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Beaucoup l’avaient enterrée un peu vite. Il y a quelques semaines, la fusée Zemmour, en pleine ascension, semblait en passe de banaliser, voire de ringardiser la candidate du Rassemblement national, pourtant érigée de longue date comme l’adversaire annoncée d’Emmanuel Macron dans un deuxième tour aux airs de déjà-vu. Friands de nouveauté, d’audience et d’un diable à détester, les médias n’avaient d’yeux que pour l’écrivain devenu candidat. Malgré son nom longtemps radioactif, la fille de Jean-Marie Le Pen ne semblait même plus mériter qu’on se donne la peine d’ériger un barrage contre elle.
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Certes, rien n’est joué, au contraire. À moins de trois mois de l’échéance, la présidentielle semble au moins assurée de nous offrir quelques surprises. On ne s’en plaindra pas. Bien sûr, dans les sondages, elle est toujours devancée par Macron et talonnée par Zemmour, Pécresse et même Mélenchon qui pourrait nous faire une frayeur. Dans le « Cluster » de Marianne, les quatre jouent à touche-touche. Bien sûr, les défections de Jérôme Rivière, Damien Rieu et Gilbert Collard (qui ne sont sans doute pas les dernières) révèlent que des cadres de son mouvement ne croient plus vraiment en sa possibilité de victoire.
Reste que Marine Le Pen tient le choc des intentions de vote comme elle a tenu ses nerfs. Nous l’avons souvent interviewée, mais jamais nous ne l’avions vue aussi sereine et convaincue d’avoir choisi la bonne stratégie. Ainsi observe-t-elle, à raison, que la diabolisation, assumée, sinon désirée par son père, a atteint son objectif, le garder éloigné du pouvoir. Cependant, elle pèche sans doute par excès d’assurance en tablant sur le fait que Zemmour bénéficiera dans l’électorat du même traitement de défaveur que lui, ne serait-ce que parce que le chantage à l’extrême droite tient aujourd’hui de la ritournelle incantatoire. L’injonction morale ne marche plus.
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Nul ne peut aujourd’hui exclure que les deux candidats qualifiés d’extrême droite par des médias moutonniers s’empêchent mutuellement d’accéder au second tour, l’alliance rêvée par Robert Ménard n’ayant aucune chance de voir le jour avant le 10 avril. Du reste, il est peut-être abusif de les placer dans le même sac idéologique. S’ils sont sans nul doute les deux candidats les plus crédibles dans leur volonté de mettre fin à l’immigration massive, l’un se présente clairement comme un homme de droite tandis qu’elle entend être le chef de file des souverainistes (qu’elle appelle « nationaux ») et que son programme économique est pour le coup très éloigné des fondamentaux de la droite. Les résultats du premier tour agiront donc comme un révélateur. On saura un peu plus, au soir du 10 avril, si le clivage idéologiquement usé entre la gauche et la droite est encore l’horizon indépassable de la politique française.