Sereine et – apparemment – confiante malgré les défections de certains de ses élus, Marine Le Pen mène sa troisième campagne aux élections présidentielles. Et c’est avec un certain sang-froid qu’elle affronte un obstacle aussi redoutable qu’inédit : Éric Zemmour, qui risque de lui barrer la route du second tour. Ironie de l’histoire, elle se positionne comme le vote utile. Voire comme le rempart contre l’extrémisme.
Suite de la première partie
Causeur. Idéologiquement, Eric Zemmour n’est-il pas plus proche de votre père que vous ?
Marine Le Pen. Quel père ? Celui des années 1980 ? Car ce n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Être sur les positions d’un Le Pen qui menait un combat contre le socialo-communisme maintenant que le danger est le mondialisme, c’est se tromper d’époque. C’est l’ultralibéralisme qui a imposé l’immigration massive, la mondialisation sans régulation, l’idéologie du tout-commerce, les métropoles gigantesques entourées par des déserts. Le marché se moque de savoir si les gens sont heureux ou malheureux, si on préserve ou si on détruit les identités. Nous devons donc combattre deux totalitarismes : l’islamisme (le tout-religieux) et l’ultralibéralisme (le tout-commerce). L’économie de marché, évidemment, mais avec un État stratège.
Que ferez-vous si le Conseil constitutionnel s’oppose à vos projets ?
Il ne pourra pas ! Mon référendum sur l’immigration constitutionnalisera le droit des étrangers, sujet complètement absent de la Constitution française. Et je constitutionnaliserai aussi le fait que si un droit européen est contraire à la Constitution française, il sera purement et simplement inapplicable en droit français. Je créerai une barrière juridique.
Encore faudra-t-il convaincre les magistrats…
Ils n’auront pas le choix. Si j’inscris dans la loi l’interdiction de régulariser les immigrés clandestins, aucun ne pourra plus jamais être régularisé. Autrement dit, pour qu’un clandestin obtienne un droit de séjour, il devra repartir dans son pays, demander poliment la possibilité de venir et, s’il l’obtient, il ne pourra être régularisé que sur décision du Conseil des ministres dans des cas exceptionnels. Un clandestin a une chance sur quatre d’être régularisé et, ensuite, une chance sur quatre de devenir Français. Une chance sur huit, ça se tente. Quand vous demandez aux migrants qui sont à la frontière polonaise où ils veulent se rendre, 70 % vous répondent : en France. Ma politique visera à dissuader l’immigration.
Et pour les étrangers en situation régulière, que ferez-vous ?
Si vous annoncez qu’ils n’auront plus l’aide médicale d’État, plus d’allocations familiales, qu’ils ne seront plus prioritaires dans les logements sociaux, qu’ils ne pourront plus faire de regroupement familial, qu’ils n’auront droit aux APL ou au RSA qu’après avoir travaillé cinq ans d’équivalent temps plein, alors seuls ceux qui subviennent à leurs besoins pourront rester et beaucoup d’autres se diront : pourquoi venir en France ?
Donc, c’est le travail qui, pour vous, donne accès à la communauté ?
La vraie différence de comportement sépare ceux qui travaillent de ceux qui ne travaillent pas. Je suis tous les jours abordée par des étrangers qui me disent qu’ils n’en peuvent plus. Eux travaillent, ne mettent pas le bazar. Maintenant, si un étranger se retrouve au chômage pendant plus d’un an, on lui dira : il faut rentrer chez vous, parce qu’on a 5,8 millions de chômeurs.
Ça ressemble étrangement aux propositions de Zemmour…
Non, ce sont les positions de Marine Le Pen reprises par Éric Zemmour. Contester une telle évidence est d’une mauvaise foi crasse. De plus, moi, je n’agirai pas brutalement, car je sais que derrière les statuts et les chiffres, il y a des hommes, des femmes et des enfants. Je leur dirai : vous avez un an pour vous préparer, mais sachez que les ressources sur lesquelles vous comptez ne seront plus disponibles dans quelques mois.
Et pour Schengen ?
