Lors de son dernier interrogatoire devant les juges, la semaine dernière, Madame Le Pen a confirmé qu’elle était candidate à l’élection présidentielle de 2027. A la barre, elle a démonté point par point et de façon convaincante toute idée de “système” de détournement des fonds européens. Elle semble en revanche penser qu’un «système» s’est mis en branle contre son mouvement, dès que ce dernier a commencé à prendre trop d’importance dans les urnes… Elle risque une peine d’inéligibilité (loi Sapin de 2016) voire de prison, et une amende d’un million d’euros.
Après six semaines de procès, Marine Le Pen était de nouveau appelée à la barre la semaine dernière, mais cette fois-ci sous le chef d’accusation de complicité de détournement de fonds publics en tant qu’ex-présidente du Front national, personne morale mise en cause pour la période de la prévention allant du 16 janvier 2011 au 31 décembre 2016.
La magistrate Bénédicte de Perthuis a annoncé que « la question que l’on aura à se poser pour la complicité est : est-ce qu’il y avait un système de gestion centralisée des enveloppes d’assistants parlementaires qui auraient travaillé pour le Front national, et non pas pour les eurodéputés ? Et qui supervisait cette gestion centralisée des enveloppes ? »
À la barre, l’ancienne avocate, vêtue d’un tailleur pantalon et juchée sur de hauts talons, dénonce en propos liminaire une instruction faite uniquement à charge, ayant permis que « des dizaines de milliers de messages de dizaines de personnes soient aspirés ». C’est « la pêche au chalut », raille l’élue du Pas-de-Calais. « Depuis un mois et demi, j’ai quand même le sentiment que l’on tourne autour d’une dizaine de mails ou de SMS que l’on considère mal rédigés ou maladroits, mais que cela ne reste qu’une dizaine de mails sur des dizaines de milliers ». On racle les fonds, et on voit ce que l’on a pris dans le filet judiciaire, et l’on ne présente bien sûr que les pièces à charge. Pugnace, la chef des députés RN à l’Assemblée nationale s’attache pendant plusieurs heures à démonter chaque chef d’accusation.
« La centralisation est dans la culture du Front national »
Concernant la mutualisation du travail des assistants parlementaires des eurodéputés, Marine Le Pen justifie cette mutualisation indispensable à l’exercice des mandats alors qu’ils n’étaient que trois lors de la 7è législature (2009/2014) : Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch et elle. Pour la 8è législature (2014/2019), la chef de l’opposition tient à rappeler le contexte particulier de l’élection. « C’est une situation périlleuse d’arriver avec vingt députés novices sur vingt-trois, sans le support technique d’un groupe. Un groupe, cela permet d’avoir une cinquantaine de salariés qui sont chargés intrinsèquement du travail mutualisé… Quand on est non-inscrits (et donc sans groupe), on ne peut pas faire autrement que de mettre en place cette mutualisation du travail. » Concernant les transferts d’assistants sur les différents eurodéputés, cela s’explique par le travail en pool, les campagnes électorales ou encore par la vie politique elle-même, faite d’égos mais aussi parfois d’inimitiés. La vie politique est un sport de combat, fait d’espoirs, d’échecs, de victoires, de trahisons, et aussi de fidélité, raconte Mme Le Pen.
L’ancienne avocate démonte cette idée de “système”, à partir du moment où la totalité des contrats ne se retrouvent pas dans l’ordonnance de renvoi. « Peut-il y avoir “système” pour l’un, et pas par pour l’autre ? Ce serait là un drôle de “système”! » Jamais le Parlement européen n’est venu dire à la délégation française frontiste que Charles Van Houtte avait trop de procurations à son nom. « Encore aujourd’hui, nous avons 30 députés (au Parlement européen), qui ont tous donné une procuration à une jeune assistante », déclare Marine Le Pen pour preuve de bonne foi. Quant à « la centralisation, (elle) est dans la culture du Front national. De force, car trouver un prestataire qui accepte de travailler avec le Front national est compliqué », avoue Marine Le Pen. Mais aussi « de gré », car « c’est performant ». «On centralise les candidatures, on centralise la maquette des documents, on centralise le choix des imprimeurs (…), car nous sommes les réassureurs de nos candidats et de nos élus, et parfois ça fait mal (…). Quand les candidats font moins de 5%, le parti prend en charge, et nous sommes les seuls à faire cela. Car nous avons des candidats souvent d’origine modeste qui n’ont pas les moyens de faire face à une perte ».
« Il y a autant de tâches possibles que d’assistants parlementaires »
Concernant la localisation reprochée d’assistants européens au siège du FN, il faut noter qu’aujourd’hui encore des collaborateurs d’eurodéputés ont leurs bureaux au siège du parti. Le Parlement européen demande simplement la rédaction d’une convention de mise à disposition dudit bureau. Il n’y a donc rien de suspect, insiste Marine Le Pen. De fait, rien ne prouve que les assistants aient travaillé directement pour le parti. L’audit des comptes du FN – tous validés par les commissaires aux comptes et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques – montre que la masse salariale du parti n’a pas baissé, mais au contraire n’a cessé d’augmenter lors de la période de la prévention. Concernant les employés eux-mêmes, seuls quatre salariés du FN, dont un à mi-temps, sont devenus assistants parlementaires sur toute la période. L’accusation de « vases communicants » entre des salariés du parti sur des postes d’assistants d’eurodéputés se réduit donc à peau de chagrin.
