Le président algérien Tebboune rechigne à venir en France et a déjà reporté plusieurs fois sa visite. Et voilà que dans le dossier du Sahara occidental, qui empoisonne les rapports entre le Maroc et l’Algérie depuis des décennies, Paris joue Rabat contre Alger! La lettre adressée par le président Macron au roi du Maroc, assurant que le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental constitue “la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée” constitue un camouflet pour les Algériens, lesquels soutiennent les indépendantistes de Front Polisario…
Xavier Driencourt est diplomate et haut-fonctionnaire. Fait rare, il a été ambassadeur de France en Algérie à deux reprises, de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020, durant la présence d’Abdelaziz Bouteflika en tant que président.
Alors qu’Emmanuel Macron a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans un inattendu revirement, cet expert nous livre ses impressions sur le contexte géopolitique qui a présidé à ce changement.
M. Driencourt a publié L’énigme algérienne (L’observatoire, 2022) et Evian face à l’étranger (Editions du CNRS, 2023).
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Causeur. Comment avez-vous reçu le revirement d’Emmanuel Macron sur le dossier du Sahara et du Maroc ? Est-ce inattendu ?
Xavier Driencourt. Oui et non. Par certains aspects, ce changement de cap était prévisible. Il y a eu plusieurs signaux faibles qui pouvaient mettre la puce à l’oreille. Ainsi, quand Stéphane Séjourné a été désigné ministre des Affaires étrangères, il s’est immédiatement rendu au Maroc où il a tenu un discours assez inédit. Alors que le plan d’autonomie présenté en 2007 a longtemps été jugé « possible » et non comme la seule solution pour le règlement du problème, Monsieur Séjourné a déclaré à Rabat en février dernier qu’il savait que la problématique du Sahara dit occidental avait un caractère « existentiel » pour le royaume. C’était un grand pas en avant.
D’autres indices se sont alors fait jour. L’agence française du développement a notamment invité les entreprises françaises à investir dans la région du Sahara, leur indiquant que l’environnement économique y était sain. Une nouveauté, dans un contexte diplomatique qui a longtemps été difficile sous la présidence d’Emmanuel Macron. Pendant plusieurs années, les relations ont été gelées sinon polaires entre nos deux pays. Nul doute que la lettre envoyée par Emmanuel Macron à sa majesté Mohammed VI va considérablement changer la donne. On avait pu voir d’ailleurs les premiers résultats du réchauffement avec les visites de Bruno Le Maire, Franck Riester ou bien sûr Gérald Darmanin dans le cadre de l’arrestation d’un caïd marseillais qui se cachait au Maroc. Demain, les relations s’approfondiront encore.
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La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara est la phase ultime de la réconciliation. Nous rejoignons l’Espagne et les États-Unis, mais je pense que la position de la France est plus déterminante que celle de Madrid, sans manquer de respect à nos voisins d’outre-Pyrénées. Par son passé et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France a un rôle très particulier à jouer dans cette région du monde. Pendant sept ans, Emmanuel Macron a subi le chantage algérien, il s’en est désormais pleinement émancipé.
Comment l’expliquez-vous ?
Le président a vu l’impasse dans laquelle l’inflexibilité algérienne le conduisait en Afrique. Il a pris un tournant qui entrainera sûrement une reconnaissance plus large de la souveraineté marocaine au Sahara. De nombreux pays européens et africains suivront l’exemple français en se disant que si nous l’avons fait, ils devraient peut-être s’y mettre. C’est ce que craignait Alger, désormais isolé. La mauvaise humeur du régime durera sûrement un moment. Le « rappel » de l’ambassadeur en est un signe. Alger avait fait la même chose avec l’Espagne, avant de renvoyer en catimini son ambassadeur. Fait amusant, l’ambassadeur d’Algérie en Espagne était celui qui a aujourd’hui été rappelé de Paris vers Alger aujourd’hui. Il est traité d’incapable dans de nombreux médias algériens…
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Ne faut-il pas s’inquiéter de cette crise ouverte entre Paris et Alger ?
Je pense qu’il fallait en passer par là avec Alger qui attend une relation unilatérale et exclusive à son unique bénéfice. Le rapport de force était une nécessité. Les réactions politiques en France témoignent d’ailleurs d’un soulagement. Du PS au RN, à l’exception de l’extrême-gauche, les réactions sont unanimes. Il fallait crever l’abcès.
On l’oublie mais Abdelmadjid Tebboune est actuellement en campagne pour sa réélection. Il désignera à n’en point douter la France et le Maroc à la vindicte populaire comme dérivatifs des errements intérieurs du régime.
La France doit quant à elle avancer avec le royaume chérifien et cultiver une relation qui sera profitable aux deux parties.
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