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Marina Petrella, pas sainte mais martyre


La France compassionnelle a horreur du vide. A peine Ingrid Bétancourt revenue dans ses foyers, voici que les coeurs saignent et les larmes coulent en faveur de Marina Petrella, ci-devant brigadiste rouge en instance d’extradition vers l’Italie.

Ingrid Bétancourt avait bien tenté de passer le relais en brandissant le portrait de Gilad Shalit, soldat franco-israélien séquestré depuis deux ans par le Hamas, devant ses fans rassemblés sur l’esplanade des Droits de l’Homme au Trocadéro. Mais, comme je l’avais prédit en ces même lieux (sans grand risque, je le reconnais), la machine à mettre en branle les foules sentimentales n’a pas embrayé pour ce pauvre Gilad : trop soldat, juif certes, mais pas de l’espèce que l’on s’honore de plaindre, plutôt de celle dont on se plait à dénoncer la brutalité sans limite.

C’est donc tout naturellement que Marina Petrella s’est imposée comme une icône de l’injustice infligée au nom de la justice, comme celle qu’il faut soutenir si l’on ne veut pas passer, aux yeux des belles âmes de la gauche morale, pour le plus immonde des salauds.

Certes, cette Marina-là n’a pas la blancheur démocratique immaculée d’Ingrid : à la différence d’autres protagonistes des années de plomb italiennes extradés de France depuis l’abandon de la « doctrine Mitterrand » au début des années 2000, elle ne conteste pas les accusations qui lui ont valu, en 1992 une peine de réclusion à perpétuité : participation, comme membre de la direction des Brigades Rouges, à l’assassinat d’un commissaire de police, à la séquestration d’un magistrat, à divers attentats et attaques de banques.

Elle doit sa liberté, et le répit de quinze ans qui lui a permis de « refaire sa vie », à une négligence de la justice italienne, qui n’a pas émis de mandat d’arrêt à l’audience après sa condamnation, et à cette fameuse « doctrine Mitterrand » en vertu de laquelle les anciens terroristes italiens réfugiés en France n’étaient pas extradés en Italie pour peu qu’ils aient renoncé à la violence et se tiennent tranquilles dans l’Hexagone.

Dans les faits, la France décrétait ainsi de son propre chef une amnistie pour des gens condamnés dans un pays voisin et ami. Une attitude qui n’eut pas l’heur de plaire au-delà des Alpes, où l’opinion publique quasi-unanime, à l’exception de l’extrême gauche, estimait que c’était aux Italiens, et à eux seuls, de tourner la page de ces années sanglantes, de la manière qui leur paraîtrait la plus convenable.

En France même, Gilles Martinet, aujourd’hui décédé, grande figure de la gauche et ancien ambassadeur en Italie s’en prenait vivement, en « une » du Monde du 8 janvier 2004, aux intellectuels et hommes politiques français mobilisés pour Cesare Battisti, autre « terroriste à la retraite » menacé d’extradition, et remettait en cause la protection systématique accordée par la France à des terroristes jugés et condamnés.

Il n’est guère étonnant, alors, que les médias préfèrent évoquer le drame humain d’une femme anéantie psychiquement par ce qui lui arrive, « en abandon de vie » selon un psychiatre mobilisé par son comité de soutien, que se demander s’il est juste ou non que Marina Petrella accomplisse la peine que ses crimes lui ont valu. Son avocate, Irène Terrel, développe une explication psychologique de l’attitude de sa cliente: « Elle souhaite mourir pour que ses filles puissent faire leur deuil au lieu de disparaître pendant des années au fond d’une geôle italienne. » Qui ne se sentirait interpellé par une telle détresse ? Il faudrait vraiment avoir un coeur de pierre pour détourner le regard pendant que la justice passe, même si l’on soupçonne ses avocats et sa famille d’en rajouter pour émouvoir les foules.

Quant aux femmes et enfants dont la vie a été brisée par les actes de Marina Petrella et de ses camarades, ils sont tragiquement absents de la mobilisation. Que les crimes des Brigades Rouges italiennes ne fassent pas partie de notre martyrologie nationale ne justifie pas que l’on s’arroge le droit d’empêcher un peuple voisin, régi de surcroît par l’état de droit, d’appliquer sa loi et de gérer comme il l’entend les cicatrices de sa mémoire collective.

Le mythe de Jean Valjean, le criminel qui se rachète moralement par ses actes de bonté, sert de vademecum éthique aux braves gens de France pour juger des cas qui sont proposés à leur compassion. On oublie trop souvent qu’avant de devenir bon, Jean Valjean avait purgé sa peine, intégralement.

Août 2008 · N°2

Article extrait du Magazine Causeur



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