Dès mon arrivée au pouvoir, je suspendrai Schengen, en attendant de mettre en œuvre le référendum sur l’immigration. Chaque pays doit pouvoir disposer de ses frontières, donc je passerai des accords bilatéraux de libre circulation des nationaux (pas de tous les résidents) avec des pays qui maîtrisent leurs frontières, par exemple avec la Suisse ou avec le Portugal, pas avec l’Allemagne, parce qu’avec leur coalition verte/rose, ils vont régulariser tous les clandestins de la Terre. La libre circulation visait au départ les citoyens des pays, pas tous ceux qui avaient obtenu un droit de séjour. Schengen a été totalement dévoyé, comme le droit d’asile : on a tout fait pour créer des filières d’immigration supplémentaires. Aujourd’hui, c’est intenable.
En somme, sur l’immigration, ce qui vous distingue de Zemmour, c’est la brutalité ?
Oui ! Et aussi la technicité. Il paraît que lui aussi veut faire un référendum sur l’immigration. Nous, on a travaillé avec des juristes et des magistrats pendant des mois pour mettre au point un dispositif permettant d’échapper aux textes européens qui interdisent d’expulser les clandestins, y compris terroristes, ou imposent de soigner des gens qui n’ont rien à faire dans nos hôpitaux. Nos solutions sont plus structurées, plus solides juridiquement.
Il a aussi des outrances comme l’histoire des prénoms… En matière d’immigration, il y a tant à faire, le sujet est tellement grave… Alors pinailler sur Jean-Pierre ou Rachida…
Pour l’instant, vous le surpassez dans les sondages. Ça rend les défections encore plus inquiétantes pour vous. Et ne nous dites pas que ce sont des seconds couteaux. Jérôme Rivière présidait le groupe RN à Bruxelles. Et Gilbert Collard était l’un de vos élus les plus connus.…
Ces personnes n’ont même pas eu le courage de me prévenir de leur départ, encore moins de discuter des raisons qui les motivaient. En réalité, ils estimaient que les axes prioritaires de ma campagne, je pense évidemment au pouvoir d’achat que je défends sous le slogan « rendre aux Français leur argent », ne correspondaient pas à leur obsession.
Or, je ne fais pas une campagne groupusculaire, je veux répondre aux attentes et aux besoins des Français et leur proposer des solutions concrètes ; ils sont nombreux, l’immigration et l’insécurité sont deux thématiques extrêmement importantes auxquelles j’apporte d’ailleurs des solutions très détaillées et très travaillées, mais elles ne sont pas les seules. Jérôme et Gilbert considèrent la vie quotidienne des Français comme secondaire, ils sont donc partis vers le candidat qui est sur cette ligne unique… C’est dommage mais ça ne me fera pas changer de ligne.
Si vous étiez derrière Zemmour, vous vous désisteriez ? L’appelez-vous à le faire ?
On ne peut pas se désister. La présidentielle, c’est une seringue dont on ne peut sortir que par l’aiguille. À partir du moment où on annonce sa candidature, c’est fini. Dans l’esprit de la Ve République, le désistement est inutile puisqu’il y a un premier tour. Ce sont les électeurs qui désisteront Éric Zemmour par le vote utile. La vraie question est : Zemmour appellera-t-il à voter pour moi si je suis au second tour ?
Et si c’était lui qui était au second tour ?
Il n’a aucune chance d’être au second tour.
Vous êtes bien sûre de vous. Mais comme lui, avez besoin d’électeurs transfuges dès le premier tour. Vous, des LR dépités par le crypto-macronisme de leurs chefs, et lui de votes plus populaires, notamment d’électeurs RN désespérés par votre défaite annoncée.
Mais annoncée par qui ? Il a passé quatre mois de campagne à taper quasi exclusivement sur moi, sans jamais parler de Macron.
Par ailleurs, je le répète, ce sont des idées reçues, je suis bien mieux positionnée qu’Éric Zemmour chez les chefs d’entreprise, les professions intermédiaires et même s’agissant des reports de voix LR dans le cadre d’un second tour.
Vous n’allez pas nous dire qu’il s’est présenté pour vous faire perdre ?
