L’analyse de Jean-Baptiste Noé, directeur d’Orbis, école de géopolitique, et rédacteur en chef de la revue « Conflits ».
Deux histoires, deux approches du territoire, deux situations politiques : le Maroc et l’Algérie sont bien deux pays différents en rivalité permanente. Le Maroc a pour lui la profondeur historique, la longue histoire et la stabilité grâce à la famille royale. L’Algérie a, un temps, recueilli les espoirs des révolutionnaires politiques et tenté de prendre la tête d’un tiers-monde arabe, espérant jouer les premiers rôles devant l’Égypte et la Syrie. Temps révolus que la corruption, la faillite et l’enlisement social ont rangé aux placards des illusions. Ne reste plus à l’Algérie, pour camoufler encore un peu ses échecs, de faire usage de la corde nationaliste en s’élevant contre ses voisins. C’est ce qu’elle fait actuellement en ravivant les tensions avec le Maroc.
Rupture diplomatique
Le 24 août, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc puis a interdit aux avions commerciaux marocains de survoler son territoire. Le décès et l’enterrement de l’ancien président Bouteflika s’est déroulé en silence, comme pour faire oublier les échecs qu’il symbolise, et notamment ceux de l’évanescence des espoirs de l’indépendance. La rupture des relations diplomatiques trouve ses origines immédiates dans les incendies qui ont frappé la Kabylie durant l’été. Incendies majeurs que le pays a été incapable d’éteindre et de circonscrire par manque de pompiers et de matériels. Pour un pays qui se veut prospère et développé, cette impuissance a porté un grave coup à l’orgueil national. La France aurait pu prêter des Canadair à Alger, mais la pratique algérienne courante consistant à insulter Paris pour cacher ses déboires, on comprend que le gouvernement français n’ait rien fait en ce sens.
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Alger a donc accusé le Maroc et Israël d’être responsables de ces incendies. Selon la version gouvernementale, les feux auraient été allumés par des Kabyles indépendantistes financés par le Maroc et Israël, donc Rabat et Tel-Aviv seraient à l’origine des incendies. Une assertion sans fondement qui ne sert qu’à réveiller le nationalisme algérien en agitant la haine des ennemis de toujours. Il ne manque plus qu’à accuser la France d’avoir planifié ces départs de feux.
Alger a peu apprécié que le Maroc et Israël normalisent leurs relations diplomatiques, en échange d’une reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. De plus en plus isolée et en proie à une faillite économique et politique totale, l’Algérie n’a plus que la vindicte à l’égard de ses voisins pour tenter de maintenir l’unité de sa population. Cette escalade étant sans limites, il est à craindre une nouvelle « guerre des sables » comme celle qui a concerné les deux pays en 1963.
Enjeu du Sahara occidental
L’Algérie ne désespère pas de récupérer le Sahara occidental, dont la richesse en phosphate lui permettrait de donner un peu d’air à une économie exsangue. Cette région, sous contrôle de fait du Maroc, est soumise à des rivalités nombreuses : revendications de l’Algérie et de la Maurétanie, mouvement autonomiste (Front Polisario) soutenu par les voisins, action des ONG pour soutenir l’indépendance. Plusieurs de ces ONG sont financées par l’Allemagne, qui soutient les revendications autonomistes du Sahara. Depuis le XIXe siècle et la crise de Tanger (1905), l’Allemagne a toujours souhaité intervenir au Maroc. C’est à la fois un moyen de déstabiliser la France et une façon d’être présente dans la zone saharienne, cruciale pour de nombreux flux commerciaux.
Le 10 décembre 2020, Donald Trump a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les indépendantistes espéraient que la nouvelle administration américaine reviendrait sur cette décision ; peine perdue puisque la reconnaissance fut réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021. Ce fut un camouflet pour la diplomatie algérienne, ce qui a contribué à l’escalade d’août.
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Lors du dernier sommet de l’ONU à New York, le ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, Ramtane Lamamra, a de nouveau insisté sur la nécessité d’une indépendance du Sahara occidental : « L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre [au peuple sahraoui] de déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales […] Le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible. »
Ces propos, tenus le 27 septembre, ont été suivis par ceux du lendemain prononcé par le ministre de la Défense algérien où celui-ci a accusé le Maroc de conspiration et d’atteinte à la sureté de l’Algérie. « L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du Mekhzen [le palais marocain] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région. […] Ce régime expansionniste est allé trop loin, dans les conspirations et les campagnes de propagande subversives visant à réduire le rôle de l’Algérie dans la région ». Il a ensuite accusé le Maroc de « tenter de porter atteinte à l’unité [du peuple algérien] en semant la discorde et la division en son sein. [Ces actes] seront voués à l’échec, car l’Algérie est déterminée […] à défendre sa souveraineté et son unité nationale ». Des propos très lourds qui témoignent d’une montée croissante des rivalités entre les deux pays.
Allant de plus en plus vers l’escalade, il n’est pas à exclure une intervention militaire de l’Algérie.
Guerre du gaz
D’autant qu’Alger a lancé une guerre du gaz contre son voisin en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre de l’Énergie algérien a annoncé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf – Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb / Europe, qui relie Hassi R’ Mei à Cordoue via le Maroc. Ce gazoduc qui transite par le territoire marocain permet au royaume chérifien de percevoir un droit de passage payé en gaz naturel, selon des accords qui datent de 1991 et dont le renouvellement doit avoir lieu à l’automne 2021.
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En annonçant utiliser le tube direct, sans passer par le Maroc, l’Algérie prive donc Rabat de ressources gazières et de royalties. C’est aussi une façon de faire pression sur le Maroc avant l’ouverture des négociations prévues pour la mise à jour du contrat.
Le Palais marocain vient de réussir une bonne opération en politique intérieure avec la lourde défaite des islamistes et l’arrivée au pouvoir d’un parti proche du roi. Cela témoigne de l’habileté politique de Mohammed VI qui demeure à ce jour le seul dirigeant arabe à avoir évincé les islamistes de façon légale et sans recours à la force. Conforté à l’intérieur, le Maroc peut désormais affronter de façon plus sereine les tensions diplomatiques avec l’Algérie. Reste à la France à prendre sa part au dossier. Les liens historiques et économiques entre le Maroc et la France sont anciens et étroits. Alger a le soutien de l’Allemagne qui souhaite l’indépendance du Sahara occidental afin de faire main basse sur la région. Ce qui se joue donc entre Rabat et Alger concerne donc directement la France et les affaires européennes.
Source : Institut des Libertés
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