Causeur. Au premier tour des départementales, le FN a recueilli 25 % des voix. « Pas de vague FN », en ont conclu les commentateurs (qui se seraient étranglés pour deux fois moins il y a dix ans). N’empêche, vos militants se voyaient à 30 % et, en vous autoproclamant « premier parti de France », vous avez offert à vos adversaires un excellent argumentaire. Regrettez-vous cette affiche et avez-vous été déçue par votre score ?
Marine Le Pen. Mais ce ne sont pas nos militants qui parlaient de 30, voire 32 %, ce sont les instituts de sondage et les médias ! On aurait voulu démobiliser notre électorat qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Et pour une fois, voyez-vous, je suis d’accord avec les commentateurs : passer d’un conseiller général sortant à 1 100 seconds tours, avoir des élus dès le premier tour au scrutin majoritaire, progresser de manière spectaculaire dans des élections locales où nous partions avec un handicap évident, améliorer notre score des européennes, ils ont raison, ce n’est pas une vague: c’est un tsunami !
Quant au « premier parti de France », nous le sommes toujours ! Puisque ce n’est pas un parti mais trois associés qui arrivent devant nous : UMP/ UDI et Modem. L’infographie publiée par le ministère de l’Intérieur est sans appel.
Avant les élections, vous étiez convaincue que la stratégie de dramatisation de Valls vous servait et que la diabolisation ne marchait plus. En êtes-vous toujours certaine ? N’a-t-il pas réussi à effrayer certains électeurs ?
Pensez-vous sérieusement que le spectacle hystérique, insultant et provocateur qu’a donné Manuel Valls pendant la campagne ait pu convaincre des électeurs tentés par le FN de reporter leur vote sur le PS ou l’UMP ? Manuel Valls emploie une rhétorique du passé parce qu’il est incapable de maîtriser et même de comprendre ce qui se produit aujourd’hui. Je crois que ses outrances, indignes d’un Premier ministre, ont poussé notre électorat à se mobiliser. Ce qui nous sert, c’est que Manuel Valls m’accorde la place qui est la mienne de premier opposant au gouvernement.[access capability= »lire_inedits »]
Oublions ces départementales dont nous ne connaissons pas l’issue du deuxième tour au moment où nous parlons. En janvier 2011, vous êtes élue à la tête du Front national et vous annoncez une révolution culturelle. Quatre ans plus tard, quel bilan dressez-vous ? Quelle est la différence entre le FN de 2011 et celui de 2015 en termes de militants, d’électorat et de programme ?
La révolution culturelle, c’est que, désormais, nous nous concevons comme un parti de gouvernement et non plus seulement comme un parti d’opposition et de contestation. Aujourd’hui, les dirigeants du FN se préparent à accéder au pouvoir. Ce changement, nous l’avons voulu, mais il est aussi le résultat naturel de nos succès : on ne s’envisage pas de la même manière à 10 ou 15 % des voix qu’à 25 %. Ces performances électorales nous ont également conduits à nous projeter sur tout le territoire : l’implantation locale est devenue notre priorité. Nous présentons des candidats partout, et beaucoup découvrent le plaisir du combat de proximité, qui n’était pas forcément dans la culture du FN. Quant à nos électeurs, ils ont évidemment changé eux aussi, puisque leur nombre a doublé en quelques années…
Justement, cette force est aussi une faiblesse : plus vos électeurs sont nombreux, plus ils sont hétérogènes, du point de vue de leurs traditions politiques et surtout de leurs aspirations…
Beaucoup d’observateurs, y compris au Front national, pensent que ce sont nos propositions sur l’immigration et l’insécurité qui attirent des électeurs de l’UMP et que c’est notre programme économique et social qui séduit des électeurs de gauche sur la politique sociale. Je crois pour ma part que c’est exactement le contraire ! Il me semble que de nombreux sympathisants du PS et de la gauche en général votent désormais pour nous parce que leur camp ne prend pas en considération les problématiques liées à la sécurité et à l’immigration. Et nous sommes en train de récupérer l’électorat populaire de l’UMP qui ne se reconnaît pas dans la mondialisation sauvage, l’ouverture totale des frontières, et l’ultralibéralisme.
