Après sa lourde défaite au second tour, Marine Le Pen se la joue comme Ségolène Royal en 2007. En France, les perdants ne se décident jamais à quitter la politique.
Pour la huitième fois en un demi-siècle, le nom Le Pen est associé à une nouvelle défaite. Certes, avec douze millions de voix, on est loin des 0,74% inauguraux de Jean-Marie Le Pen en 1974. Mais malgré des sondages engageants avant le premier tour (elle frôlait les 49% dans certains sondages le 8 avril), malgré un quinquennat marqué par des crises en tout genre, malgré un renfort de voix venu des outre-mers, Marine Le Pen s’est une nouvelle fois retrouvée confrontée à son habituel plafond de verre, qu’elle a aussi lourdement contribué à maintenir grâce à un nouveau débat presque aussi catastrophique que celui d’il y a cinq ans. Pourtant, quand démarrait cette quinzaine d’entre-deux-tours, l’hypothèse d’une victoire arrachée sur le fil ne semblait pas plus invraisemblable que la victoire du Brexit ou de Trump, en 2016, une semaine avant le scrutin.
Marine Le Pen, c’est pas Lionel Jospin
Au pavillon d’Armenonville, alors que le réseau wifi vient de sauter, Marine Le Pen entame son discours à 20h12. Un discours lunaire. Les férus d’histoire de la Vème République se souviennent d’une Ségolène Royal, au soir de sa défaite de 2007, déclarer : « Mon engagement et ma vigilance seront sans faille au service de l’idéal qui nous a rassemblés et nous rassemble, et qui va, j’en suis sûre, nous rassembler demain pour d’autres victoires ». L’art de transformer une défaite en victoire, Marine Le Pen le maîtrise presque aussi bien : « En dépit de deux semaines de méthodes déloyales et choquantes ; les idées que nous représentons sont portées au sommet : le résultat de ce soir représente en lui-même une éclatante victoire ». Au sein d’une certaine droite, on a pris l’habitude de citer Orwell depuis quelques années : « La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Avec Marine Le Pen, on n’est pas très loin de ce degré d’anticatastase. Heureux monde où les victoires sont des victoires, et où les défaites, même à cinq point des sondages les plus optimistes, sont également des victoires. Bien décidée à mener avec Jordan Bardella la bataille des législatives (lequel espérait sur TF1 que son parti se dégagerait comme la principale force d’opposition du pays, n’essayant même pas d’imiter le cirque de Jean-Luc Mélenchon et sa volonté d’imposer une cohabitation au président réélu), rien n’annonce dans son discours un retrait à venir de la vie politique. N’est pas Lionel Jospin qui veut.
Dans n’importe quelle démocratie à peu près équilibrée, un candidat qui aurait perdu une élection majeure et aurait humilié son propre camp par un débat complètement raté se serait retiré dans le Vermont, dans le Montana, et pêcherait le saumon jusqu’à la fin de ses jours. En France, la droite nationale – peut-être à cause du mal qu’elle a fait, des Templiers sacrifiés à Vichy en passant par Clément Méric – semble condamnée à être sempiternellement représentée par la même candidate, la même famille. Le diagnostic d’Eric Zemmour, certes incapable d’attirer à lui le vote populaire, reste juste. Les partisans du Rassemblement national rétorqueront qu’un club de rugby qui aurait perdu huit ou 10 finales de Top 14 (au hasard, Clermont) ne se déciderait pas à s’auto-dissoudre pour autant et repartirait au charbon la saison suivante. Alors pourquoi en demander autant à Marine Le Pen ?
Indéboulonnable RN…
Intervenant peu après la candidate battue, Eric Zemmour, un peu piquant à l’égard de sa rivale défaite, proposait néanmoins une alliance entre son parti, le Rassemblement national, Debout la France et l’aile droite des Républicains en vue des législatives. Mais ce scrutin, troisième et quatrième tours d’une année électorale qui a déjà lassé les Français, confirmera sans nul doute la victoire du candidat sortant. La droite hors-les-murs vivra cinq nouvelles années d’opposition, en écoutant CNews, en lisant Valeurs actuelles (et Causeur) et en essayant de se greffer à tout mouvement contestataire encore inimaginable aujourd’hui, comme les gilets jaunes et les antivax naguère.
Une formation parviendra-t-elle à arracher le socle populaire au parti de Marine Le Pen ? Zemmour réussira-t-il là où ont échoué les Mégret, Villiers, Pasqua, Dupont-Aignan, alors que l’aura magique de la marque RN et de la marque Le Pen fonctionne encore bien ?
Rien n’est certain. Pour Elements, François Bousquet a proposé une excellente analyse, distinguant un électorat zemmouriste, bourgeois, prêt à faire deux cents kilomètres pour aller au Trocadéro, d’un électorat des périphéries, des pavillons, désidéologisé, dépolitisé, assez détaché de toute considération esthétique. Réunir tout ce petit monde un beau jour, pourquoi pas. Atteindre les 50% + 1, ça sera une autre histoire.