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Marine chez Narcisse


Marine chez Narcisse
Photo : staffpresi_esj
Photo : staffpresi_esj

Dimanche, en attendant l’annonce du nouveau gouvernement, je suis tombé sur Paris Première sur une nouvelle émission « politique » qui entend dépoussiérer les règles du genre. « Mon beau miroir », présentée par le très branché Xavier de Moulins, ex-animateur mondain de Paris Dernière. En tête de gondole, Marine Le Pen. A priori, rien de tel pour ne pas s’ennuyer !
Car comme son nom l’indique, cette tragi-comédie décline son concept narcissique en quatre actes.

1er round : le portrait chinois

En première partie, Xavier de Moulins installe son invitée devant une glace sans tain qui leur permet d‘observer et d’écouter les personnes présentes de l’autre côté du miroir sans être vue ni entendue d’elles. Huit citoyens lambda dûment choisis pour jauger et juger la vedette du jour. À leurs côtés, Yves Bardon d’IPSOS joue au médiateur décontracté, croyant sans doute que son look de play-boy gominé mettra à l’aise ses huit interlocuteurs pétris de trac.

En guise d’amuse-bouche, Bardon demande aux huit membres du panel à quoi ils associent Marine Le Pen. À quels films ? Titanic, Asterix, La Traversée de Paris répondent-ils sans broncher. A quel animal ? Une panthère, une louve, un félin.

En face, Xavier de Moulins interroge une Marine tout sourire qui se définit comme « lucide, courageuse » et mue par un inaltérable « amour de la France ». La mèche grisonnante, Moulins tranche néanmoins avec l’attitude de ses aînés. Nul traitement d’exception ni once d’agressivité. Il fait son travail dans les règles de l’art, traitant l’intervenante comme ce qu’elle est : la représentante d’un parti démocratique et légal, fût-il honni par la quasi-totalité des médias. Devant pareil accueil, Marine ne peut se départir de son sourire. Si elle rassure les vieux grognards du lepénisme en s’identifiant à Jeanne d’Arc, elle prend bien soin de se démarquer de son père, quitte à prendre des accents volontairement sarkozyens. « Je peux être assez imprévisible » ou « même parfois aller trop vite » confesse-t-elle avec volontarisme. Devant le portrait chinois esquissé par le panel, Marine Le Pen s’amuse et enchérit : oui, il lui arrive de griffer lorsqu’on l’attaque !

2e round : l’exhibition biographique

La deuxième partie de l’émission s’avère moins inoffensive. Toujours bâtie sur le principe d’un dialogue unilatéral avec le panel, elle confronte les topoï des sondés au story-telling de l’invitée. Questionnés sur la vie de Marine Le Pen, lesdits citoyens imaginent la biographie d’une petite fille modèle apprenant le latin à six ans (sic !), ostracisée par ses petits camarades à cause des jeux de mots malodorants du papa. Ils s’appesantissent sur les quinze ans d’absence de la mère, la relation filiale au père et l’héritage politique qu’il lui a légué. Xavier de Moulins, lui, oublie soudain le caractère politique du programme pour épouser le costume d’un Ardisson. Questions inquisitrices et délibérément intrusives, pour le plus grand plaisir du téléspectateur avide de détails scabreux. Premier baiser à quel âge ? « Quinze ans », il s’appelait « Nicolas », avant sa « première grande histoire à dix-neuf ans » confie l’invitée, pas une seconde décontenancée par l’impudeur de son intervieweur. Un peu plus et l’on aurait sombré dans le bon vieux « Est-ce que sucer c’est tromper ? » qui fit les grandes heures d’un homme en noir jadis taulier de la télévision publique. Marine se prend au jeu, évoquant le départ de sa mère, ses relations ambivalentes avec Jean-Marie mais aussi le statut à part du Front National dans le Paysage Audiovisuel Français. « Je suis en permanence attaquée, obligée de me justifier » persifle-t-elle en réponse aux interpellations de Moulins qui, revenant sur les propos controversés du père, oblige sa progéniture à se démarquer des errances lepénistes. De « l’inégalité des races » à la « boulette du point de détail » – comme l’appelle complaisamment une grande partie du panel- la prise de distance est nette mais malaisée. Quelques précisions supplémentaires des citoyens sondés en direct complètent le portrait quasi-enamouré de l’héritière : « coquette », « épanouie », « séduisante ». N’en jetez plus, la coupe est pleine ! Marine se paie même le luxe de marcher sur les plates-bandes de la démagogie féministe. En réponse à Moulins mentionnant avec élégance les onze kilos perdus en cinq ans, elle assène : « Je ne suis pas qu’une femme politique, je suis aussi une maman ». Ségolène, sors de ce corps !