Cet électorat populaire de droite, c’est ce que William Abitbol, ancien conseiller de Charles Pasqua, appelait « la droite des garagistes » en déplorant que son camp ait laissé en friche l’espace politique autrefois occupé par le RPR. Mais il n’est pas sûr que ces électeurs apprécient beaucoup votre côté « bolcho » : le dirigisme, les nationalisations, ce n’est pas leur tasse de thé.
Vous vous trompez, car vous avez une vision caricaturale de l’UMP, comme ses chefs d’ailleurs : vous croyez qu’il s’agit exclusivement d’un parti de possédants et de bourgeois. C’est ce que la droite est devenue au niveau de ses dirigeants, mais certainement pas de sa base électorale. Quant à mon côté « bolcho », comme vous dites, je prétends simplement qu’il ne faut pas se priver de la possibilité de nationaliser temporairement une banque qui connaît des défaillances. Comme chaque fois qu’il en va de l’intérêt supérieur de la France, qu’il s’agisse de son indépendance énergétique ou d’un certain nombre de domaines stratégiques. Au passage, les Anglais ne se sont pas gênés pour nationaliser des banques, ce qui leur a plutôt bien réussi. Et s’il y a un pays libéral, c’est bien la Grande-Bretagne !
Allons, vous n’allez pas nous dire que vous n’êtes pas à la gauche du père ! Il n’y aurait aucune différence idéologique majeure entre l’ancien et le nouveau FN ?
Y a-t-il une révolution idéologique au FN ? Non ! Vous avez cette illusion car vous n’avez pas lu certains éditoriaux de Jean-Marie Le Pen de 1992, que je pourrais signer aujourd’hui Le FN n’a pas changé, il a toujours été opposé à la mondialisation, pour la maîtrise des frontières et pour un État stratège, tout en étant, bien entendu, favorable à la libre-entreprise.
Comme votre père a écrit tout et son contraire, vous trouverez toujours un de ses vieux éditos pour confirmer vos propos…
Si vous m’avez fait venir pour expliquer que je suis une gauchiste, je préfère m’en aller tout de suite !
Très bien, vous n’êtes pas gauchiste. Mais, à notre connaissance, vous ne vous dites pas non plus d’extrême droite. Si vous nous expliquez que le FN n’a jamais été d’extrême droite, la discussion va vite tourner court en effet ! Vous avez voulu la dédiabolisation, c’est bien que diabolisation il y avait, et pas seulement parce que les gens sont méchants, si ? Dans les couloirs du congrès de Tours, on croisait des cathos tradis, des partisans de l’Algérie française, sans oublier quelques « fachos » bon teint, qui ne cachaient pas leur mépris pour « la Gueuse »… Et avant votre discours, truffé de références à la République, à Valmy, à la Résistance, Bruno Gollnisch a enflammé la salle en parlant de « nos morts du 6 février 1934 ». Alors ne nous racontez pas qu’il n’y a pas de rupture. Du reste, c’est exactement ce que disent vos adversaires…
La vraie rupture, c’est que le FN est devenu un mouvement offensif. Je refuse de me laisser enfermer dans le coin du ring des antirépublicains et des opposants à la laïcité. Autrefois, on s’y résignait, au risque de ressembler à la caricature que nos adversaires faisaient de nous. C’était une erreur stratégique. Eh bien, j’ai décidé qu’il fallait cesser de laisser nos adversaires définir ce que nous étions. Que cela leur plaise ou non, nous sommes démocrates, républicains, et nous ne cachons pas notre drapeau. Et tant pis si cela coince avec certains de nos anciens militants. Sur un certain nombre de sujets, la laïcité, l’État stratège, la protection des faibles, la gauche nous disait : « Circulez, écartez-vous, zone réservée ! » Nous avons repris notre place, et personne ne nous empêchera de l’occuper.
Vous faites de l’ombre à la gauche sur le terrain du social, et à la droite sur l’immigration et l’insécurité, mais l’« UMPS » a beau jeu de vous intenter un procès en crédibilité en soulignant que vous ne comptez pas dans vos rangs les cadres compétents nécessaires pour exercer le pouvoir.
