Au tribunal, Marine Le Pen a de nouveau défendu avec assurance le travail réalisé par Mme Griset, Mme Bruna ou M. Légier, lors de l’audience du 15 octobre. Mais l’accusation continue de dire que les assistants parlementaires européens occupaient des emplois « fictifs ».
Elles sont arrivées ensemble au tribunal. L’une, brune au carré mi-long, en costume bleu, élancée sur de hauts talons. L’autre, blonde au carré court, altière sur ses escarpins talons aiguilles, vêtue d’un chemisier clair sous une veste vert fougère. Catherine Griset et Marine Le Pen se sont rencontrées quand Marine Le Pen, alors jeune avocate, cherchait une assistante. Catherine Griset arrivait d’Angoulême, et une connaissance commune du Front national jeunesse (FNJ) les a mises en relation. Après une période d’essai, Catherine Griset, encore étudiante, devient l’assistante de l’avocate Marine Le Pen. Depuis cette date, les deux femmes ont poursuivi leur collaboration jusqu’à l’élection de Catherine Griset à la députation européenne, en 2019.
« Je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen ! »
Forte de cette fidélité professionnelle, Catherine Griset devient l’assistante parlementaire de l’eurodéputée Marine Le Pen entre 2010 et 2016. L’ancienne assistante énumère la longue liste de tâches qu’elle réalisait alors : gestion des nombreuses boîtes de Marine Le Pen (que celle-ci n’ouvre jamais), gestion de son agenda et de ses déplacements (réservation des billets de transports, hôtels, etc.), impression et correction des discours « dans un format très précis », préparation de ses interventions en plénière, en commission, gestion de son temps de parole au Parlement européen et de ses relations avec les eurodéputés d’autres délégations, gestion des appels et de toutes les demandes de contact, etc. L’ancienne assistante parlementaire, accusée d’avoir cumulé en même temps la fonction de chef de cabinet de Marine Le Pen, explique qu’elle gérait la réception de « plus de 500 mails par jour, de 300 lettres » ! L’ancienne assistante accréditée se définit ainsi comme une courroie de transmission entre Marine Le Pen et les autres députés et assistants parlementaires européens, et toute autre personne : « je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen. Les gens qui veulent lui parler, la voir : ils s’adressent à moi ! » Mais, pourquoi est-il écrit dans les organigrammes du parti qu’elle est “assistante”, sans référence au Parlement européen, puis “chef de cabinet” de Marine Le Pen ? interroge le tribunal. Personne ne conteste son travail, mais travaillait-elle pour Marine Le Pen, présidente du FN, ou pour Marine Le Pen, eurodéputée ? « J’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen ». Donc, « vous travailliez pour Marine Le Pen, présidente du parti ? », insiste la présidente du tribunal. « Non, j’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen. Quand Marine Le Pen était avocate, j’étais assistante juridique. Quand elle est députée, je suis assistante parlementaire », rétorque l’ancienne assistante. Pour prouver le contenu de son travail d’assistante parlementaire, Catherine Griset a fourni des centaines de preuves à l’instruction, lesquelles démontrent que son travail d’assistante était incontestablement en lien avec le Parlement européen lorsque Marine Le Pen en était une élue. Mais la juge Bénédicte de Perthuis met en doute la pertinence des pièces fournies.
La défense demande alors l’affichage de mails datant de cette époque. Défilent aléatoirement sur le grand écran de la salle d’audience des messages de ou à destination de Catherine Griset, parfois signés Marine Le Pen par l’assistante elle-même. Mais pourquoi n’utilisait-elle pas la boîte mail du Parlement européen ? interroge l’accusation. Comme elle devait gérer plusieurs boîtes mails, il lui était plus pratique de basculer tous les mails sur sa boîte Gmail personnelle, explique Mme Griset. D’autant que le Parlement européen écrasait les mails au bout de 90 jours.
Pourquoi ne vivait-elle pas à Bruxelles, comme le stipule la réglementation européenne pour les assistants parlementaires accrédités (APA) ? interroge Me Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen. Catherine Griset raconte sa vie sentimentale complexe faite de divorces et de séparations multiples. Elle reconnait en outre ne pas avoir compris qu’« être domiciliée voulait dire vivre à plein temps à Bruxelles ». Elle pensait, « en tout bonne foi », qu’il fallait être domicilié en Belgique, mais uniquement pour des raisons administratives et fiscales… Concernant sa présence partielle à Bruxelles, l’ancienne assistante accréditée déclare qu’elle suivait sa patronne, et n’avait pas compris à l’époque qu’elle devait « être au Parlement européen de 9h à 17h ». L’audience est suspendue. Catherine Griset part à toute vitesse. Direction ? Le Parlement européen, dont elle est maintenant une élue !
« Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux »
À la reprise des débats, on a le sentiment que le procès tourne un peu en rond. La magistrate Bénédicte de Perthuis appelle de nouveau à la barre des prévenus déjà interrogés la semaine précédente avec Bruno Gollnisch. Concernant le contrat d’assistante parlementaire signé entre Marine Le Pen et Micheline Bruna, alors secrétaire de Jean–Marie Le Pen d’après l’organigramme du FN, l’ancienne eurodéputée répète au tribunal le fonctionnement en « pool » des assistants qui était en vigueur alors qu’ils n’étaient que trois eurodéputés FN, Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch et elle, durant la législature 2009/2014. « Nous avions mutualisé Mme Bruna car nous n’étions que trois », répète inlassablement Marine Le Pen. Elle en profite cette fois-ci pour « rendre un hommage à l’immense travail accompli » par tous les assistants des députés FN. « On n’a pas à rougir du travail de nos assistants parlementaires. Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux », complimente Marine Le Pen, qui souligne que les suffrages suivants en sont la preuve. Puis, c’est au tour de Thierry Légier d’être appelé une nouvelle fois à la barre. Bis repetita : l’accusation remet en cause le travail d’assistant parlementaire de celui qu’elle décrit comme un simple «garde du corps».
« Assistant, c’est un statut »
« L’anticipation avant les déplacements, repérer les lieux, c’est le rôle d’un officier de sécurité, c’est plus que le rôle d’un [simple] garde du corps. D’autant qu’on avait peu de moyens, il n’y avait pas de directeur de cabinet qui nous suivait ». Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, le responsable sécurité de la délégation FN au Parlement européen livre d’une voix posée des confidences sur toutes ses activités d’assistant. Thierry Légier confie avoir eu « plusieurs casquettes ». En plus de ses missions de sécurisation connues de tous, l’ancien militaire révèle au tribunal s’être occupé d’organiser des rendez-vous confidentiels pour les leaders de la délégation FN au Parlement européen. Il évoque les noms de Charles Pasqua, Bernard Tapie, Valéry Giscard d’Estaing, Roland Dumas, « et bien d’autres encore » qu’il ne peut pas citer pour des raisons de confidentialité… C’est aussi par son entremise, raconte-t-il, que la délégation parlementaire FN pouvait se rendre aux salons de la défense Eurosatory ou Milipol. L’agent de sécurité a par exemple aussi organisé une interview de Marine Le Pen sur la radio 90 FM de son ami Jean-Marc Cohen. Thierry Légier énumère ainsi une longue liste d’activités démontrant qu’il n’était pas que « le garde du corps de Jean-Marie Le Pen », comme l’affirme l’accusation. Pendant cette législature, Thierry Légier assure en outre qu’il ne travaillait « pas 100 % de son temps pour Jean-Marie Le Pen », qu’il servait d’interface entre tous les députés au sein même du Parlement. « Je participais aux réunions de groupe au Parlement européen afin d’organiser l’agenda des déplacements de chacun. J’accompagnais le groupe afin de les sécuriser. J’étais en relation avec les huissiers du Parlement européen, avec les ambassades lors des déplacements à l’étranger. » Le militant explique qu’il faisait aussi des photocopies de dossiers, qu’il s’occupait des cartes d’embarquement au desk d’Air France, etc. Sa méthodique avocate, Me Doumic, s’élève contre les insinuations du tribunal restreignant les activités de Thierry Légier aux fonctions de garde du corps, d’autant plus que « le Parlement européen n’a jamais interdit qu’un responsable sécurité soit assistant parlementaire. Assistant, c’est un statut. On peut être assistant parlementaire photographe, concepteur de site internet, rédacteur de discours, responsable de la sécurité », énumère-t-elle.
De son côté, Marine Le Pen réfute une nouvelle fois l’idée que le Parlement européen ignorait les fonctions de Thierry Légier. Sur ses bulletins de salaire, qui sont en possession du Parlement européen, il était bien écrit responsable sécurité : « J’ai l’impression que l’on est un peu à front renversé. S’il existe un doute, il doit profiter à ceux qui sont amenés à répondre de certaines accusations. Nous avons démontré que jamais nous n’avons caché quoi que ce soit. Il déposait son arme tous les jours dans un coffre, il n’y a pas cinquante députés qui risquent leur vie en faisant leur mandat ! » Enfin, l’actuelle chef de l’opposition à l’Assemblée nationale résume cette seconde journée d’auditions d’un cinglant : « La vérité est têtue ! »