Marine Le Pen assume ensuite que le graphiste du mouvement soit assistant parlementaire. « Il met en forme les images, les visuels, pour faire la promotion de l’ensemble des députés (…) Cela n’a rien d’extraordinaire.» La cheffe de la droite nationale rappelle qu’être assistant parlementaire est un statut qui ne dit rien du contenu du travail. « Il y a autant de tâches possibles que d’assistants parlementaires. Cela va de la secrétaire au rédacteur de discours, du juriste au graphiste, du garde du corps à celui qui tient la permanence. À l’Assemblée nationale, j’ai un assistant parlementaire qui est photographe. Il prend des photographies de l’ensemble des députés pour nourrir les réseaux sociaux » témoigne encore la députée.Le Parlement européen voudrait-il limiter le travail des députés et de ses collaborateurs ?
« Le député fait de la politique, et l’assistant l’assiste dans cette activité politique »
« Le député est-il seulement un législateur, ou aussi un politique ? » Pour appuyer sa démonstration sur l’indissociabilité du travail parlementaire du travail politique, la présidente du groupe RN joint aux débats une lettre du déontologue de l’Assemblée nationale, laquelle confirme que les frais des assistants pour un congrès politique sont bien pris en charge par l’enveloppe parlementaire. « Le député fait de la politique et l’assistant l’assiste dans cette activité politique », martèle Marine Le Pen. S’il n’en était pas de même pour les eurodéputés, l’ancienne avocate estime que « cela poserait un vrai problème de droit, car cela voudrait donc dire que le député européen a moins de droits que le député national (…) Ne peut-on pas avoir une fonction politique, lorsque l’on est assistant parlementaire ? Quel conflit d’intérêt peut-il exister entre un député et son parti, ou un assistant parlementaire et son parti? Ils œuvrent pour les mêmes idées, ils ont fait campagne ensemble. »
L’élu, l’assistant, sont des politiques où qu’ils se trouvent, a argumenté la défense pendant tout ce procès. À Bruxelles ou Paris, les assistants parlementaires ont travaillé pour la France, même lorsqu’ils vont « au fin fond de la cambrousse », selon l’expression dédaigneuse employée par la présidente du tribunal.
« Où sont mes instructions?… Il n’y en a pas »
Accusée d’avoir imposé le recrutement de certains assistants parlementaires, la chef de file de l’opposition renvoie le tribunal dans les cordes : « Où sont mes instructions?… Il n’y en a pas. » Au contraire, l’élue du Pas-de-Calais cite un mail où elle répondait à la demande d’embauche de Loup Viallet par l’eurodéputé Dominique Bilde : « C’est qui ?» interrogeait-elle alors.
Néanmoins, Marine Le Pen assume son rôle de dirigeante politique qui exerce parfois « un droit de veto », pour éviter le recrutement de « personnes politiquement toxiques » ou « apparaissant nuisibles au mouvement ». La candidate à la présidentielle fixe sa ligne : « Je ne veux pas de gens issus d’un groupuscule, je ne veux pas de gens qui expriment une radicalité, je ne veux pas de gens qui ont tenu des propos absolument contraires à la vision que défend le Rassemblement national. Je ne veux pas d’incompétents, certains sont notoires ». Reproche-t-on aux chefs de cheffer ?
Le tribunal évoque la réunion de juin 2014 durant laquelle Marine Le Pen aurait demandé aux eurodéputés de ne choisir qu’un seul assistant, les autres étant dédiés au mouvement. L’accusation s’appuie entre autres sur le témoignage d’Aymeric Chauprade, mais celui-ci est revenu, dans un communiqué de presse, sur ses premières déclarations qu’il dit avoir faites sous la pression judiciaire et dans un esprit de vengeance. Marine Le Pen dénonce, là encore, une instruction faite uniquement à charge. Ils étaient vingt-trois eurodéputés, et on ne présente que deux témoignages à charge de personnes qui ont été en conflit et ont été exclues de la délégation française. A contrario, pourquoi le tribunal ne retient-il pas les témoignages de Rachida Dati, Brice Hortefeux et d’autres eurodéputés qui confirment la présence des assistants frontistes au Parlement ?
Mais vous êtes fous !
Marine Le Pen s’étonne d’une « instruction déloyale ».
Avec le peu d’éléments présentés, qu’on « puisse tirer de cela (sa) culpabilité (…) je trouve cela fou ».
La voix grave, enfin, l’élue s’enflamme : « Je risque dix ans de prison, un million d’euros d’amende si ce n’est plus avec cette prévention à géométrie variable. Je suis une dirigeante politique. J’ai donné ma vie à la vie politique. Je demande un acte d’instruction, d’une simplicité absolue, on me le refuse. Et on me confronte à une dizaine de mails sur plus de 10 000. Où sont mes instructions ?» La candidate à l’élection présidentielle de 2027 pointe le risque inouï que fait encourir la pénalisation de ces contrats d’assistants parlementaires qui, au demeurant, ont tous été effectués. Si, conformément à la loi du 11 décembre 2016, l’obligation d’une peine d’inéligibilité devait s’appliquer, cela aurait une conséquence retentissante sur la vie politique française alors que Marine le Pen est aujourd’hui donnée en tête de toutes les enquêtes d’opinions.