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Marlène Schiappa: «Les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule»

Après « Playboy », la secrétaire d’Etat répond aux puritains (1/2)


Marlène Schiappa: «Les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule»
Marlène Schiappa © Hannah Assouline

Elle va là où les autres ministres ne vont pas. Du plateau de Cyril Hanouna à la couverture de Playboy en passant par les universités d’été des Insoumis ou un débat organisé par Valeurs actuelles, la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et de la Vie associative assume pleinement sa liberté, quitte à déplaire à ses collègues, à choquer les puritains et à heurter les néoféministes. Pour la première fois, elle s’explique aussi sur le fonds Marianne.


Causeur. Après votre « une » de Playboy, un essaim de dames patronnesses s’est abattu sur vous. Derrière les critiques politiques, on a senti un petit vent de vertu outragée : « une mère ne pose pas dans Playboy », a dit Ségolène Royal. Une femme convenable n’agit pas de la sorte Marlène Schiappa ! Vous attendiez-vous à ce déferlement ?

Marlène Schiappa. Non, pas du tout ! De nombreuses personnalités politiques, partout dans le monde, ont été dans Playboy. Sauf erreur, il y a eu François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Malcolm X, Martin Luther King, Thierry Breton, Jacques Attali, Carla Bruni… Gilbert Collard est dans le même numéro que moi. Ce déchaînement en dit long sur la vision que certains ont de la liberté des femmes. Les femmes seraient libres de faire ce qu’elles veulent… Il y a beaucoup de puritanisme dans ce « sauf quelque chose ». Les propos de Ségolène Royal que vous citez montrent que, pour elle, il existe une dichotomie, dans l’identité féminine, entre la mère et la femme.

C’est la maman et la putain…

Je n’osais pas le dire. 

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Au point où vous en êtes, osez !

Banco ! Ségolène Royal qui pose à l’hôpital, juste après son accouchement en chemise de nuit, ça va, mais moi qui pose en robe dans Playboy, ça ne va pas ? Si je précise que je suis habillée, c’est parce que, pendant trois jours, les bandeaux des chaînes d’info annonçaient : « Marlène Schiappa pose nue dans Playboy ».


Vous êtes habillée mais, sur certaines images, pas excessivement. Jusqu’où une ministre peut-elle aller sans attenter à la fonction ?

Je pourrais porter la robe longue que j’ai sur la fameuse couverture dans n’importe quelle autre circonstance. Avec mon équipe, nous avons refusé certaines propositions de Playboy, trop sexy ou qui allaient trop loin. L’idée n’était pas de choquer.

Votre collègue Isabelle Rome a écrit : « Pourquoi avoir choisi Playboy alors que ce magazine est un condensé de tous les stéréotypes sexistes. Nous sommes en plein dans la culture de la femme-objet. » Vous lui avez répondu par texto, écrivant notamment: « Regarde au fond de ton sac à mains si tu trouves un peu de courage pour m’appeler. »

J’ai toujours préféré les échanges francs. Parfois volcaniques (rires).
Nous avons échangé par la suite pour apaiser les tensions parce que nous sommes dans la même équipe. Sur le fond, j’ai toujours parlé à tout le monde. Je suis allée à la convention annuelle de Valeurs actuelles, aux universités d’été de La France insoumise, ça a toujours été ma ligne et je continuerai. Après ma dernière interview à Causeur, le titre « J’adore les hommes » m’avait valu les foudres de certaines personnes qui pensent que les hommes sont nos ennemis.

Ce qui est frappant, c’est la convergence droite, gauche et centre. Puritains de tous les horizons, unissez-vous ! Derrière la prétendue défense de la cause des femmes, il y a la haine de l’érotisme et du désir, la haine de la liberté sexuelle.

Il y a effectivement beaucoup de puritanisme. Mais beaucoup de femmes de soixante ou soixante-dix ans m’ont dit : « Bravo, on vous soutient, c’est ça la liberté des femmes. » C’est étonnant que deux générations après, Mai-68 accouche de cette forme de détestation pour la sexualité et les hommes. On n’a pas fait MeToo pour interdire aux femmes de parler de sexualité.

Mais dans le même numéro, il y a une créature blonde et très dévêtue qui, pour certaines féministes, incarne la femme aliénée au désir des hommes.

Moi je suis pour que toutes les femmes fassent absolument tout ce qu’elles ont envie de faire, y compris d’être Miss France si ça leur chante. Je ne défends pas les femmes en fonction de leur comportement. Ce que beaucoup de puritains, et pas seulement les islamistes, ne supportent pas, c’est qu’une femme accepte de se montrer. J’ai été prise en photo en maillot de bain par des paparazzis, ça n’a choqué personne parce que je n’étais pas consentante. Le problème n’est donc pas la nudité des femmes mais leur liberté, le fait qu’elles choisissent ce qu’elles veulent faire de leur corps. La société n’aime pas ça.

