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Marine Le Pen: « Je suis prête à une cohabitation avec Macron »

Entretien avec la présidente du Rassemblement national (2/2)


Marine Le Pen: « Je suis prête à une cohabitation avec Macron »
Marine Le Pen à l'Elysée, 6 février 2019. ©NICOLAS MESSYASZ/SIPA / 00893899_000007

Défaite par Emmanuel Macron l’an dernier, la présidente du Rassemblement national semble tirer profit de la mobilisation des gilets jaunes. Pourtant, l’agenda politique se focalise sur le pouvoir d’achat et la crise de la démocratie, loin de l’immigration. Grand débat, Europe, identité: Marine Le Pen nous dit ses quatre vérités (2/2). 


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D’après les sondages, le président et son parti que vous souhaitez acculer à la dissolution sont donnés gagnants aux européennes.

Marine Le Pen. C’est la conséquence de l’implosion de LR qui fait suite à la disparition du PS. Une partie des LR, suivant Juppé, Raffarin, Le Maire et Darmanin, s’est déjà alliée avec Emmanuel Macron ou s’apprête à le faire. Parmi les candidats à la primaire LR, certains ont disparu, d’autres sont macron-compatibles, et il y en a d’autres, comme NKM et Copé, qui cochent les deux cases. Rappelez-vous que Fillon avait appelé à voter Macron au second tour. Quant à Nicolas Sarkozy, il est devenu le visiteur du soir d’Emmanuel Macron pendant la crise des gilets jaunes – c’est probablement lui qui lui a soufflé l’idée du débat. Pendant ce temps, d’autres LR comme Mariani et Jean-Paul Garraud nous ont rejoints.

Depuis quelque temps, Mélenchon et vous faites assaut d’amabilités mutuelles. Qu’est-ce qui vous distingue encore de lui ?

Sur les ronds-points, nous avons constaté un certain nombre de convergences avec la France insoumise. De la même manière qu’au Parlement européen, il existe des convergences entre les élus Verts et nous, par exemple sur le combat contre le libre-échange. Sur le RIC, sur la loi contre les « fake news », la nationalisation des autoroutes et la nécessaire augmentation des bas salaires, nous avons des positions compatibles avec LFI. Toutefois, il reste entre nous trois divergences fondamentales : l’immigration, la laïcité et le communautarisme. La confrontation mondialistes/souverainistes traverse d’ailleurs LFI (c’est la raison pour laquelle Mélenchon a viré Kuzmanovic et Cocq), comme elles divisent tous les partis sauf LREM et le RN qui sont cohérents sur leurs positions.

Vous invitez les licenciés de LFI à vous rejoindre ?

Si on arrive à se mettre d’accord sur l’essentiel, s’ils considèrent que l’immigration ne peut pas continuer ainsi, que la laïcité doit être absolument défendue, et que le communautarisme est un cancer, pourquoi pas ?

Y a-t-il là le prélude éventuel à un futur rassemblement à l’italienne entre vous et eux ?

Non, puisque Mélenchon s’est radicalisé sur l’immigrationnisme en choisissant de suivre les indigénistes et des communautaristes de son mouvement. Et puis, la France insoumise n’est pas comparable au Mouvement 5 étoiles. Si demain les gilets jaunes se constituent en mouvement politique et arrivent à trouver une homogénéité, eux ressembleront à 5 étoiles, y compris dans leur mode de fonctionnement.

Si un parti politique émerge de ce mouvement, ce sera un échec pour vous, non ?

C’est la démocratie ! Mais est-ce que ce parti verra le jour ? Je ne sais pas. Un syndicat se justifierait davantage. Sur ces ronds-points, il y avait des gens très divers, issus de toutes les classes populaires et moyennes avec des appartenances politiques divergentes.

N’y a-t-il pas chez certains gilets jaunes une petite musique inquiétante, antisystème, et même soralienne ?

Bien sûr qu’il y a des militants bien formés qui profitent de la situation. Mais je ne pense pas que tout cela ait la moindre influence sur tous ceux qui manifestent. Je n’ai pas entendu un mot contre la République, ni de haine sociale dans leur bouche. Ils ont le sentiment qu’il y a une caste qui s’accorde tous les pouvoirs et tous les privilèges et que le peuple est maltraité. Est-ce totalement faux ? Non.

L’Union européenne est une épouvantable machine carcérale qui s’est construite sans les peuples et qui avance contre les peuples

Beaucoup se tournent vers le système social et réclament plus d’aides et plus de subventions alors que notre économie est déjà très socialisée. Que vous inspire cette mentalité de créanciers ?