3e round : les convictions cosmétiques

Vient ensuite la question qui tue. « Marine Le Pen, ses idées, pour ou contre ? » demande l’enquêteur IPSOS au panel. Silence de mort. À l’air contrit de certains, on se dit qu’ils auraient préféré témoigner à visage couvert pour mieux exprimer le fond de leur pensée. Mais qu’on ne s’y trompe pas : à aucun moment, Moulin comme Bardon n’effleurent le moindre contenu programmatique du projet de Marine Le Pen. À peu de choses près, tout n’est qu’image, apparence, style et volupté. C’est tout juste si le sondeur au look d’acteur porno sur le retour interroge les huit péquins du public sur la peine de mort, l’avortement, le bio, l’euro ou l’entrée de la Turquie dans l’UE. Euro mis à part, le choix des questions traduit le biais bobo-sociétal de Paris Première. Pas question de mentionner le gros des préoccupations économiques et sociales : sur la chaîne de la mode et du glamour, cela ferait désordre !

Surgit soudain un journaliste « politique » à l’AOC contrôlée, Guillaume Tabard des Echos. On s’attend alors à un entretien plus solennel voire rébarbatif, type Grand Jury ou feu L’heure de vérité. Que nenni, Tabard réprime son talent et s’en tient au cahier des charges de l’émission. Son unique mission : juger la prestation médiatique de l’invitée. S’acquittant de sa tâche ingrate, il souligne avec justesse le décalage persistant entre l’image lénifiante de la femme politique Marine Le Pen et le parfum de soufre qui continue à poursuivre les idées héritées de son père.

4e round : épilogue

Au terme de l’émission, la barrière s’ouvre. Marine Le Pen a enfin sous les yeux le panel de huit personnes qu’elle a écoutées près d’une heure durant. La rencontre est brève, l’échange inexistant. La probable future présidente du FN lâche à dessein: « la politique s’incarne » comme pour mieux mettre en valeur son charisme ravageur. La régie déroule le générique de fin.

… et frustration

Et là, c’est le drame. Une impression de malaise saisit le téléspectateur. Non pas à cause du choix de l’invitée. Ni de l’attitude de l’animateur, Xavier de Moulins s’étant astreint à une sobriété sans failles, on peut difficilement le lui en faire grief.

Non, c’est plutôt la nature exacte de l’émission qui pose question. D’emblée, Moulins la présentait comme « politique ». Lorsqu’aucune question de fond n’a été un tant soit peu abordée, cela laisse un goût de frustration dans la bouche. La politique L’oréal incarnée par le tout-communication n’épuise pas (encore) l’actualité politique.

Personnellement, j’aurais aimé voir l’aisance et le talent journalistique de Xavier de Moulins au service d’une entrevue courtoise mais sans concessions. Qu’il s’agisse de Marine Le Pen ou d’un(e) autre. En l’occurrence, l’animateur n’aurait pas usurpé son titre en interrogeant l’invitée sur ses contradictions. En lui demandant comment elle conciliait l’inconciliable : une rhétorique laïciste avec le voisinage des intégristes cathos (certes majoritairement acquis à son rival Gollnisch), un antifiscalisme poujadiste avec la défense de l’Etat-Providence, ou bien encore un républicanisme d’affichage qui cadre mal avec sa conception essentiellement ethnique de la Nation.

Hélas, malgré la bonne volonté de Moulins, l’émission rivalise avec le confort irénique du divan rouge de Michel Drucker, à la nuance près que l’animateur de Vivement Dimanche ne prétend à aucun quartier de noblesse journalistique.

Frustré et marri, le spectateur féru de politique se désole du numéro de claquettes qui vient de lui être servi. Il se dit que les concepteurs de l’émission ont parfaitement compris le monde postmoderne qu’on nous fabrique, qu’ILS nous fabriquent. Un monde où la politique-spectacle se confond avec la politique, au grand dam des idées.
Dommage, cela avait pourtant bien commencé…



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est journaliste.

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