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Mark Carney, magistral stratège politique

Bilinguisme en péril et électeurs québécois en colère: Carney à l’épreuve du Québec


Mark Carney, magistral stratège politique
Mark Carney à la rencontre de jeunes enfants lors de la parade de la St Patrick à Montréal, Québec, 16 mars 2025 © Graham Hughes/AP/SIPA

Élections fédérales : les Canadiens se rendront donc aux urnes le 28 avril prochain. Mark Carney sollicite un mandat « fort » des électeurs et sera notamment opposé à Pierre Poilievre pour le Parti conservateur et Yves-François Blanchet du Bloc québécois


Ce sont les circonstances qui mettent un homme providentiel au pouvoir, jamais des élections.
Georges Wolinski (Les pensées).


Comme prévu, le nouveau Premier ministre canadien libéral convoque les élections fédérales ce dimanche 23 mars 2025; il échappe donc à l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts. « El banquero » l’emportera-t-il face au teigneux petit roquet Pierre Poilièvre, chef du parti conservateur du Canada, en lui piquant son programme?

Plantons le décor.

Le Canada est (un pays? État? nation? territoire?) bilingue. Un peu d’histoire, en vrac.

En 1890, le gouvernement du Manitoba, possible inspiration de Donald Trump, défia ouvertement la justice en imposant illégalement l’unilinguisme anglais (l’égalité du français ne fut officiellement rétablie qu’en 1982, alors que la francophonie manitobaine était devenue une simple pièce de musée, comptant moins que les Doukhobors et les Circassiens, multiculturalisme trudeauesque oblige). En 2006 et en 2011, des unilingues anglophones sont nommés à la Cour suprême du Canada : la connaissance du français n’était pas une « compétence » pertinente selon le ministère de la justice; un ancien juge de la haute juridiction précisait d’ailleurs que les magistrats unilingues pouvaient se fier à un excellent service de traduction et d’interprétariat; et qui était mieux placé pour l’encenser qu’un juriste lui-même unilingue?

On suivait ainsi le modèle judiciaire camerounais.

(Incidemment, tous les heureux élus avaient promis d’apprendre le français, quoique les résultats se font attendre. Quelle surprise. Mais quelle importance?)

Est particulièrement savoureux le refus de la Cour suprême de respecter la Loi sur les langues officielles, et de faire traduire les arrêts antérieurs à 1969 rédigés uniquement en anglais. L’opération serait trop coûteuse et, de toute manière, « l’intérêt juridique de ces décisions-là, historiques, est très minime ».

Dixit le juge en chef Richard Wagner. Texto.

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Le justiciable lambda aurait pensé que chaque phrase, chaque mot, chaque virgule de la Cour valait son pesant de caramels mous, mais quelle belle leçon de modestie bien canadienne. Cela dit, tout juge en chef qu’il fût, il a alors fait preuve d’une regrettable outrecuidance car il n’avait aucune autorité pour faire une telle affirmation : que cela lui plaise ou non, c’est à chaque plaideur qu’il appartient de déterminer, de prime abord, la pertinence de n’importe quelle jurisprudence. Le juge en chef n’a rien d’un Esmein, ni d’un Maitland. De toute manière, pour échapper à toute possibilité de poursuite, la haute juridiction a tout simplement retiré de son site web tous ces arrêts… La solution était simple, mais il fallait de grands oracles du droit canadien pour y penser. Et nul n’est censé ignorer la loi dans un Etat de droit, dit-on.

Rappelons la nomination de la gouverneure générale du Canada et de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick unilingues par Justin « Blackface » Trudeau.

En matière d’administration publique, les deux langues officielles sont l’anglais et le français… Rectification, le français est la langue officielle de traduction.

Concrètement, sauf exceptions, les administrations fédérales pensent, parlent et fonctionnent en anglais, et les gestionnaires, sauf exceptions (il n’y a pas que des rednecks dans la fonction publique), se moquent comme d’une guigne du français, mais… ils doivent respecter la… lettre de la loi sur les langues officielles; les documents sont donc traduits en français. S’il y a urgence, notamment lorsque le responsable du dossier termine son texte à la dernière minute, ce qui est fréquent, il le balance fissa à son érudite secrétaire franco-ontarienne avec cette directive : « type it in French » en v.o. (« tapez-moi ça en français » en v.f.) et elle a trois jours pour traduire 10 000 mots (s’il y a 20 000 mots, on saucissonne le texte parmi trois ou quatre secrétaires, bonjour l’uniformité). Lorsque le temps presse moins, ladite secrétaire transmet (avec la même directive), le fruit écrit de ces cogitations au « Bureau de la translation », en v.o (Bureau de la traduction, en v.f.) où le travail peut être effectué avec un peu plus de minutie. Bilinguisme en sens unique, mais il n’y a rien d’autre.

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Et voilà Mark Carney qui vient d’entrer en scène.

Or, il y a trois jours, son ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Ali Ehsassi, dont relève le Bureau de la traduction, annonce la diminution de son budget et l’abolition de 339 postes au cours des cinq prochaines années, soit le quart des effectifs. Mais que les francophones (du pays? de l’Etat? de la nation? du territoire?) se rassurent : le Bureau de la traduction tient compte des avancées technologiques et de la baisse de la demande en traduction (ah oui ?) pour orienter ses prévisions.

Apparemment, le ministre Ehsassi ignore que le mirage de la traduction informatisée censée rendre possible la traduction des lois du Manitoba et de la Saskatchewan a donné lieu aux sables mouvants des scandales financiers dans les années 1980-1990. Mais peut-être, tel Aladin, dispose-t-il d’une lampe merveilleuse d’où sort un génie traducteur lorsqu’il la frotte.

De toute manière, voilà un argument de campagne imparable pour les électeurs québécois qui apprécieront la pensée magique du ministre et son sens du moment historique.

Par ailleurs, Carney recrute, parmi ses candidats vedettes, un ex-journaliste de la « Canadian Broadcasting Corporation » (pendant anglophone de « Radio-Canada »), Evan Solomon, viré il y a quelques années pour cause de…conflit d’intérêt (eh oui…) : il avait joué le rôle d’intermédiaire pour la vente d’œuvres d’art à un « bon client », à savoir, devinez qui ? Et oui, « the one and only » (« le seul et unique » en v.f.) Mark Joseph Carney, qu’il avait interviouvé par le passé.

Quant à Yves-François Blanchet, chef du bloc québécois, (parti indépendantiste représenté au parlement fédéral), il a choisi son slogan : « Je choisis le Québec ».

Pour l’électeur québécois laïciste, les enjeux sont clairs.

Les Pensées

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