Une heure avant l’entretien qu’elle a accordé à Gilles Bouleau pendant le journal télévisé de TF1, je me risquais à prévoir sur un réseau social que Marine Le Pen annoncerait certainement qu’elle souhaitait que sa nièce Marion mène les listes du FN en Provence-Alpes-Côte d’Azur aux régionales de décembre prochain. Je la voyais ainsi déjà piéger la députée du Vaucluse qui n’aurait pas pu se dérober, quitte à affronter son grand-père devenu dissident.
J’avoue humblement que je me suis trompé. Certes, elle usera possiblement de cette habile stratégie dans quelques jours. Mais hier soir, Marine Le Pen n’a usé ni de tactique ni de stratégie, elle a fait dans l’émotion. Le sémillant Gilles Boyer, conseiller proche d’Alain Juppé, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en tweetant : « Le père a réussi à faire montrer à sa fille un visage humain. Brrr ». Pendant tout l’entretien, la présidente du FN n’a pas varié le ton. Elle est demeurée posée et l’air ému, ajoutant une touche de gravité. Conversant sur le même réseau social avec un spécialiste en communication de mes amis, nous avons l’un et l’autre noté la maîtrise exceptionnelle de la prestation de la présidente du FN. Le message qu’elle voulait faire passer était simple et limpide : « Pour moi, la France est plus importante que mon père ». C’est pourquoi elle a expliqué qu’elle s’opposerait à l’investiture de Jean-Marie Le Pen aux prochaines régionales ; c’est pourquoi elle a annoncé que, tout président d’honneur qu’il était, Jean-Marie Le Pen serait convoqué prochainement devant les instances disciplinaires du parti qu’il a présidé pendant près de quarante ans ; c’est pourquoi elle a demandé solennellement à son père de se retirer définitivement de la vie politique, comme on dit sur l’île de Ré.
Marine Le Pen a définitivement compris qu’elle ne devait plus s’embarrasser d’un vieux punk comme elle l’appelait dans l’entretien accordé à Causeur en ce début de mois d’avril. Jean-Marie Le Pen, depuis quelques jours, fait vivre en accéléré toute sa vie politique, telle qu’elle avait été si bien racontée et expliquée par notre ami disparu Philippe Cohen. Un type totalement égocentrique, personnel. Un jouisseur à la mode soixante-huitarde qui ne prend son pied que lorsqu’ il est au centre du jeu médiatique. Sans doute en était-elle consciente depuis longtemps. Comme lorsqu’elle avait été tentée d’arrêter la politique il y a une petite dizaine d’années quand son père avait balancé sur l’occupation allemande, si humaine. Elle s’était mise en retrait du côté de La-Trinité-sur-Mer et avait finalement entrepris de coucher son corpus idéologique sur le papier, dans un livre intitulé À contreflots.
Mais Marine Le Pen a longtemps hésité avant de mettre le hola. Elle en a eu pourtant plusieurs fois l’occasion. Elle savait son père toujours prêt à prendre la lumière avec une des saillies dont il a le secret mais ne tranchait pas. Surtout, elle n’avait jamais vraiment intégré depuis la dernière élection présidentielle qu’elle avait désormais fait mieux que son père, rassemblant plus de six millions d’électeurs sur son nom, exploit qui dote la fille de davantage de légitimité que son père. C’est à ce moment que la présidente frontiste aurait dû prendre la décision de tourner la page paternelle en ne l’investissant pas aux élections européennes, évitant de l’exposer à Monseigneur Ebola ou à la fournée de Bruel, outrances qui lui ont peut-être coûté un groupe au Parlement européen. Et si Jean-Marie Le Pen n’avait pas décidé d’en remettre une couche chez Jean-Jacques Bourdin puis dans Rivarol, qui sait si elle ne l’aurait pas encore adoubé pour les régionales. Derrière ses postures péremptoires et sa voix de stentor, habilement adoucie hier soir, Marine Le Pen n’est pas quelqu’un qui tranche facilement. Et cela commençait à se voir un peu. À tel point que nous l’avions dépeinte, un jour, sous les traits de Léon Galipeau.
C’est donc son père, bien involontairement – qui peut croire encore à la fadaise de d’une prétendue répartition des rôles ? – qui lui a permis de cacher cette faiblesse. Il y a deux jours, je me demandais si ce n’était pas ce grave péché de misogynie qui avait fait tomber le Vieux dans le panneau. Jean-Marie Le Pen mésestime tellement les femmes qu’il croit sa fille manipulée par Philippot, et sa petite-fille instrumentalisée par lui-même. Dans les deux cas, c’est évidemment faux. Florian Philippot a été appelé par Marine Le Pen pour formaliser, mettre en musique et servir de vitrine à des idées qu’elle avait déjà. Quant à la jeune Marion, en fine stratège, elle a sans doute laissé croire habilement à son grand-père qu’il pouvait l’utiliser comme un jouet mais il n’en est évidemment rien. Le plus amusant, c’est qu’une bonne partie de la presse qui fait souvent assaut de leçons de féminisme, reprenait cette antienne jeanmariste des femmes Le Pen manipulées, avec une délectation qui n’avait égale que l’opportunisme idéologique qu’elle en tirait. Et on entend d’ailleurs la complainte de ces journaux monter depuis quelques jours : « ne nous privez pas de notre Diable ! Par pitié ! ». Il va falloir peut-être faire votre deuil, les amis…
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