Pour beaucoup de gens, la question est réglée.

Oui, je ne devrais pas dire « la société », mais « certains médias », D’ailleurs, Playboy a eu un énorme succès. Les ventes ont explosé. Bien sûr, l’intelligentsia s’est offusquée mais depuis 2017, elle s’offusque dès que je bouge une oreille. Redescendons sur terre, on parle de photos en robe dans un magazine !

Vous bougez souvent une oreille !

J’arrive de New York, j’étais à l’ONU pour faire voter une résolution sur l’économie sociale et solidaire, personne n’en a parlé ! Alors, je m’adapte à la société du buzz, je trolle le système !

Sur le féminisme, d’un côté, vous êtes sur la ligne universaliste (la bonne), mais en même temps vous restez un peu dans la case victimaire. « Une femme a toujours besoin d’être émancipée », dites-vous. Non, pas plus qu’un homme ! La bataille de l’égalité est gagnée parce qu’elle est la norme. Ne faut-il pas défendre la cause des hommes aujourd’hui ?

Vous avez raison, d’ailleurs, vous verrez, un jour les hommes seront contents qu’il y ait des quotas par genre, parce que cela les protégera. Et s’agissant des violences sexuelles, il y a aussi des hommes victimes, ils doivent pouvoir en parler tout aussi librement.

Je vous parle féminisme, vous répondez violences ! Mais la violence n’est pas le quotidien des relations entre les hommes et les femmes en France. Marcel Gauchet pense que la domination masculine n’existe plus. Comme le disait Napoléon : « Nous avons fini le roman de la Révolution, il faut en commencer l’histoire. »

Vous voulez dire, pour paraphraser Warren Buffett, que la guerre des sexes est terminée, et que nous l’avons gagnée ? Pourtant, derrière les critiques de Playboy, il y a aussi chez certaines la conviction qu’il ne faut pas parler avec les hommes. Laurence Rossignol a fait un tweet offusqué sur Playboy alors qu’elle avait donné une interview à Lui quand elle était ministre des Droits des femmes. Si on refuse d’aller à « TPMP » ou à Valeurs actuelles, si on ne répond pas à Playboy, chacun reste dans son couloir, avec des gens avec qui il est complètement d’accord. Ce sectarisme est délétère. Aujourd’hui, vous m’interviewez Élisabeth, cela ne veut pas dire que vous soyez devenue schiappiste…

Ni que vous soyez léviste d’ailleurs.

Il faut discuter, ne jamais dire « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau »… (rires)

Ne payez-vous pas les excès de Me Too ?

Ce que je paie surtout, c’est de n’appartenir à aucune chapelle. Je suis une féministe iconoclaste. Permettez-moi de citer la tribune que j’ai signée dans le JDD avec mon amie Tristane Banon, sous le titre « Que faire des connards innocents ? ». Peut-être que Julien Bayou ne s’est pas très bien comporté avec des femmes, mais il n’appartient ni aux médias ni à la justice de rendre un avis là-dessus. Ne pas rappeler une femme, mentir, manquer à une promesse, c’est peut-être déplorable, mais ce n’est pas pénal. On ne peut pas tolérer cette inquisition de la vie personnelle.

Le président a lui-même déclaré : « Victimes, on vous croit ! »

Il a dit aussi qu’il voulait défendre la présomption d’innocence et que ce qui faisait foi dans notre pays, c’était la justice et l’État de droit.

N’empêche que cette phrase était une lourde erreur. Et puis, ras-le-bol d’entendre parler des femmes comme de petites saintes incapables de mentir ou de fomenter des coups tordus ! C’est aussi une puissance d’être un objet de désir !

Oui ! On peut être un objet de désir et un sujet désirant à la fois. Dans l’entretien de Playboy, que mes détracteurs n’ont pas lu, j’annonce ce qui s’est passé. Les pires critiques ne sont pas venues d’hommes, mais de femmes. Beaucoup d’hommes m’ont félicitée : « Vous êtes une femme libre ! Nous ne sommes pas en Iran ! »

On nous rebat les oreilles avec la sororité, alors que la rivalité féminine est vieille comme le monde.

En effet, la sororité n’est pas un acquis, mais un combat contre soi-même, parce que cette rivalité existe, particulièrement dans les domaines compétitifs comme la politique. En politique, une femme et un homme ne sont jamais en concurrence, de même que deux personnes appartenant à des partis différents. Si bien que l’amitié idéale en politique, c’est entre une femme et un homme qui ne sont pas du même bord !

