Départementales : Marion Le Pen monte sur le ring


Départementales : Marion Le Pen monte sur le ring

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Dans sa tête, jusqu’à dimanche soir, le monde se divisait en trois catégories : les vieux du PS qui perdent ; les vieux de l’UMP qui perdent ; et les autres, c’est-à-dire les siens, qui gagnent. À sa décharge, une semaine de pilonnage médiatique, sondagier et amical a presque fini par la convaincre que la victoire viendra en chantant. Marion Maréchal Le Pen la prudente commence enfin à croire en sa baraka, sa « plus-value », comme elle dit, à force de l’entendre, de le lire, dans cet entre deux-tours un peu magique où le Front national du Vaucluse a pris la tête de tous les cantons. D’ailleurs, les spécialistes de la carte électorale sont formels : le parti des ni-droite ni-gauche ne peut pas rater le département cette fois-ci, avec une UMP en désordre et un PS en déconfiture, et la vague bleu marine dont les embruns mouillent les rivages français depuis quelque temps.

Le coup serait magistral, qui lui confierait au-delà des clefs de ce département déclassé, la possibilité d’une autre destinée à l’intérieur du parti. Et surtout ferait définitivement la preuve que la tendance qu’elle incarne, nolens volens, celle d’un ni droite mais surtout ni gauche, constitue la voie royale pour les idées nationales.

Las. Dans la fin d’après-midi gris orageux de Carpentras, où le ciel semble s’être ramassé sur lui-même comme pour donner raison aux prophéties fabuleuses des sortants, qui annonçant en cas de victoire du FN la fin générale de l’économie locale, qui l’assèchement du Rhône, l’autre la grande catastrophe, le dernier enfin la disparition du soleil,  dans la modeste permanence de la députée, les résultats tombent un à un, férocement semblables, et tranchants comme le hachoir des abattoirs hallal sur le bœuf. Valréas, perdu ; Pernes-les-Fontaines, perdu ; les trois Avignon, idem ; und so weiter. Dans le silence de mort qui s’étend, le Vieux lui-même recroquevillé dans un bureau à télé ne paraît plus que l’ombre du vétéran chenu, et les conseillers ne distillent que d’une voix blanche les arrêts du sort. Ce n’était pas Arcole et vint un instant suspendu où ce fut presque Hiroshima. Cadavérique, les traits durcis sous le fouet, la députée encaisse, groggy. L’effondrée nationale ?

Voire. Prise dans l’avalanche des chiffres parcellaires autant que contradictoires, dont l’unique certitude à leur sujet est qu’ils mènent à la défaite, elle griffonne quelques notes d’un discours auquel elle s’est refusé de penser l’après-midi, quand l’alignement des planètes, pour reprendre les mots d’un brillant commentateur politique présent, ne s’était pas encore inversé ; quand on allait voir ce que l’on allait voir ; quand la conjonction de l’astre vespéral de son grand-père et du sien matutinal augurait du triomphe ; quand on n’avait pas encore admis qu’un parti sous aucune république ne gagne jamais seul et que les renards de l’UMP et du PS avaient, eux, encore des troupes à faire donner ; quand on avait surestimé sa propre puissance à se muer en parti de second tour, c’est-à-dire rassembleur.

Dix minutes plus tard, au marché-gare de Carpentras réquisitionné pour la soirée, l’ambiance est aussi contraire qu’un Rubens l’est d’un Kokoschka. Dans la cohue des militants enthousiastes, où se mêlent sans vergogne rejetons de vieilles familles et beaufs de motoball, « Daddy » a déjà fait son entrée, électrisant grand-mémé. Ce n’est déjà plus Trafalgar, mais seulement Azincourt ou Waterloo, bref, de ces défaites que l’on aime parfois mieux que des victoires. Dans la nuée de caméras, de perchistes, de micros et de projecteurs, elle progresse sûre d’elle-même et le sourire aux lèvres vers l’estrade, arrosée de « Marion, on t’aime ». Là, quand elle parle d’espérance et d’amour de son territoire, c’est comme s’il n’y avait jamais eu de département raté, ou de désillusion. L’avenir commence demain. Tant qu’il y a public il y a match. La machine Le Pen s’est enclenchée, ou plutôt continue, comme si elle n’avait jamais cessé de fonctionner. « Il faut parfois un semi-remorque pour la traîner sur le ring, mais une fois qu’on l’y a mise, personne ne résiste à son punch », ricane l’un de ses conseillers. La salle tout acquise bruît comme une immense usine à dénégation. Non, les partis de gouvernement ne les ont pas mis dedans, ils sont bien, eux du Front, la première force du département. Un canton de perdu aujourd’hui, dix de gagnés à la prochaine. Ils sont le sens de cette histoire dont personne n’a vu il y a dix ans qu’elle a commencé d’inverser sa rotation.

Quand elle termine après avoir chanté la Marseillaise avec le président d’honneur, elle a presque changé l’eau en vin. C’est Mohamed Ali qui met sa pile à George Foreman au huitième round. Elle enchaîne comme à la parade les duplex et les interviews avec tout ce que le monde connu compte de radios et de télés, ce qui lui vaudra le lendemain le titre de plus grande squatteuse de la soirée électorale, décerné par Libé. Elle enquille les selfies avec les motards, les mères de famille, les paysans, les boulistes, les gendarmes en retraite, les FNJistes locaux. C’est tout juste si elle ne guérit pas les écrouelles. Le temps d’un buffet, les quelques centaines de militants du Vaucluse se réchauffent auprès de leurs trois binômes rescapés de la Bérézina, oubliant que contrairement à leur idole la roue de l’histoire, elle, se hâte lentement.

*Photo : Alain Robert/Apercu/SIPA. 00709272_000005.



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