Dans son nouveau roman, Marion Messina décrit le futur proche d’une France à bout de souffle, où les personnages galèrent à trouver quelque échappatoire. Dans un monde normal, Marion Messina deviendrait un grand écrivain. Mais même dans ce monde « anormal », nous savons qu’elle le deviendra, estime notre chroniqueuse.
Initials MM. Dans la famille romans de la rentrée littéraire à lire absolument, je demande La peau sur la table, de Marion Messina. Cette jeune romancière a déjà été remarquée en 2017 avec un premier roman : Faux départ (Le Dilettante), l’histoire d’une étudiante provinciale qui montait à la capitale, ce qui ne lui apportait que des désillusions.
Pour son deuxième roman (celui où l’on attend vraiment les jeunes auteurs au tournant), elle a admirablement transformé l’essai. On n’avait pas lu de roman contemporain avec autant de souffle, de force, de présence dans le style depuis longtemps. Il s’agit d’une sorte de dystopie, mêlée à un pamphlet, sous fond de naturalisme, le tout admirablement maîtrisé !
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J’avais la forte intuition que ce roman me plairait, mais à sa lecture, j’ai reçu un uppercut à l’estomac. L’action se déroule dans un futur très proche ; une femme est à la tête du pays, elle a remplacé la Marseillaise par l’Hymne à la Joie et la population n’est plus qu’un QR code géant. Notre bon vieux pays a été catapulté dans une dystopie qui tiendrait à la fois de Dickens et d’Orwell, où seuls s’en sortent ceux qui ont signé un pacte faustien avec ce libéralisme aux relents dictatoriaux que nous propose Madame la présidente. Heureusement, si vous n’êtes pas branché roman d’anticipation, l’auteur croque aussi toute une galerie de personnages attachants qui font comme ils peuvent dans ce marasme, à l’image de cette institutrice exténuée mais pleine de vie, ou de ce docteur en littérature devenu boucher en Ardèche. Ils sont comme une respiration, et symbolisent la décence commune orwellienne.
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Le roman s’ouvre sur une scène christique, qui vous hantera un moment après sa lecture. Un jeune homme, un martyr, s’immole par le feu, tout en récitant le Pater Noster : « il garde les paupières rabattues, penche son torse sur la droite, se saisit d’un bidon et en déverse le contenu sur le dôme de sa tête. Voilà son baptême. Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés – Pardonne moi Seigneur, car je ne pardonne pas. » Non, il ne pardonne pas aux salopards qui l’ont violé, presque jusqu’à la mort, des bourgeois en fin de course, en fin de race, à l’image des aristocrates roués et pervers d’avant 1789. Cet acte définitif, filmé en direct et diffusé dans le monde entier, mettra la France à feu et à sang. En commettant ce geste sacrificiel, le jeune homme est immédiatement sanctifié et devient une allégorie macabre de notre pays, qui, comme lui, ne veut plus se faire baiser par des puissants qui ont vendu leur âme au Diable. Cet incipit est un petit tour de force. Il décrit l’innommable avec presque une certaine grâce, et en cela, Messina rejoint Bernanos, un de ses maîtres, qu’elle cite d’ailleurs en exergue : « Nous n’assistons pas à la fin d’une grande civilisation humaine, mais au début d’une civilisation inhumaine. » Je ne sais si Marion Messina a la foi comme Bernanos, mais elle semble porter en elle une soif infinie de justice. Presque rageuse. Et, comme l’auteur de Sous le soleil de Satan, elle semble avoir une conscience aiguë du Bien et du Mal. Lorsque je lui fais remarquer qu’elle ne mentionne jamais le wokisme, elle me répond ceci : « Lorsqu’il se passe des choses aussi graves que dans mon livre, le wokisme disparaît. » Et effectivement, on sait déjà qu’aujourd’hui, lorsqu’une mère de famille n’a plus que vingt euros pour finir le mois, le wokisme est bien évidemment la dernière de ses préoccupations.
Éraflons un peu la vache sacrée
L’auteur confie également ne pas se soucier des étiquettes. Forcément, lorsqu’on veut écrire une petite chronique littéraire, on cherche toujours des comparaisons… Celle avec Michel Houellebecq sauterait aux yeux des plus distraits.
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Mais à la réflexion, Messina c’est selon moi mieux que Houellebecq. Comme lui, elle s’attache à disséquer notre époque, elle se penche sur son cadavre en putréfaction comme le ferait un médecin légiste. Mais, avec beaucoup plus de finesse. Et on ne ressent aucun mépris dans les détails vestimentaires ou physiques qu’elle nous donne, par exemple lorsqu’elle décrit les tatouages mal faits de ceux que l’on appelle les cassos, « parfois l’image d’un chien tant aimé »… On sent qu’elle fait corps avec ces damnés de la terre, qu’elle les aime, qu’elle voudrait presque les consoler, leur redonner un peu d’enfance. Alors que Houellebecq préfère garder ses personnages à distance, avec froideur. En 2018, dans une interview accordée au media en ligne Le Comptoir, Marion Messina dit être influencée par la littérature anglo-saxonne, par Faulkner, mais aussi par Toni Morrison : « Elle m’a beaucoup influencée dans sa façon d’invoquer un sentiment d’infériorité à travers de petites choses. » C’est cette délicatesse, mêlée à ce souffle naturaliste, qui rend ce roman si singulier et si précieux.
Toute une finesse d’orfèvre qui rend plus supportable le bruit et la fureur dans lesquels baigne Ma peau sur la table.