L’avantage avec le matérialisme historique, disait Walter Benjamin, c’est qu’il est conçu pour gagner à tous les coups. Dans le cas de l’essai de Mark Alizart, Pop théologie, protestantisme et postmodernité, la combine est particulièrement efficace. Dense, fourni, enlevé et éclairé, c’est un véritable traité de théologie 2.0, puisqu’on y trouve autant de théologie que de culture pop, et c’est tant mieux mais une culture pop qui se met au service de la démonstration théologique : ainsi, le sérieux de Kung-fu Panda est enfin réhabilité en même temps que la crédibilité philosophique de Maître Yoda, entre autres bestsellers et blockbusters trop facilement méprisés par nos élites. Non, on ne sert pas aux masses que de la soupe insensée, c’est même tout le contraire.
Ce serait dans les méandres des querelles internes au protestantisme du XVIIIème siècle qu’aurait germé la pop culture, grâce à la Réforme de la Réforme, le Réveil, revendiquant par la voix de John Wesley un revival de la religion donnée pour morte par Weber. Son succès fut immédiat dans le monde anglo-saxon. A partir de là, Mark Alizart déroule le fil, implacable. Il prend la singularisation, l’apologie du moi et de l’auto réalisation comme trait distinctif du Réveil par rapport au protestantisme traditionnel.
« Tu dois être singulier ou damné » prévenait Wesley. Le concept de Bildung est au cœur de la pensée qui envahit l’Occident réformé : avoir la foi, c’est se réconcilier charnellement avec la Création, c’est-à-dire en premier lieu avec soi-même, c’est se former et se réaliser, épouser l’autoproduction du divin.
De la même manière, les tenants de « l’hygiène de vie », héritiers des ligues de vertu, inventèrent le bronzage et la mode, édictèrent les règles du sport et de la sexualité modérés, dans le seul but de parvenir à l’autoréalisation. Du jean « Blue Jean Calvin Klein » dont la référence est grossièrement étalée, jusqu’au taylorisme, la thèse de Pop théologie est que les fondements du Réveil ont imprégné profondément la société occidentale, devenue logiquement un conglomérat de petits propriétaires individualistes, et a préparé le terrain à la déferlante consumériste.
Que les méchants des films grand public, Disney en tête, parlent avec l’accent aristocratique des Anglicans, que même la magie soit l’objet d’un apprentissage dans la saga Harry Potter, Bartleby le précurseur des geeks et Pollock un des principaux opposants à la vieille Europe catholique, la logique de la démonstration le confirme. Tout semble s’emboîter avec une évidence séduisante et rassurante : le monde n’est pas devenu fou, il l’a toujours été.
On ne saurait finalement que trop conseiller à Jérôme Leroy, qui déplore l’inertie de la jeunesse et l’explique par la surdité que provoquent les écouteurs de iPhone , ces éclaircissements supplémentaires. A l’instar du « Enjoy », devise de Coca-Cola, les idées qui infusent en permanence dans la tête des jeunes proies du système sont pétries par l’exigence d’auto-réalisation. Le choix, le lâcher-prise, la glorification et la prolifération du « je fais ce que je veux », reliquats du Réveil dont la substantifique moelle est devenue trop subtile, ont engendré une génération d’égoïstes narcisses adeptes de téléréalité et persuadés que le salut est dans la célébrité à tout prix, la vacuité monétisée et la bêtise revendiquée.
Mark Alizart, Pop théologie, PUF, 2015.
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