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Marine Le Pen tient bon la barre

Madame Griset assure n'avoir jamais travaillé pour le parti, mais pour Marine Le Pen! Mais, faut-il en fin de compte vraiment y voir une différence?


Marine Le Pen tient bon la barre
Mesdames Le Pen et Griset arrivent au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © Louise Delmotte/AP/SIPA

C’est la liberté parlementaire qui est traînée devant la justice, assure Madame Le Pen au tribunal.


Marine Le Pen comparaissait lundi pour trois jours d’audience devant la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, dans l’affaire des assistants parlementaires des eurodéputés FN/RN. L’enjeu est de taille. La triple candidate à la présidentielle risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement, un million d’euros d’amende, et de cinq à dix ans d’inéligibilité. Une peine qui, prononcée avec exécution provisoire, lui barrerait la voie de l’élection présidentielle de 2027 pour laquelle la présidente du premier groupe à l’Assemblée nationale est donnée en tête dans tous les sondages.

« Les deux, mon capitaine ! »

L’ancienne avocate est sur le pont à chaque audience, prête à batailler et démontrer sa bonne foi. Elle le répète en aparté : « Il n’y a à aucun moment accusation d’enrichissement personnel ou d’emploi fictif. La question fondamentale est la liberté parlementaire dans l’exercice du mandat de député. » Face à la vision bureaucratique du Parlement européen, l’ancienne eurodéputée oppose une défense toute politique. Pour Marine Le Pen, cette affaire révèle une méconnaissance de la vie politique qui confond engagement militant et salariat. Or le titre de chef de cabinet de Catherine Griset dans l’organigramme du parti n’est que la mise en valeur politique de son travail d’assistante parlementaire de Marine Le Pen. La magistrate interroge justement la relation entre les deux femmes. Comment se sont-elles connues ? Catherine Griset est devenue l’assistante de Marine Le Pen lorsque celle-ci était avocate. L’assistante l’a ensuite suivie quand l’ancienne avocate a créé le service juridique du Front national, lors de la scission avec Bruno Mégret et les batailles juridiques autour du nom du parti. Et, « c’est tout naturellement » que Catherine Griset devient son assistante parlementaire lorsque Marine Le Pen est élue eurodéputée. La chef de l’opposition souligne « le travail indispensable » de son assistante qui a la main haute sur toutes ses boîtes mails. « Je ne touche pas à ma boîte (mail) au Parlement européen, ni à ma boîte officielle, la seule que j’utilise c’est ma boîte personnelle. Elle s’occupe de mon agenda -ce qui n’est pas une mince affaire- elle s’occupe d’être en contact avec les autres assistants parlementaires, avec les autres députés, elle organise mes déplacements, réserve mes hôtels quand je vais au Parlement européen… Elle est la destinataire des informations, elle archive les mails… » Marine Le Pen assure que « tout le monde sait que Catherine Griset est (son) assistante parlementaire. Il n’y a pas de volonté de dissimulation. » La présence de Catherine Griset sur les organigrammes du parti politique se justifie comme un outil de communication. Tous les titres de l’organigramme sont des fonctions non rémunérées, comme dans toute association loi 1901, souligne l’élue. Et, comme Catherine Griset était son assistante parlementaire, il était « naturel qu’elle devienne (sa) chef de cabinet, elle a la haute main sur mon agenda parlementaire. » Me Maisonneuve, avocat de la partie civile, renvoie l’ancienne eurodéputée à l’une de ses déclarations lors de l’instruction où elle indiquait que « lorsque les assistants parlementaires ne sont pas strictement occupés à des tâches parlementaires, ils peuvent faire des tâches pour le parti ». Face au tribunal, Marine Le Pen souhaite affiner ce propos. Il faut entendre dans cette phrase le mot “parti” en tant que mouvement politique. « Je considère que les députés travaillent au bénéfice de leurs idées. Et qui portent leurs idées ? Le mouvement politique, ou le parti. Le député ne travaille pas à son propre bénéfice », explicite-t-elle.

