Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, les fascistes à la lanterne, chantait en substance Jean-Luc Mélenchon avant le premier tour, avec la confusion idéologique qui le caractérise. Car le quatrième homme de la présidentielle, renvoyé dans les cordes avec un modeste score à deux chiffres, se fourvoie copieusement lorsqu’il perçoit en Marine Le Pen l’héritière de la droite (contre)-révolutionnaire. Pour comprendre les ressorts du vote FN dernier cru, les bateleurs du Front de gauche gagneraient davantage à (re)lire les études socio-démographiques de Christophe Guilluy que les œuvres complètes de Thierry Maulnier et Dominique Venner. On pourrait en dire autant du grand gagnant du jour : François Hollande se borne à dire que « Sarkozy a fait le jeu du Front National ». Un peu court, jeune homme.
Cette parenthèse refermée, une chose est sûre : quelle que soit l’étiquette qu’on lui colle, la présidente du Front National récolte les fruits de sa stratégie de dédiabolisation, si décriée en cette fin de campagne. Finalement, comme me le soufflait l’inspiré David Desgouilles avant même l’annonce officielle des résultats, une partie non négligeable des intentions de vote en faveur du Front de Gauche dissimulait sans doute une frange de gaucho-lepénistes honteux. Mélenchon favorisé par l’élite sondagière : un comble pour un populiste ! Idem pour François Bayrou, tout aussi surévalué. Il sera toujours temps de revenir sur la tyrannie des sondages, que l’auteur de ces lignes a trop souvent considéré comme des prophéties autoréalisatrices (mea culpa…). Après tout, comme le disait Bourdieu, « l’opinion publique n’existe pas » : les sondages mesurent bien quelque chose. Le seul hic, c’est qu’on ne sait jamais vraiment ce qu’ils représentent : une photographie de l’opinion ou le biais des sondeurs, ballotés entre panurgisme et franc pifomètre.
Il n’empêche. A défaut d’être une faiseuse de roi, Marine Le Pen compte bien faire fructifier son excellent score – réalisé avec seulement 19.5% d’abstention, signe que le vote FN est désormais plus qu’un cri de protestation- pour détricoter la droite parlementaire. Elle a évidemment tout intérêt à ne pas prendre position pour le second tour, sauf à estimer publiquement que « Sarkozy, c’est Hollande en pire »[1. Pour reprendre une vieille pique de son père à l’égard de Chirac]. Ses seconds couteaux, de Nicolas Bay à Louis Aliot, distillent d’ailleurs des éléments de langage bien rodés : ne pas choisir entre bonnet blanc et blanc bonnet « mondialistes », rejeter « l’UMPS » en bloc. Peu leur chaut que 52% des électeurs frontistes optent pour Sarkozy au second tour et seulement 27% en faveur de Hollande. Pour parler franc, le FN mariniste attend et espère la défaite du camp présidentiel, l’explosion de l’UMP qui s’ensuivra et la recomposition du paysage politique également annoncée et rêvée par François Bayrou.
Imaginez une défaite cuisante du président sortant : la Droite Populaire appellerait aussi sec à un « droit d’inventaire » du sarkozysme et se poserait de douloureuses questions tactiques en vue des législatives. Que le Gard ait accordé la plus grosse part des suffrages à Marine Le Pen ne doit pas laisser indifférent les députés droite-pop du sud, ces « pizzaïolos » qui, par un prompt renfort, pourraient garnir le panier d’un FN élargi. Voilà le fantasme des Paul-Marie Coûteaux et consorts, qui se rêvent en entremetteurs depuis plusieurs mois. Dans l’hypothèse d’une lune de miel FN-droite pop, l’aile « humaniste » et « centriste » de l’UMP pourrait alors décamper au profit du modeste François Bayrou (seulement 9% ce soir) ou même d’un bébé Chirac refusant toute compromission avec la Bête Immonde.
« Rien ne sera plus jamais comme avant » nous prédit Marine Le Pen. Cassandre lui répliquerait que François Bayrou ânonnait les mêmes mots après son feu follet de 2007. Moins narquois, nous scruterons de près les résultats des prochaines législatives, dans lesquelles Mélenchon place lui aussi tous ses espoirs, espérant y trouver quelque compensation à son piteux ralliement à Hollande « sans aucune contrepartie » programmatique.
En 2007, plus encore que la déconvenue présidentielle, le FN avait financièrement pâti de sa débandade législative avant de ronger son frein pendant cinq ans. En réalisant des scores à deux chiffres dans les zones rurales et péri-urbaines, les candidats du futur bloc mariniste devraient garantir la pérennité de ce qui pourrait bien constituer la principale force d’opposition droitière au hollandisme. En 2017, face à une gauche qui se sera contenté de « donner du sens à la rigueur », moyennant quelques hochets sociétaux lâchés aux dociles alliés verts et communistes, Marine Le Pen matérialisera son ancien rêve de candidate : affronter la parfaite incarnation des élites « socialistes » mondialisées. Mais cette fois-ci, Dominique s’appellera François.
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