L’opinion de l’UMPS sur nos compétences, je m’en fiche éperdument ! Je n’ai pas de leçon de compétence à recevoir de ceux qui ont tout raté. Ce que je sais, moi, et ce que savent les électeurs, c’est que la professionnalisation du Front national est une réalité. Nous avons aussi fait émerger de nouveaux visages, souvent jeunes, mais qui ont déjà une longue expérience politique : beaucoup se sont engagés en politique à 15 ans, et ont été élus conseillers municipaux à 20 ! Louis Aliot, Steeve Briois, Nicolas Bay, Marion Maréchal-Le Pen, David Rachline sont des militants aguerris qui se sont frottés aux réalités du pays, ce qui les rend infiniment plus intéressants qu’un Emmanuel Macron, qui n’est que la version mise à jour d’un Alain Juppé ou d’un Laurent Fabius.
Admettons, mais, sans même parler des cadres dont vous auriez besoin pour diriger la France au cas où, il y a 36 000 communes et 2 000 cantons en France. Prenons l’exemple de vos maires : le cas de Fabien Engelmann, condamné par la justice, à Hayange n’est pas une réussite.
Votre exemple est mal choisi ! Avant les municipales, nous avons subi une campagne de dénigrement sur le thème : ce sont des amateurs, des nuls, ils n’ont jamais été au pouvoir, ça va être la catastrophe… Alors, certes, Fabien Engelmann a eu un conflit avec l’une de ses anciennes colistières, ce qui arrive dans tous les partis, mais selon une étude récemment publiée, soit un an après les municipales, 74 % des habitants des villes FN sont très satisfaits de l’action de leurs maires. C’est 10 points de plus que la moyenne des villes UMPS de même catégorie ! J’ajoute que 72 % trouvent que leurs impôts sont très bien utilisés et que 95 % des électeurs qui ont voté FN ne le regrettent pas. Comment certains peuvent-ils encore prétendre, face à de tels résultats, que le vote FN ne serait pas un vote d’adhésion ? Enfin, les résultats du 1er tour des départementales dans nos villes démontrent un véritable plébiscite de la gestion de nos communes.
Certains de vos candidats aux élections départementales peinent malgré tout à convaincre de leurs compétences. Suffit-il d’avoir des idées sur l’islam et la théorie du genre pour être un bon conseiller départemental ?
Vous en avez rencontré beaucoup, des conseillers départementaux ? Vous croyez qu’ils ont tous fait l’ENA et Sciences Po ? Et d’ailleurs, pourquoi serait-il nécessaire de sortir d’une grande école pour être un bon conseiller départemental ? Vous trouvez peut-être que nos candidats ont « une sale gueule », comme l’a dit le journaliste de France 2 Michel Mompontet.
Vous n’êtes pas à Libé ! Un autre exemple : en dehors de l’odieux photomontage sur Taubira qu’elle avait relayé et qui l’a fait connaître, Anne-Sophie Leclère n’avait peut-être pas tout-à-fait le niveau qu’on attend d’une élue. Le FN n’étant pas présent dans tous les villages de France depuis des siècles, trouver des candidats (et désormais des duos) est forcément compliqué.
Nous souffrons d’un déficit d’implantation locale par rapport aux autres partis, c’est incontestable, et c’est pourquoi j’ai fait des scrutins territoriaux une priorité. Beaucoup de nos candidats aux départementales n’ont jamais été élus. C’était le cas des 1 600 conseillers municipaux de l’an dernier. Eh bien, ils apprennent, et ils apprennent assez vite. La politique, c’est l’affaire de tout le monde. Notre Constitution ne dit pas autre chose – « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Alors oui, mes candidats sont des bouchers, des agents d’assurances, des profs, des chefs d’entreprise… Qu’est-ce que cela a d’extraordinaire ? Attendons de les voir à l’œuvre !