Justement, on imagine qu’Élisabeth Borne et vous n’avez pas la même conception de la liberté des femmes et du féminisme.

Vous savez, elle est beaucoup plus rock qu’elle en a l’air ! Je m’entends très bien avec elle. Je refuse qu’on instrumentalise l’affaire Playboy pour s’en prendre à ma Première ministre.

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Elle vous a quand même engueulée.

Elle m’a dit que, selon elle, ce n’était pas approprié dans une période de contestation sociale. C’est son rôle de chef de la majorité. Je ne me suis jamais sentie lâchée par elle.

Une ministre ne fait pas de jolies photos quand le peuple souffre ?

En effet, on se méfie de tout ce qui est léger et gai. Ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on est obligé d’être sinistre. Les Français attendent qu’on règle leurs problèmes, pas qu’on fasse la gueule. À l’ère de la victimisation et de la glorification de la souffrance, il faudrait passer son temps à répéter que c’est dur, qu’on est un ascète, qu’on ne tombe pas amoureux, qu’on ne prend pas de vacances…

Vous dites que vous n’êtes pas prête à vous donner corps et âme. Peut-on faire de la politique comme ça ?

J’ai passé deux ans au ministère de l’Intérieur où j’ai défendu le gouvernement pour 37 lois au détriment de ma vie de mère et de personne. J’étais disponible 24h/24. J’étais là pour consoler les familles de policiers quand il y avait des suicides dans la police, j’étais présente pour des choses lourdes et difficiles, et je l’ai fait corps et âme, avec le sens du devoir et c’était un honneur. Cela dit, les Français ont une relation très paradoxale, d’amour et de haine, avec leur personnel politique, particulièrement les femmes.

Ça vous reprend ! Non, les Français ne sont pas plus durs avec les femmes. Sont-ils durs avec vous ?

Dans la rue, les gens ne me menacent jamais et ne m’insultent jamais. Ils demandent des selfies, viennent me dire merci. La détestation sur les réseaux sociaux est organisée par des opposants. Pourtant, j’ai gagné dix points chez les sympathisants de La France insoumise : les cadres de LFI ont détesté Playboy, mais ceux qui votent pour eux sont allés l’acheter.

Votre livre s’appelle Juste une petite gifle, ce qui nous amène à l’affaire Quatennens. Non, personne n’a dit que c’était bien, que ce n’était rien, ou qu’elle « l’avait bien cherché ». Mais dans un couple, un conflit peut tourner à la bagarre, un homme peut perdre le contrôle. C’est malheureux, mais ça ne fait pas de Quatennens le symbole des violences conjugales.

Je ne suis pas sortie du couvent la semaine dernière. Je me suis mariée deux fois, j’ai divorcé deux fois, je sais très bien ce qu’est un conflit dans un couple. Au-delà de la gifle elle-même, ce qui me gêne, ce sont les arguments convoqués ensuite. Oui, j’ai bien entendu un leader insoumis dire: « On ne connaît pas le contexte, elle l’avait très certainement provoqué. » C’est aussi ce que dit l’avocat de Jonathan Daval, condamné pour le meurtre de son épouse : « Alexia avait une personnalité écrasante. »

Photo: Hannah Assouline

C’est son boulot d’avocat ! Et c’est celui du juge de comprendre le contexte.

Ce que je dénonce, c’est le schéma qui fait des femmes les responsables des violences qu’elles subissent. Adrien Quatennens aurait gagné à dire « j’ai merdé, ce que j’ai fait ne se fait pas ». Et pour finir, le groupe LFI a voté contre la proposition de loi de Renaissance sur l’inéligibilité des personnes condamnées pour violences conjugales.

Ce n’est pas au Parlement de décider si on est éligible après avoir payé sa dette.

Vous êtes cohérents, c’est votre ligne. Les Insoumis ne sont pas cohérents. Ils demandaient la démission de gens accusés par de simples tweets, mais quand ça touche quelqu’un de leur parti, les violences conjugales ne sont plus si graves.

Il y a six ans, vous étiez favorable à une interdiction définitive de mandat public pour les personnes condamnées pour violences sexuelles et sexistes. L’êtes-vous encore ?

Non, je suis moins radicale et meilleure en droit constitutionnel. « Définitive », cela ne serait pas constitutionnel. En revanche, une inéligibilité, c’est le minimum. Nous n’avons pas à savoir avec qui tel ou tel responsable politique couche, mais on devrait s’intéresser à ces condamnations.

La suite demain sur Causeur.fr

Mai 2023 – Causeur #112

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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