norvégiens, se sont attribués le droit de procéder à une distribution annuelle des prix récompensant les élèves les plus méritants de la classe mondiale dans les sciences, la littérature et de l’action internationale en faveur de la paix.
Jusque là rien à dire, sinon bien joué, puisque tout le monde trouve tout à fait normal, par exemple, qu’un comité composé de cinq éminentes personnalités norvégiennes bien connues dans leur famille et dans leur pays natal se sentent habilitées à désigner le héros de la paix de l’année.
Dans le passé, ils ont pu faire des choix courageux, comme celui d’Andreï Sakharov en pleine glaciation brejnévienne ou de Desmond Tutu au temps de l’apartheid, mais on doit aussi reconnaître qu’ils ont parfois attribué leur prix de manière quelque peu hâtive, comme dans le cas du Nobel de la Paix 1994 à Itzhak Rabin, Yasser Arafat et Shimon Peres.
Le comble semble avoir été atteint cette année avec l’attribution du prix à Barack Obama moins d’un an après sa prise de fonction, alors que les GI sont toujours engagés en Irak et en Afghanistan, et que dans le deuxième cas, au moins, ils ne sont pas près de rentrer à la maison. C’est un prix Nobel à crédit, où l’on prête au récipiendaire en toute confiance, tant l’on est certain d’avance que ses actes seront en accord avec ses paroles. En matière de crédit politique, il faut aussi se méfier des subprime qui font gonfler la bulle jusqu’à ce qu’elle explose…
Cette affaire de Nobel Lucky Luke (attribué plus vite que son ombre) nous remet en mémoire quelques événements récents qui donnent des pays du Nobel une image nettement moins sympathique que celle que l’on cherche à nous vendre.
Commençons par la Suède. Le 17 août 2009, le quotidien Aftonbladet, le plus fort tirage des journaux du royaume, publie une « enquête » du journaliste Donald Bostrom qui affirme que l’armée israélienne aurait pratiqué le vol d’organes sur des cadavres de victimes palestiniennes tuées lors d’affrontement avec Tsahal. Ce papier fait un amalgame hasardeux avec un trafic d’organe découvert cet été dans la région de New York où seraient impliqués des rabbins d’une communauté ultra-orthodoxe du New Jersey. Pour toute preuve de l’implication de militaires israéliens, le journaliste apporte des témoignages, la plupart indirects, de familles de prétendues victimes de ces vols d’organes, mais aucune preuve tangible d’accusations aussi graves.
Cette publication suscite une vive émotion en Israël qui proteste officiellement en convoquant des l’ambassadrice du royaume de Suède au ministère des affaires étrangères, à Jérusalem,. Celle-ci fait valoir à ses interlocuteurs que la liberté de la presse est constitutionnellement garantie dans son pays, mais qu’à titre personnel elle trouvait cet article « choquant ». L’affaire aurait pu s’arrêter là si le ministre suédois des affaires étrangères, Carl Bildt, n’avait pas désavoué son ambassadrice et fait savoir qu’il n’était pas question que le gouvernement de Stockholm et a fortiori un de ses diplomates porte le moindre jugement sur un article publié dans un journal suédois. Comme les lois sur la presse en Suède rendent quasi impossible d’obtenir une condamnation pour diffamation, ce refus de se prononcer sur un article incontestablement malveillant pour un pays en principe ami vaut approbation des assertions mensongères.
Nul n’ignore que Carl Bildt, et plus généralement la classe politique suédoise ne porte pas l’actuel gouvernement israélien dans son cœur. De plus, les Suédois sont les premiers, au sein de l’UE, à avoir fait une brèche dans le boycottage politique du Hamas. C’est tout à fait leur droit, mais cela justifie-t-il que l’on cautionne des accusations aussi monstrueuses ? On pourrait penser, au contraire, qu’une prise de distance claire et nette par rapport à ces billevesées qui rappelle les vieilles accusations de meurtre rituel ajouterait du poids aux prises de positions de la Suède dans le conflit israélo-palestinien, en lui évitant d’apparaître exagérément partiale. Le prétexte du caractère sacro-saint de la liberté de la presse au pays de Bergman et d’Ikéa peut alors masquer le comble de l’hypocrisie : laisser publier tout et n’importe quoi n’empêche personne de formuler un avis sur ce qui est imprimé.
Les Norvégiens, maintenant. Voici une monarchie pétrolière et gazière dont les souverains ne viennent pas flamber leurs pétrodollars au casino de Monte-Carlo ou dévaliser les boutiques du faubourg Saint-Honoré. Dans une grande sagesse apprise des écureuils de la forêt boréale, le gouvernement d’Oslo a constitué un fonds de garantie des retraites alimenté par les bénéfices produits par l’exploitation et la vente des hydrocarbures. Ce fonds, judicieusement placé dans des valeurs solides et performantes, servira dans les prochaines décennies à payer les pensions de vieillesse d’une population dont le faible taux de natalité ne permet pas le renouvellement des générations, et qui est rétive à ouvrir toute grandes les portes du pays à l’immigration.
La richesse, dans l’éthique protestante est indissolublement liée à une conduite morale : elle récompense le travail et le talent, mais elle oblige aussi, comme la noblesse de notre Ancien régime. Les gouvernants norvégiens veulent, certes, que leurs picaillons fassent des petits, mais ils souhaitent également produire de la plus-value éthique en excluant de leur portefeuille les méchants fauteurs de guerre ou exploiteurs d’enfants. Jusque-là on peut considérer cette attitude respectable. Ainsi la ministre des finances norvégienne vient d’annoncer que le fonds souverain norvégien venait de se défaire des actions d’Elbit, le géant israélien de l’informatique, en raison de sa participation à la construction de la clôture de sécurité qui sépare Israël de la Cisjordanie. Pourquoi pas ? Même si l’on estime que cette clôture a permis une diminution drastique des attentats terroristes sur le territoire israélien, on est en droit d’en estimer le tracé illégal, ou de déplorer les inconvénients qu’elle implique pour une partie de la population palestinienne. On retrouvera tout de même la Norvège dans le club des faux-culs : pendant que la ministre des finances joue les vertueuse, son collègue de la défense fait l’acquisition de chasseurs bombardiers américains F35, dont l’avionique est fournie par…Elbit.
Jadis, les Vikings étaient brutaux et barbares. Avec le temps, ils se sont mis au pli de l’hypocrisie doucereuse, bien plus rémunératrice, en contrats d’exportation, que la razzia côtière à coup de massue.
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