Les Français sont les créanciers d’un État qu’ils financent à fonds perdu au point d’être privés de la capacité de vivre de leur travail. Il est donc normal que la méthode « donne-moi ton portefeuille, je te filerai 100 balles », comme disait Coluche, ne fonctionne plus aujourd’hui !

Les Français veulent savoir où va leur agent. Et ils s’aperçoivent qu’on prend en charge toute la misère du monde, que des centaines de comités Théodule récompensent les copains politiques… Il n’y a pas que l’affaire Chantal Jouanno. Prenez, par exemple, l’Agence de financement des infrastructures de transports. La Cour des comptes a affirmé en 2006 qu’elle était « inutile », et en 2016 qu’elle était une « coquille vide ». Eh bien, on confie cette coquille vide à monsieur Béchu, quelques mois après qu’il a soutenu Macron. Budget : 2 milliards par an, dont 600 millions de déficits. Il faut comprendre la colère de ceux qui ne font pas trois repas par jour et ne peuvent pas toujours se soigner…

Vous pensez qu’en reprenant une part de la souveraineté qu’elle a cédée à l’Union européenne, la France retrouverait la capacité d’agir. Pourtant, vous avez renoncé à la sortie de l’euro, raison pour laquelle Thierry Mariani vous a rejoints.

Nous avons à l’égard de l’UE une position claire et conséquente : c’est une épouvantable machine carcérale qui s’est construite sans les peuples, qui avance contre les peuples, et qui a échoué dans l’intégralité des domaines. Mais nous avons tenu compte de ce qu’on dit les électeurs en 2017. Primo, le big bang institutionnel que nous leur avons proposé les effrayait, ils n’en ont pas voulu. Secundo, puisque nous ne sommes plus isolés sur la scène européenne, nous voilà sortis de l’alternative unique à l’époque : se soumettre à l’UE ou sortir de l’UE. Dans ce cas, on préférait sortir. La victoire de nos alliés dans plusieurs pays a ouvert une autre possibilité : changer l’Europe de l’intérieur. Construire une alliance européenne des nations, c’est-à-dire cette Europe des nations souveraines, des peuples et des coopérations, qui va prendre la place de l’UE.

Vous ciblez notamment le libre-échangisme. Vous imaginez la France négociant seule face à la Chine ?

Le bloc européen qui négocie aujourd’hui n’est pas cohérent. Je suis persuadée que l’Italie de Salvini a le même souci et la même vision que nous sur le libre-échange. Nous ne serons donc pas seuls à souhaiter le transformer en « juste échange ».

Il va falloir, alors, expliquer aux Français que s’ils souhaitent récupérer leurs usines, ils ne pourront pas acheter l’iPhone au prix du travail en Chine !

Mais aujourd’hui non plus ! Qui sont les grands gagnants du libre-échange, les consommateurs ou bien les grands distributeurs et les centrales d’achat ? Les consommateurs ont payé par le chômage et parfois leur santé les quelques économies qu’ils ont réalisées sur leurs tee-shirts et leurs portables.

Le Brexit, aussi légitime soit-il, démontre à quel point il est difficile de défaire des liens créés par des décennies d’appartenance à UE, même quand on a déjà un pied dehors.

Le Brexit est compliqué pour deux raisons. D’abord, l’UE n’a pas mené une discussion loyale avec le Royaume-Uni, elle a plutôt voulu se venger ou faire un exemple pour dissuader d’autres peuples d’imiter les Britanniques. Ensuite, on a confié à madame May, qui était contre le Brexit, la charge de le mener à bien. Elle est venue présenter au peuple britannique un programme dans lequel il perd les quelques avantages de l’appartenance à l’UE (notamment le droit de vote), mais en conserve tous les inconvénients. Résultat, elle s’est mise à dos ceux qui défendent un maintien total autant que ceux qui défendent une sortie totale.

Votre tête de liste pour les européennes, Jordan Bardella, est un jeune inexpérimenté de 23 ans. Est-ce pour faire plus jeune que le jeune de l’Élysée ?

Jordan Bardella est un pur produit de la méritocratie républicaine ! Né et élevé dans une cité difficile de Seine-Saint-Denis, il s’est élevé à force de travail et de courage. Par ailleurs, il connaît parfaitement les problèmes de communautarisme, d’immigration, d’islamisme. Bref, il a sûrement une plus grande expérience de la vraie vie qu’Emmanuel Macron !

Vous avez parlé dissolution et proportionnelle. Vous seriez prête à une cohabitation avec le président de la République ?

Si les Français le décident, évidemment ! Nous sommes prêts à appliquer nos idées.

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Février 2019 - Causeur #65

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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