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Marlène Schiappa: «Ça fait bientôt six ans qu’on dit que je ne passerai pas le printemps!»

Après « Playboy », la secrétaire d’Etat répond aux puritains (2/2)


Marlène Schiappa: «Ça fait bientôt six ans qu’on dit que je ne passerai pas le printemps!»
Après "Playboy", Marlène Schiappa a pris la pause pour le numéro d'avril de Causeur. Elle y répond aux puritains et évoque pour la première fois l'affaire du fonds Marianne. © Photo: Hannah Assouline.

Elle va là où les autres ministres ne vont pas. Du plateau de Cyril Hanouna à la couverture de Playboy en passant par les universités d’été des Insoumis ou un débat organisé par Valeurs actuelles, la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et de la Vie associative assume pleinement sa liberté, quitte à déplaire à ses collègues, à choquer les puritains et à heurter les néoféministes. Pour la première fois, elle s’explique aussi sur le fonds Marianne.


>> Suite de la première partie <<

Causeur. Dans Playboy, vous expliquez avoir pris beaucoup de plaisir à écrire des livres, à produire des documentaires pour Canal +. Certains vous prêtent l’ambition de quitter la vie politique pour opérer un virage à la Roselyne Bachelot…

Marlène Schiappa. Pour paraphraser Dalida, ça fait bientôt six ans qu’on dit que je ne passerai pas le printemps. Je suis la seule femme avec la Première ministre à être dans tous les gouvernements depuis 2017 – à l’exception de Borne I. C’est mon deuxième quinquennat, mon troisième ministère. Et depuis six ans, pas un mois ne s’est passé sans qu’un média prédise ma perte : Schiappa arrête la politique, Schiappa va se faire virer, Schiappa sur la sellette, Schiappa dans la tourmente. Je n’ai pas fait l’ENA ni Sciences-Po, j’ai grandi dans une cité. Je me suis engagée dans la vie associative et municipale. Alors oui, bien sûr qu’il y a une vie après la politique, je n’aspire pas à être ministre toute ma vie.

Si vous aimez l’ascétisme, vous aurez une place de chroniqueur à Causeur.

J’en prends note.

Vous êtes aussi, par votre expérience familiale, experte de l’extrême gauche, mais peut-être récusez-vous ce terme.

C’est mon père qui ne l’aime pas. J’ai baigné dans ce courant politique durant mon enfance et mon adolescence. J’ai fait d’autres choix. Je suis très macroniste, par conviction, pour son discours sur l’émancipation, sur le fait de dire que nul n’est inemployable, aide-toi, le Ciel t’aidera. C’est vraiment un discours qui me parle.

Photo: Hannah Assouline

Comment voyez-vous la bienveillance dont l’extrême gauche bénéficie dans l’opinion, dans les médias, y compris quand elle est violente ?

Depuis que je suis ministre, je dénonce la compromission d’une partie des mouvements d’extrême gauche avec le communautarisme. Aujourd’hui on me critique pour avoir financé des associatifs laïques, mais contrairement à d’autres, moi je n’ai jamais donné un euro au CCIF ni à aucune organisation compromise avec la radicalisation ou le communautarisme. Je l’ai payé par des menaces de mort permanentes. Aujourd’hui, Gérald Darmanin a le courage de dissoudre certaines structures d’extrême gauche. Nous avançons.

Une de vos collègues, Bérangère Couillard s’est indignée parce que sur RTL quelqu’un a demandé à Marine Le Pen des nouvelles de son père. Qu’en pensez-vous ?

J’ai déjà défendu Marine Le Pen et Sarah Knafo contre des attaques que je trouvais misogynes sur leur physique ou leur supposée incompétence. Je combats Marine Le Pen idéologiquement, mais cela n’interdit pas la civilité.

Parlons du fonds Marianne créé après l’assassinat de Samuel Paty. À vous écouter, vous vous êtes contentée d’aider au financement d’associations laïques et circulez, y a rien à voir.

Il y a beaucoup de mensonges, la calomnie prend l’ascenseur et la vérité prend l’escalier. Mais j’observe que ceux qui ont eu accès à l’ensemble du dossier se refusent à faire un lien entre les éventuels dysfonctionnements et moi. Mon avocate étudie toutes les plaintes que nous pourrons déposer pour diffamation. De quoi m’a-t-on accusée ? D’abord, de copinage, en particulier avec Mohamed Sifaoui à qui j’aurais donné de l’argent pour qu’il puisse se verser un salaire. Monsieur Sifaoui a lui-même reconnu dans les médias qu’on se connaissait à peine. Je n’ai aucune proximité d’aucune sorte avec aucun des lauréats du fonds Marianne. Tout le monde le reconnaît aujourd’hui. Ensuite, j’aurais financé une association pour qu’elle mène campagne contre Anne Hidalgo dans ses vidéos. Non seulement je n’ai jamais passé aucune commande politique d’aucune sorte mais en plus, dans ses vidéos, cette association critique un peu Anne Hidalgo, mais surtout Olivier Véran, Emmanuel Macron et votre servante !