En attendant, plusieurs de vos candidats n’ont toujours pas appris la politesse, ni l’amour de leur prochain. Nous pensons à tous ceux qui se sont illustrés par des déclarations gracieuses sur les « mahométans », les Noirs et les Arabes…
Vous évoquez une dizaine de candidats aux départementales qui ont dit des horreurs sur les Arabes et les musulmans. Je plaiderai tout simplement pour qu’ils soient tous mis à la porte. Mais une fois qu’ils ont été officiellement investis candidats du Front, je ne peux malheureusement pas retirer leur bulletin des bureaux de vote. Dieu merci, ces individus n’avaient aucune chance d’être élus, mais si par malheur cela arrive, ils ne participeront à aucun groupe étiqueté Front national. Si je suis intransigeante là-dessus, ce n’est pas par peur des suites judiciaires, mais par souci de décence. Ces gens à la pensée raciste doivent comprendre qu’ils n’ont rien à faire au FN. Cela fait quatre ans que je le dis, que je sanctionne, que je vire les coupables, mais certains n’ont pas encore compris.
Ah bon, on croyait que rien n’avait changé. Mais que vont devenir les racistes ?
Je ne suis aucunement en charge de leur avenir.
Quoi qu’il en soit, dès lors que vous visez la présidence de la République, il est légitime de poser la question de votre capacité à gouverner. Avez-vous les quelques centaines de personnes nécessaires pour tenir les ministères, les préfectures… ?
N’ayez pas peur ! Je n’aurai aucun problème à constituer un gouvernement, ni à trouver les 300 personnes qualifiées pour diriger la France. La haute fonction publique française est parfaitement légaliste. Elle se mettrait très naturellement au service du nouveau gouvernement, comme elle l’a fait à chaque alternance. Beaucoup de hauts fonctionnaires ou de cadres des grandes entreprises travaillent déjà avec moi. Dans l’anonymat, afin de respecter le devoir de réserve et de ne pas être mis au placard, mais aussi parce qu’ils me sont plus utiles ainsi que s’ils se présentaient à des élections.
Il y a aussi la pression sociale et médiatique qui rend infréquentable quiconque se compromet avec vous. Tant qu’on joue « FN contre le reste du monde » (en l’occurrence de la France), vos chances d’arriver à 51 % des voix à la présidentielle sont assez faibles, et ne parlons pas de celles d’avoir une majorité.
À la présidentielle, l’UMPS n’existe pas. Il y a des hommes et des femmes qui sont candidats, et c’est sur ces candidats, pas en fonction des directives des partis, que les Français se déterminent. Allez demander aux électeurs de l’UMP de voter Hollande ou aux électeurs de gauche de voter Sarkozy… Faisons un peu de politique-fiction et imaginons, en 2017, un second tour François Hollande-Marine Le Pen, le résultat de F. Hollande ne serait pas l’addition de son score et de celui de Nicolas Sarkozy (ou d’un autre) au premier tour ! Bref, au second tour, l’UMPS ne peut pas être considérée comme un bloc homogène. Quant à une majorité, je ne vois pas les Français m’élire sans me donner les moyens de gouverner. C’est la logique des institutions. Elle ne s’est jamais démentie.
Il est vrai que les électeurs de l’UMP et du PS ne suivent pas les consignes de vote de leurs leaders, du reste, il n’est pas certain que les vôtres vous suivraient si vous en donniez. Or, même si vous recrutez à gauche, la porosité entre votre électorat et celui de l’UMP est plus forte qu’avec le PS. Dans ces conditions, le « ni-ni » est-il tenable ?
Je ne donne pas de consignes de vote et je n’ai jamais dit « ni-ni ». Ma seule ligne, c’est « liberté de vote » !
Donc aucune alliance, même à long terme ? Vous voulez arriver au pouvoir seule ou pas du tout, c’est ça ?
Je ne vais pas choisir entre l’un des deux camps, puisque j’observe qu’ils font la même politique et que cette politique est néfaste… En revanche, je veux répondre aux attentes des déçus des deux camps. Et ça fait pas mal de monde….
En attendant, il y a plusieurs sujets sur lesquels vos électeurs n’adhèrent pas vraiment à la ligne du parti. Après le voyage de quatre députés français à Damas, un sondage publié par Le Journal du dimanche montrait que les plus hostiles, à 71 %, à une reprise du dialogue avec Assad étaient les sympathisants FN (suivis par ceux du Front de gauche).
Je crois qu’un élément a beaucoup joué : ces députés étaient UMP et PS. S’il y avait eu un élu Front national dans le lot, les résultats auraient été différents.
