Immigré juif roumain, le grand producteur Marin Karmitz est un exemple d’intégration réussie. Avant de créer le groupe MK2, ce passionné a fait Mai 68, milité chez les maos puis découvert l’étude hébraïque. Sans cesser de défendre une idée exigeante du cinéma.
Causeur. Jeune homme, vous avez été maoïste. Aujourd’hui, vous semblez être en quête de votre identité juive, qui ne vous préoccupait pas dans votre jeunesse. Quel regard portez-vous sur ce parcours de Mao au Talmud, que d’autres ont fait ?
Marin Karmitz. Pour répondre à votre question, je dois retourner loin dans mon passé. Je suis un immigré, accueilli par la France de façon extraordinaire en 1947. J’avais huit ans, mes parents fuyaient les communistes après avoir survécu aux Allemands. Nous étions sur un bateau, qui faisait le tour de la Méditerranée : personne ne voulait accueillir les Juifs. Partis de Constantza, port roumain de la mer Noire, nous avons fait escale à Istanbul au moment de Noël. Les non-Juifs purent descendre ; les Juifs ont eu droit à un arbre de Noël à bord ! Ensuite, nous sommes allés à Beyrouth, puis à Haïfa, l’une des destinations privilégiées par les Juifs. À cette époque, nombre d’entre eux tentaient de quitter la Roumanie ; ils en étaient empêchés par les Américains, les Anglais et les Russes, tous unis pour leur interdire de rejoindre Israël. Les Anglais occupaient le port. Quelques audacieux, à la nuit tombée, tentaient de gagner la terre, la nuit, au moyen de canots dont les rames étaient entourées de tissu afin d’étouffer leur bruit. Les Anglais tiraient sur ces canots : nous ne sommes donc pas descendus à Haïfa. Nous avons navigué jusqu’à Naples. La ville était pleine d’Américains. Nous avons pu quitter le bateau, mais nous n’avions pas le droit de quitter le port. Que faire ? Retourner en Roumanie ? C’était exclu : mon père savait que les riches capitalistes que nous étions seraient immédiatement arrêtés. Retour sur le navire, cap sur Marseille ! De là, nous nous sommes rendus à Nice. Mes parents ont loué une maison au mont Boron, puis ils m’ont inscrit à l’école, en cours d’année. Je ne parlais pas un mot de français, j’ai appris à le lire et à l’écrire, et j’ai découvert la forêt de Boron : c’était magnifique !
Quel était le statut social de votre famille en Roumanie ?
À l’origine, du côté paternel, on trouve mon grand-père, marchand des quatre-saisons, puis vendeur de fromages, enfin propriétaire de la plus grosse fromagerie de Bucarest. Il a eu quatre filles et quatre fils, dont mon père et Isidore, l’aîné, le plus entreprenant. Il a commencé comme contrôleur des wagons-lits sur la ligne Paris-Bucarest du Trans-Europ-Express. On lui passait commande de médicaments, qu’il récupérait à Paris et en Allemagne, et qu’il vendait en Roumanie : une sorte de contrebandier en produits pharmaceutiques. Considérant les risques, il a ouvert une pharmacie dans laquelle il a, au fur et à mesure, embauché ses frères. L’affaire a prospéré jusqu’à devenir la plus grosse industrie pharmaceutique et chimique des Balkans. Je suis donc né dans un milieu très privilégié, dans une famille qui figurait parmi les plus influentes de la communauté juive roumaine.
Un antisémitisme féroce sévissait en Roumanie, il n’est qu’à lire les mémoires de Mihail Sebastian pour s’en convaincre. Gil Mihaely, notre directeur de publication, issu d’une famille de juifs roumains, tient de son grand-père des récits épouvantables. Quel souvenir gardez-vous de ce climat de terreur ?
Il y avait un peu plus de 700 000 juifs en Roumanie, 350 000 ont été tués. Bucarest, où nous habitions, a été relativement préservée ; il y avait un quartier juif, mais pas de ghetto à proprement parler. Certes, les interdictions faites aux juifs y étaient appliquées : les métiers qu’ils ne pouvaient exercer, l’école publique où ils ne pouvaient se rendre, etc. Le climat a changé dans la ville, en 1941, avec les chemises noires, les gardes de fer – les amis de MM. Emil Cioran et Mircea Eliade… Ils ont commencé évidemment par liquider les juifs.
A lire: Ce « nouvel antisémitisme » que les médias refusent toujours de nommer
Quel rapport cette famille de notables entretenait-elle avec la religion ?
Inexistant ! Je n’ai aucun souvenir de la pratique de rites juifs. [Voir plus bas, ndc] Tous ses membres voulaient absolument s’intégrer ; en cela, ils étaient représentatifs de nombreux juifs. Mon grand-père maternel était médecin-colonel, ce qui était très rare, parce que la carrière militaire restait interdite aux juifs. Ma mère, élevée chez les sœurs de Sion, dont la mission était de convertir les juifs, a épousé mon père, le plus beau parti de Bucarest, mais son rêve était de devenir journaliste en France. Son père a même changé de nom : né Goldenberg, il s’est donné un patronyme roumain, Muntianu, qu’on pourrait presque traduire par « Mont d’or » ! Muntianu a sauvé mon père : les gardes de fer sont venus le chercher chez nous, ainsi que mon oncle. Un camion contenant des fûts stationnait au pied de l’immeuble : ils voulaient les dissoudre dans le vitriol ! La rumeur prétendait que leur chef avait subi ce sort et désignait les frères Karmitz comme fournisseurs de l’acide à la préfecture de police. Prévenus, ils se sont réfugiés chez le grand-père maternel, qui ne portait donc pas un nom juif. Les enfants sont restés avec les femmes. En trois jours, à Bucarest, on a tué près de mille personnes avec des méthodes expéditives.