Éric Zemmour ne s’appartient pas. Il était déjà l’homme de certains médias, il s’est mis dans la main de LR avec les parrainages. A-t-il sous-estimé le système que nous combattons ou en est-il l’instrument, seul l’avenir nous le dira. Comme avec Mégret, l’idée obsessionnelle de la droite, UMP à l’époque, LR aujourd’hui, consiste à se débarrasser du gêneur. Et nous sommes le gêneur, parce qu’ils ont eux-mêmes décrété qu’ils ne pouvaient pas s’allier avec nous. Maintenant, il faut tuer celui avec qui ils ne peuvent pas s’allier pour faire émerger quelqu’un qui viderait l’électorat du RN et avec qui ils pourraient s’allier pour être sûrs de gagner et de conserver le pouvoir. Avec Mégret, qui venait du FN, ça n’a pas marché. Donc ils ont essayé de le faire avec Zemmour, qui a toujours été plus proche de LR que de RN. D’ailleurs, il me l’a toujours dit : le nom de Le Pen ne peut pas gagner.
Pour vous, c’est fini, cette malédiction du nom ?
Oui. D’ailleurs, Zemmour m’a beaucoup aidée en contribuant à changer mon image.
Vous parlez avec votre père ?
Ça m’arrive, mais plus de politique.
Beaucoup de ses positions sont devenues « mainstream ».
C’est incontestablement un visionnaire doué d’un immense courage, mais avec ce goût de la provocation qui a fait perdre des années à ses idées. Et c’est aussi le problème d’Éric : il est tellement orgueilleux qu’au lieu de regarder les erreurs du Front national de Le Pen, il les répète sans en rater une ! Il est incapable de reconnaître la moindre erreur, même les plus odieuses, comme ses propos sur les enfants assassinés par Mohammed Merah. Si on a fait la dédiabolisation, pour lui c’est qu’on est des cons… sauf que la diabolisation marche très bien… surtout quand on prend un malin plaisir à la nourrir. C’est quoi la dédiabolisation ? C’est ne pas aimer qu’on vous diabolise et ne pas exister par cela. De ce point de vue, Zemmour reproduit précisément les erreurs de Jean-Marie Le Pen qui faisait parfois des provocations pour le plaisir de provoquer, pas pour faire avancer une idée. Pendant ce temps, nos adversaires gouvernent et les Français souffrent. Moi, je ne pense pas en choquant.
Sauf que Zemmour veut briser le cordon sanitaire…
En faisant l’union des droites, ce qui n’a plus de sens. Jean-Marie Le Pen avait aussi essayé, notamment aux régionales. Les barons RPR de l’époque lui ont claqué la porte au nez, quitte à gouverner avec la gauche. Qu’a fait le RPR ? Ruiner la France en mentant aux Français. La seule question est : est-ce qu’on est mondialiste ? Vous voulez que je gouverne avec Raffarin ? Et pourquoi pas Juppé ou Hollande ?
Il s’agit de la faire dans les urnes, pas dans les appareils, autrement dit de réunir ceux que vous appelez les « nationaux » des deux partis et même de gauche.
Les électeurs n’ont pas besoin du ralliement des appareils politiques qu’ils exècrent pour choisir leur présidente. Et je suis la plus à même de le faire. Je vous rappelle que, dans les sondages où Zemmour n’est pas là, je fais 28 %. S’il n’est pas candidat, je suis devant Macron. Il doit assumer cette responsabilité. Il a fait quatre promesses, qui se sont toutes effondrées en trois mois. Un, je suis celui qui va rassembler LR et RN. Deux, je suis le seul qui peut gagner face à Macron. Trois, je ne reculerai sur rien ; il a reculé sur le mariage homosexuel, sur la remigration, sur l’islam, sur les femmes… Enfin, et peut-être surtout, il prétendait être un homme libre, ne dépendant d’aucun appareil politique : avec cette histoire de parrainage, il dépend d’un appareil politique et en plus, ce n’est pas le sien. Il a d’ailleurs explicitement reconnu que, pour accéder au second tour, Pécresse avait besoin qu’il se présente. La question est donc : à quoi sert cette candidature sinon à faire qualifier Pécresse au second tour ?
Vous n’êtes pas angoissée par l’idée que c’est votre dernière chance ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas une aventure personnelle. Je n’ai pas ce type d’angoisse. J’adore la politique et je continuerai, quoi qu’il en soit, à faire de la politique. Où ? Comment ? De quelle manière ? Je n’en sais rien.
Votre robe d’avocate suspendue derrière vous, c’est un symbole ?
Oui. Je crois que je reste un peu avocate au fond de moi. Elle me rappelle la vraie vie.