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Tout de même, il semble que deux des associations bénéficiaires, dont celle de M. Sifaoui, n’aient pas grand-chose voir avec l’objet du fonds Marianne. On doit pouvoir questionner les choix du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui gérait ces fonds.

D’accord, mais certains laissent entendre que j’aurais détourné de l’argent. Pour moi qui viens d’un milieu populaire, cette accusation est infamante…

Elle est infamante pour tout le monde…

Oui. Être calomnié est insupportable. Pour Playboy, je sais ce que j’ai fait et j’assume. Mais je ne veux pas être comptable de ce que je n’ai pas fait.

Revenons à cette affaire de financement.

Je précise que ce fonds, c’est une ligne budgétaire du ministre de l’Intérieur et non une cagnotte, comme je l’ai entendu. Après l’assassinat de Samuel Paty, que je n’oublierai jamais, nous réinterrogeons les outils de lutte contre les discours de séparatistes mortifères. C’est dans ce cadre que je lance l’appel à projets, parce que je veux que les subventions accordées soient inattaquables et qu’on puisse expliquer sur quelle base on a choisi tel projet et non tel autre. Mon cabinet a demandé au CIPDR de faire des propositions, de ventiler les sommes et de contrôler leur utilisation à échéances très régulières. Tant que j’étais au ministère, j’ai demandé des contrôles. J’ai chargé le CIPDR d’un suivi, le premier a eu lieu à six mois en décembre, le suivant aurait dû intervenir en juin, avant la clôture des projets pour discuter leur éventuel renouvellement. Savez-vous où j’étais ?

Non.

Plus au gouvernement ! Je vivais ma vie, il ne m’appartenait donc certainement plus d’appeler l’ancien CIPDR.

Pensez-vous qu’il y a eu des erreurs, voire des fautes ?

Ce n’est pas à moi de répondre, mais à la justice et à l’inspection.

En tout cas, pour le gouvernement, ce n’est pas vraiment le moment de se payer une affaire…

C’est exactement pour ça qu’elle est montée en épingle. Cette affaire sort maintenant. Et toute la sphère complotiste et islamiste s’en sert pour régler ses comptes. Je suis celle qui a dissous l’Observatoire de la laïcité, créé le Comité interministériel laïcité avec Jean Castex, imposé le contrat d’engagement républicain pour qu’on ne finance plus les organisations islamistes. Cette affaire du fonds Marianne, c’est du pain bénit pour tous ceux qui sont contre ma ligne sur la laïcité.

Vous ne pouvez pas accuser nos amis de Marianne de mener un combat contre la laïcité.

Je ne parle pas du tout de Marianne qui pose des questions légitimes sur l’utilisation des fonds par une des associations en divulguant des documents que je n’ai jamais eus en ma possession.

Aux États-Unis, confirmez-vous qu’on vous a empêchée de parler à CNN ?

Non, on ne m’en a pas empêchée. J’avais une invitation pour participer à une émission sur CNN, j’en ai parlé à Matignon, comme je le fais toujours. Mais c’était le lendemain de l’allocution du président de la République et à Matignon, on préférait que tout le monde soit concentré sur cet événement. J’honorerai certainement cette invitation en juin.

Donc rien à voir avec Playboy ni avec le fonds Marianne ?

Non, pas du tout.

Vous aimez rire, vous aimez séduire, vous n’êtes pas sectaire et vous vous moquez du qu’en-dira-t-on. Vous devez être le cauchemar de vos collègues du gouvernement, non ?

Je ne sais pas. Si on regarde le travail de fond, je n’ai jamais eu une loi qui n’a pas été votée, un accord politique qui n’a pas été tenu. J’ai toujours répondu présente. À chaque fois qu’il a fallu défendre le collectif ou le président, j’ai été au front. D’ailleurs je n’ai pas l’impression que mes deux anciens Premiers ministres se plaignent de moi. Édouard Philippe a salué mon sens politique dans son livre et Jean Castex dit qu’il regrette qu’on ne travaille plus ensemble. C’est peut-être ça qui agace certains d’ailleurs. J’ai peut-être l’air volcanique, mais en réalité, je travaille.

Mai 2023 – Causeur #112

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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