Et c’est nous qui prenons les gens pour des c…
Vous prenez le problème à l’envers ! Mon rôle n’est pas de suivre mes électeurs – si cela suffisait, n’importe qui pourrait me remplacer – mais de défendre un projet politique. Et cela n’est en rien méprisant d’observer que, sur des questions internationales complexes, il peut y avoir des incompréhensions. Il faut du temps pour faire de la pédagogie. En 1991, quand Le Pen s’est opposé à la guerre du Golfe, des dizaines de cartes du FN sont revenues au siège, découpées en deux. Les gens ne comprenaient pas les tenants et les aboutissants de ces problématiques géopolitiques. Mais Le Pen a tenu bon et, aujourd’hui, l’immense majorité des Français, à gauche comme à droite, sait qu’il a eu raison.
Restons sur la politique étrangère. En dehors de votre éventuelle dilection pour les leaders « qui en ont » façon Poutine, pensez-vous que, dans la crise ukrainienne, tous les torts soient du côté de Kiev et de ses alliés ? Les atteintes russes à la souveraineté ukrainienne sur la Crimée et l’est du pays ne vous dérangent pas ?
Je ne suis pas à 100 % pro-Poutine, mais je ne supporte plus la propagande américaine déversée à longueur de temps par nos élites. L’Union européenne diffuse une propagande à tonalité guerrière alors qu’elle porte une très lourde responsabilité dans la situation en Ukraine. L’engagement pris par l’OTAN lors de la réunification allemande de ne pas s’étendre jusqu’aux frontières de la Russie est en train d’être violé. Et ce, alors qu’on sait très bien qu’il ne faut pas chatouiller l’ours russe sur ses zones d’influence. L’Union européenne a soufflé sur les braises des divisions au sein même de l’Ukraine, et jeté l’est du pays contre l’ouest. Les Occidentaux ont fait signer un accord d’union nationale au président Ianoukovitch, en présence de Fabius, puis encouragé et fêté un véritable putsch vingt-quatre heures plus tard, entérinant l’arrivée au pouvoir à Kiev d’un gouvernement illégitime, ce qui a permis aux autorités de Crimée d’organiser un référendum. On a dit que ce référendum était illégal, mais illégal par rapport à quelle loi ? Celle d’un gouvernement lui-même illégal ? La Crimée est clairement russe, ses habitants ont plébiscité le rattachement à la Russie, notamment parce que le nouveau gouvernement ukrainien les menaçait dans leurs droits élémentaires.
Quoi qu’il en soit, si votre base est plutôt poutinienne, elle est beaucoup moins fan de Syriza. Vos électeurs apprécient diversement vos éloges appuyés du Mélenchon grec.
En tout cas, la presse en a fait son miel : elle soutient Syriza, elle est d’extrême gauche, vous vous rendez compte ! Mais au FN, les militants n’ont pas du tout réagi de cette façon. Ils ont très bien compris pourquoi je me réjouissais de la victoire d’un mouvement qui conteste la politique d’austérité européenne, alors que sur tout un tas de sujets, je suis loin de partager les positions de Syriza. Du reste, ses premiers pas sont décevants, et ils le seront tant que Tsipras n’aura pas admis que l’euro et l’austérité sont indissolublement liés.
Il n’en est pas moins vrai que votre électorat est loin d’être homogène, ne serait-ce que parce que les notions de « droite » et de « gauche » continuent à structurer les affects politiques. À bien des égards, le FN est un parti de gauche qui a beaucoup d’électeurs de droite. « À force de faire du Chevènement, vous allez faire des scores à la Chevènement » : la blague de Zemmour n’était pas seulement une blague…
Encore une caricature. Éric Zemmour est un remarquable écrivain, un très bon analyste, mais un mauvais politique, ce que, parfois, il admet lui-même
Pourrait-il y avoir un parti à votre droite ?
Évidemment. La mouvance identitaire existe, elle a déjà présenté des candidats. Certains de ses sympathisants tentent de faire de l’entrisme au FN dans l’espoir de nous influencer, sans le moindre résultat. Sur le site Fdesouche, je suis abondamment critiquée. Bref, je vois bien qu’il y a à notre droite des gens qui ne sont pas ravis de toutes nos positions. Je ne vais pas en changer pour leur faire plaisir. Cela étant, s’ils pensent, malgré leurs réserves, que je suis la moins néfaste pour la France, je ne vais pas leur dire d’aller se faire voir !
Et les soralo-dieudonnistes, font-ils aussi de l’entrisme ?
Je ne crois pas. D’ailleurs, ils ont monté leur parti. Je m’en réjouis, cela a au moins le mérite de clarifier la position du FN.
Venons-en à la mère de toutes les batailles pour le Front national : la question migratoire. Sans parler de la régulation des flux, comment comptez-vous œuvrer à l’intégration des Français d’origine étrangère ?
Retrouver des frontières, limiter l’immigration au socle minimum, supprimer le droit du sol, arrêt de toutes les aides incitatives à l’immigration clandestine. D’abord, je bannis le mot « intégration » pour y substituer le terme et la politique d’« assimilation ». Comme première mesure, je refuserai toute revendication communautariste : fini les contenus scolaires spécifiques, les horaires séparés dans les piscines, etc. Dans un second temps, je romps avec toutes les politiques qui font la promotion des différences culturelles, comme les cours de langue et culture d’origine. Je supprime aussi la double nationalité : ses possesseurs devront choisir s’ils veulent rester français ! Croyez-moi, cela réglera un certain nombre de problèmes. Enfin, j’engagerai une lutte active contre le fondamentalisme islamiste. C’est un cancer qui se développe de manière exponentielle dans un certain nombre de quartiers et qui menace l’unité nationale.
Faute de temps pour discuter chacun de ces points, une précision sur votre stratégie. Envisagez-vous de diriger personnellement la liste FN en Nord-Pas-de-Calais-Picardie aux élections régionales de décembre 2015 ?
Tout me pousse à partir à cette élection : d’abord mon caractère combatif, mais aussi le fait que j’ai une vision très précise de ce qu’il faut y faire et de ce qu’il ne faut plus y faire ! Mon problème tient au calendrier : la présidence d’une grande région fusionnée est-elle compatible avec l’agenda de la campagne présidentielle ? Nous avons encore le temps pour réfléchir, la question reste donc ouverte.
Venons-en à une question que nous avons gardée pour la fin parce qu’il paraît qu’elle vous énerve beaucoup : certains prétendent que Florian Philippot est la seule personne que vous écoutez. Êtes-vous maraboutée ?
Je ne suis maraboutée par personne, cette histoire n’a aucun sens. Vous n’avez qu’à lire le livre que j’ai publié en 2005, vous vous apercevrez que toutes mes convictions d’aujourd’hui y étaient. Florian est un garçon de grande qualité qui a une bonne analyse politique. Devant ce jeune énarque, on aurait pu se dire : au premier coup de vent, il va s’inquiéter, paniquer. Or il est beaucoup plus solide qu’on ne l’imagine.
Avec qui discutez-vous du fond ? Certains disent que vous n’échangez qu’avec ceux qui ont le même avis que vous…
C’est Le Pen qui dit ça ! Comme il trouve que je ne lui parle pas assez, il pense que je ne parle qu’aux autres. Il râle parce que, selon lui, je dirige le FN avec mon « petit groupe », mais mon « petit groupe », c’est le bureau exécutif du Front !
Puisqu’on en est aux sujets qui fâchent, parlons un peu de votre père. À plusieurs moments stratégiques pour vous, il a lâché une des sorties douteuses dont il a le secret – par exemple, une petite blague sur un journaliste dont la judéité ne se voyait « ni au nom ni au nez », cinq minutes avant que vous montiez à la tribune du congrès de Tours. Vous arrive-t-il de craindre qu’il vous empêche, volontairement ou pas, de mener la dédiabolisation à son terme ?
Le Pen a sa manière de faire de la politique. Nous avons un désaccord majeur : pour lui, « parlez-en en bien, parlez-en en mal, l’important est qu’on en parle ». Moi, je pense que les polémiques nous empêchent de parler du fond. Quand elles occupent les trois quarts d’une émission, je suis très mécontente, car je ne peux pas présenter mon programme aux Français. Encore une fois, le FN est devenu un parti de gouvernement, mais Le Pen conserve les réflexes d’un contestataire.
Pour ne pas dire d’un fouteur de merde…
C’est son côté punk ![/access]
*Photo : Hannah.
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