Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More, analyse l’expérience marocaine face à l’islamisme.
Des Etats-Unis au Sri Lanka en passant par la France, l’Indonésie ou le Sahel, le terrorisme islamiste frappe tous les pays du monde, orientaux et occidentaux, musulmans ou non. Le Maroc n’a pas été épargné et conserve la douloureuse cicatrice des attentats de Casablanca en 2003 (qui firent 45 morts) et de celui de Marrakech en 2011 (17 morts). Casablanca en particulier fut un véritable traumatisme, parfois comparé au 11 Septembre pour les Américains. Les années 2000 marquèrent une incontestable rupture.
A lire aussi, Driss Ghali: Maroc: ma madeleine de Proust
Au Maroc, en effet, l’architecture politico-religieuse repose sur la figure d’un roi, commandeur des croyants, qui conjugue les autorités spirituelle et temporelle. Ce système unique dans le monde arabo-musulman se combine avec une approche équilibrée de la religion, communément appelée wasatiyya (« islam du juste milieu »), et un combat affiché contre le fondamentalisme. Fort de ces remparts à la fois institutionnels et culturels, le royaume pouvait se croire à l’abri de ce type d’attaques. Pourtant, une idéologie jihadiste exogène a su séduire des ressortissants marocains et des binationaux au point de les amener à s’en prendre à leur propre pays.
Défi terroriste
Au tournant des décennies 2000-2010, le Maroc en a tiré l’enseignement que, pour répondre au défi terroriste, la solution ne devait pas être seulement sécuritaire. Les autorités ont compris l’importance d’investir non seulement les champs sociaux et économiques, mais aussi et surtout éducatifs et religieux. Il ne s’agit pas seulement de déjouer des attentats mais de convaincre de l’inanité des motivations de leurs auteurs.
En matière religieuse, le pays se réclame depuis toujours d’une lecture équilibrée des prescriptions de la Shariah, via une interprétation adaptée au contexte mais islamiquement orthodoxe. Comme l’indique le préambule la Constitution de 2011, il s’agit de concilier la « prééminence accordée à la religion musulmane » avec « l’attachement aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue ». Afin de lutter contre l’extrémisme, le roi entend s’appuyer sur cette conception modérée de la wasatiyya et s’efforce de la traduire concrètement dans les textes, comme ce fut le cas par exemple avec la réforme du code de la famille en 2003.
Islam du juste milieu
Le royaume s’est également doté d’une structure aux compétences transverses, vouée à intervenir à tous les échelons aussi bien sur la doctrine que sur la pédagogie ou l’éducation. C’est ainsi que par un dahir (décret royal) du 14 février 2006, Mohammed VI acte la création de la « Rabita Mohammedia des Oulemas », destinée à définir, diffuser et promouvoir cet « islam du juste milieu ». En direction d’une jeunesse en manque de repères comme de prisonniers endoctrinés, en utilisant les outils universitaires comme les ressources technologiques modernes, la Rabita œuvre tous azimuts, y compris à l’extérieur du royaume par le biais d’accords de coopération bilatéraux.
A lire aussi: « L’islam radical est arrivé dans le Rif par la Belgique »
Car les enjeux sont évidemment d’envergure mondiale et la lutte contre le terrorisme dépasse le strict cadre national marocain. Le contre-discours doit donc porter au delà des frontières. A cet effet, si l’Institut Mohammed VI a pour vocation première de former des ressortissants marocains à l’imamat et à la prédication en leur enseignant les principes de la wasatiyya, il accueille également de nombreux étudiants venus essentiellement d’Afrique et d’Europe. A l’issue de leur cursus, ces derniers s’engagent à retourner dans leur pays d’origine pour en constituer la future élite religieuse et y diffuser la doctrine de « l’islam du juste milieu ».
Un modèle envié
Le Maroc s’emploie ainsi à mettre en place un système global et décloisonné : la lutte contre le salafisme jihadiste est vaine si elle n’est pas soutenue par un discours religieux alternatif, la promotion de la wasatiyya est vouée à l’échec sans une déconstruction méthodique et scientifique de l’argumentaire islamiste. Sécuritaire, social, pédagogie, éducation, le défi consiste à agir de manière simultanée sur des domaines variés mais indissociables. Avec des succès évidement inégaux, le pays s’est donc engagé dans cette voie. Si depuis les attentats de Casablanca, le Maroc a de nouveau eu à déplorer des victimes du terrorisme islamiste, il est néanmoins parvenu à maintenir une stabilité politique et une constance dogmatique que bon nombre de ses voisins peuvent lui envier.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !