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Marlène Schiappa met la main à la pâte

Quand une ministre passe à la télé dans une émission de cuisine…


Marlène Schiappa met la main à la pâte
La Ministre à la Citoyenneté, Marlene Schiappa, vêtue d'un masque chirurgical rose, au Mans, le 16/12/2021 SICCOLIPATRICK/SIPA 01053154_000015

Quand une ministre passe à la télé dans une émission de cuisine, est-ce un triomphe pour la démocratie ou pour cette hyperfestivité qui mine notre vie démocratique ?


Les Français reprochent souvent aux ministres de leur gouvernement d’être peu au fait de leurs préoccupations, voire d’être complètement déconnectés de la vie de tous les jours. Certains, parmi les plus gastronomes, les accusent même de confectionner dans les arrière-cuisines des ministères une tambouille politique infernale, des plats législatifs qui passent mal parce que trop lourds ou trop insipides, trop épicés ou trop fades. Marlène Schiappa, bien décidée à casser toutes ces images à la fois, était l’invitée de Cyril Lignac dans son émission culinaire sur M6 ce mercredi 29 décembre. Elle n’a pas hésité, depuis les cuisines du ministère de l’Intérieur, à mettre la main à la pâte.

À l’heure de l’apéritif, mettant sur le compte de récentes agapes familiales une mollesse cérébrale ne m’incitant pas à me lancer dans les œuvres complètes de Heidegger ou de Vialatte, j’ai regardé cette émission dont j’ignorais tout et que seule la publicité faite autour de la présence insolite de Mme Schiappa avait portée à ma connaissance. Juré, promis, c’était la première et la dernière fois.

Festif ? Non – hyperfestif !

Le principe de Tous en cuisine est simple et se veut festif : l’enjoué chef Cyril Lignac prépare tel ou tel plat tout en conseillant des « brigades » réparties sur le territoire et qui tentent de parvenir à l’excellence de leur illustre professeur. Normalement, si j’ai bien compris, une vedette « people » se joint à cette mascarade. Ce mercredi, la vedette en question n’était autre que notre « ministre déléguée chargée de la Citoyenneté », Marlène Schiappa. Certains parlent de confusion des genres. D’autres approuvent cette façon médiatiquement efficace, au milieu des fêtes dites de fin d’année, d’apporter son soutien à différentes associations, en l’occurence celles qui s’occupent des enfants orphelins de policiers, de pompiers et de gendarmes. Il y a plus de quinze ans, Philippe Muray avait déjà décrit cette époque qui s’enfonce, jour après jour, dans la médiocrité : à l’ère de l’hyperfestif, les événements sont remplacés par l’événementiel. L’individu disparaît pour laisser place à cet être infantilisé qui « divague sans pesanteur ». De la politique aux activités domestiques les plus anodines, rien ne doit échapper à la festivisation de toute l’existence. Sur l’écran, une mosaïque de téléspectateurs connectés à l’émission cuculinaire laisse entrevoir des ébahissements débiles, des applaudissements programmés, une connivence festive, désolante et imbécile. Mme Schiappa, consciencieuse, suit à la lettre les directives du chef, un sourire figé sur le visage. Bref, c’est la fête.

En réalité rien n’est moins festif que cette médiatisation hyperfestive : les rires décongelés des participants, la bonne humeur forcée ou graveleuse d’un prénommé Jérôme, les mines joyeusement abruties des participantes de la « brigade » de Pontault-Combault, l’immuable  sourire de notre ministre ajoutent, à la simulation, le simulacre de la fête et celui de la vie. Cette lamentable émission de télé n’est que l’aboutissement de la déréalisation du monde à laquelle ne peut pas échapper ce qu’on a coutume d’appeler la vie politique. Tout finit dans la soupe hyperfestive et le « poisson pourrit par la fête ».

La crèche médiatique

Ce peuple politique qu’était soi-disant le peuple français est devenu, à l’instar de tous les peuples des régimes hyperdémocratiques, un conglomérat d’êtres isolés et perdus qui ne supportent plus les altérités, le négatif, le tragique, et même le comique de la vie réelle. Par écran interposé, ignorant sa propre disparition, il croit que la vie, la vraie vie, la fête, la véritable fête, c’est ce décor illuminé dans lequel se trémoussent des bulles de vide. Cuisinier, participants, ministre et téléspectateurs se renvoient mutuellement l’image de ce monde sinistre dans lequel le moindre rire préfabriqué donne envie de pleurer, et où tout le monde se croit obligé de ressembler aux crétinoïdes de la crèche médiatique.

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Après avoir éteint mon poste, pour relever le niveau de cette soirée pitoyable et me refaire une santé, je me suis précipité sur la très fameuse recette du très regretté Desproges, celle du Cheval Melba, que je me permets de rappeler ici : « Prenez un cheval. Pendant qu’il cherche à enfouir son museau dans votre cou pour un câlin, foutez-y un coup de burin dans la gueule. Attention ! Sans le tuer complètement : le cheval c’est comme le homard ou le bébé phoque, faut les cuire vivants, pour le jus, c’est meilleur ! Bon. Réservez les os et les intestins pour les enfants du Tiers-Monde. Débarrasser ensuite la volaille de ses poils, crinière, sabots et de tous les parasites qui y pullulent, poux, puces, jockeys, etc. Réservez les yeux. Mettez-les de coté, vous les donnerez à bébé pour qu’il puisse jouer au tennis sans se blesser, car l’œil du cheval est très doux. Préparez pendant ce temps votre court-bouillon avec sel, poivre, thym, laurier, un oignon, clou de girofle, persil, pas de basilic, une carotte et un mérou qui vous indiquera, en explosant, la fin de la cuisson à feu vif, comme pour la recette du chat grand veneur : quand le chat pète le mérou bout et quand le chat bout le mérou pète. » D’un seul coup, je me suis senti ragaillardi. Je suis sorti pour aller caresser Félix, le poney de mon voisin. J’avoue avoir eu de mauvaises pensées. Mais l’œil du poney, plus expressif que celui de certains de nos ministres, est encore plus doux que celui du cheval. Et puis, un poney pour moi tout seul ça aurait fait trop, et je n’aime pas gaspiller. Je me suis par conséquent rabattu sur un « chat grand veneur ». Je profite de cet article gustatif pour souhaiter à tous les lecteurs de Causeur un excellent repas de réveillon de fin d’année.



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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