Alors, Catherine Griset a-t-elle travaillé pour Marine Le Pen, eurodéputée, ou pour Marine Le Pen, femme politique et présidente du Front national ? « Les deux, mon capitaine !» répond vaillamment l’élue du Pas-de-Calais. Comment peut-on distinguer la femme politique de l’élue ? Quand Marine Le Pen est eurodéputée, son assistante parlementaire est chargée de prioriser à son agenda toutes les questions européennes. Et quand, à partir de 2009, la législation européenne oblige les assistants parlementaires accrédités à être domiciliés en Belgique, l’assistante parlementaire accréditée se domicilie chez l’assistant parlementaire belge Charles Van Houtte, dans une chambre d’amie qu’elle occupe lorsqu’elle se rend dans la capitale européenne, en attendant de trouver un appartement. Fallait-il vivre à Bruxelles ? Rien ne l’indiquait. Comme l’explique M. Klethi, directeur financier du Parlement européen, cette décision a été prise pour que les assistants accrédités paient leurs impôts en Belgique et non dans leurs pays, car sinon cela représentait un manque à gagner pour le Trésor belge. La réglementation stipule aussi que l’assistant accrédité doit travailler au Parlement européen. Mais la badgeuse du Parlement européen ne confirme la présence de l’assistante accréditée qu’environ douze heures entre octobre 2014 et août 2015. Marine Le Pen recontextualise cette période précise durant laquelle son assistante souhaitait redevenir assistante locale pour des raisons personnelles. L’ancienne eurodéputée rappelle l’écrasement des autres données par le Parlement européen, lesquelles montreraient le contraire sur d’autres périodes. On met la loupe sur un élément, sans regarder tout le reste, dénonce-t-elle. Par ailleurs, la présidente de groupe ajoute qu’en entrant en voiture dans le parking du Parlement européen, seul le véhicule était badgé et non tous ces occupants. M. Klethi, de son côté, affirme que « tout le monde doit badger, que c’est même un ennui pour les fonctionnaires en poste depuis plusieurs années. Seuls les députés n’ont pas besoin de badger. » Me Bosselut, le conseil de Marine Le Pen, lit un constat d’huissier qui démontre le contraire, tout du moins dans l’enceinte de Strasbourg. Si cela est possible à Strasbourg, pourquoi cela ne le serait-il pas à Bruxelles ?

Tiens bon la vague, tiens bon le vent…

Debout à la barre pendant plus de six heures, Marine Le Pen garde son cap. « Il y a des députés qui participent à l’animation du mouvement, et parfois il y a des profils d’experts qui sont très peu intéressés par le mouvement. Il y a également des assistants parlementaires qui ont des goûts, des appétences, des différences », explicite-t-elle pour justifier les nominations d’untel à telle ou telle fonction dans l’organigramme, « fonctions toutes bénévoles », répète-t-elle. Les changements de contrats sont parfois liés à la vie privée. Certains assistants peuvent préférer, selon les aléas de leur vie personnelle ou de leurs motivations, être à telle période plutôt assistant accrédité à Bruxelles, et à d’autres moments plutôt assistant local. Mais qu’ils soient « APA » (assistant parlementaire accrédité) ou « aloc » (assistant local), ils sont assistants parlementaires du député qui donne les tâches à effectuer. Et Catherine Griset est indispensable à son activité de parlementaire, où qu’elle soit. L’ancienne eurodéputée tient bon la barre et défend bec et ongle le travail de son assistante. Marine Le Pen relève d’ailleurs les incohérences de l’accusation concernant ce contrat. Elle cite en exemple le contrat d’assistant parlementaire de M. De Danne qui ne pose lui aucun problème au Parlement européen bien que celui-ci figure aussi dans l’organigramme du parti comme conseiller aux affaires européennes. Alors, la parlementaire s’interroge. Pourquoi cela serait-il autorisé dans un cas, et pas dans un autre qui est pourtant similaire ? Est-ce le fait que Catherine Griset soit l’assistante de Marine Le Pen qui pose problème ?

L’ancienne présidente du Rassemblement national rappelle par ailleurs que les députés européens sont élus lors de scrutins de liste. Chaque député doit son élection à tous les militants du mouvement politique, « tous ceux qui ont fait campagne, qui ont collé des affiches, sous la pluie, la neige, qui se sont fait agresser…» Aussi, un député qui, une fois élu, stopperait son engagement politique, en n’allant plus rendre compte de son activité dans les médias, lors des réunions publiques ou à la rencontre des militants et des électeurs, ne serait tout simplement pas réinvesti par le mouvement. Car « le mandat, c’est aussi l’activité politique, revendique haut et fort la chef de l’opposition qui trouve « qu’il est regrettable de ne pas faire un comparatif de la vision du mandat entre l’administration du parlement national et la vision du mandat du Parlement européen ; car l’Assemblée nationale est, elle, extrêmement claire : elle considère que l’activité politique du député fait partie intégrante de son mandat. » Pour conclure, l’ancienne avocate conteste avec force la lecture rétrospective que fait le Parlement européen de réglementations qui n’étaient pas alors applicables. Enfin, Marine Le Pen clame sa bonne foi et soutient qu’elle n’a jamais eu conscience de commettre une quelconque irrégularité, car « tout était clair, connu de tous et déclaré au Parlement européen. Rien n’était caché. »

Cette première et très longue journée d’audition de Marine Le Pen n’a pas permis au tribunal, faute de temps, d’entendre Catherine Griset, mise en cause pour ses contrats d’assistant parlementaire accrédité. Son audition est donc renvoyée au lendemain. Ironie du sort, Catherine Griset, qui est elle-même aujourd’hui eurodéputée, ne pourra donc se rendre au Parlement européen comme elle l’avait prévu…




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Journaliste

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