Le sionisme ?
Limité aux dons destinés à planter des arbres en Israël ! Je n’ai aucun souvenir de rites juifs. [répétition de la réponse précédente, ndc] Ma grand-mère Muntianu parlait le yiddish. En Roumanie, nous étions juifs par le seul regard des autres : la peur des juifs, l’ignorance. En France, nous n’avons jamais rencontré la moindre difficulté. Je me suis fait traiter une seule fois de « sale juif », en classe de septième, et par un juif ! Il s’ensuivit une grosse bagarre. Bref, j’étais très heureux à Nice, mais la nécessité matérielle nous en a fait partir : les affaires de mon père périclitaient. Nous avons déménagé à Paris. Je suis entré au lycée Carnot.
Restons encore un peu sur le judaïsme : aujourd’hui, vous avez repris l’étude ?
Oui, mais cela remonte à mes années parisiennes et au collégien que je fus. J’ai eu la chance de rencontrer dans mon lycée un professeur de philosophie communiste, Gilbert Mury, membre influent du Parti. Par lui, j’ai découvert le marxisme. Il m’a fait lire. Je n’étais pas un bon élève, mais grâce à Mury j’ai découvert la littérature. Et j’ai commencé à militer au temps de la guerre d’Algérie. Je suis devenu assez vite secrétaire de ma cellule des Jeunesses communistes. Nous allions distribuer des tracts à Condorcet ou à Janson-de-Sailly. Jusqu’au moment où mes activités extrêmement…
Subversives ?
… subversives, en effet, m’ont amené à être convoqué par la cellule des profs, où on m’a expliqué – à la demande de Jeannette Vermeersch, la femme de Maurice Thorez – que je gênais l’unité d’action entre socialistes et communistes. Mitterrand était ministre, ne l’oublions pas[tooltips content= »François Mitterrand fut ministre de l’Intérieur (gouvernement Mendès France) de 1954 à 1955, puis ministre d’État de la Justice (gouvernement Guy Mollet) jusqu’en juin 1957. »]1[/tooltips]. L’expérience que j’ai eu alors des méthodes du Parti pour éliminer les gens a été redoutable. Il ne m’a pas exclu, il m’a coupé les vivres : plus de locaux, plus de moyens d’affichage. Il a excité mes camarades contre moi. Ma cellule est retombée sous la coupe des profs. Sur ce, l’Armée rouge a envahi Budapest[tooltips content= »La répression soviétique du 4 novembre 1956 fit plusieurs milliers de morts et provoqua l’exil de près de 200 000 Hongrois. Le chef du gouvernement, Imre Nagy, fut pendu le 16 juin 1958. »]2[/tooltips]. Enfin, j’ai été exclu. Je me suis retrouvé dans une solitude terrible. J’ai eu une chance extraordinaire : un ami, Gérard Weil, dont les parents étaient morts dans les camps et qui avait été pris en charge par mes propres parents, préparait Normale ; il connaissait très bien Henri Atlan. Il m’a fait découvrir un groupe d’études juives non religieuses (voir notre encadré en bas de page). J’ai étudié avec passion, jusqu’au départ d’Atlan aux États-Unis, puis en Israël. Alors, j’ai tout arrêté. Mais j’avais eu la révélation de l’étude, et aussi de l’idée, qui n’est pas partagée, qu’on peut étudier et ne pas suivre les rites, ni être dans la religion. Mais suivre les rites sans étudier, c’est impossible.
Beaucoup de juifs sont dans la religion sans l’étudier.
En effet, ils sont ce qu’on peut appeler des religieux.
Il y a un judaïsme populaire de gens simples.
Oui, les juifs de la croyance, quoi ! Mais le judaïsme, c’est le contraire : c’est l’étude qui remet en cause la croyance elle-même. J’ai eu la chance de suivre l’enseignement de cette école-là, nouvelle à l’époque.
Donc, vous n’êtes pas croyant, mais vous avez repris l’étude des textes. En quoi cela vous constitue-t-il aujourd’hui ?
J’ai repris l’étude grâce mon beau-fils, Nicolas Eliacheff, le fils de ma femme, Caroline[tooltips content= »Caroline Eliacheff est la fille d’Anatole Eliacheff, producteur de cinéma, et de la journaliste Françoise Giroud. De son mariage avec le comédien et metteur en scène Robert Hossein elle eut un fils, Nicolas. »]3[/tooltips]. Il a découvert, de façon assez mystérieuse, son judaïsme, qui était dissimulé dans la famille ; d’abord chez Françoise Giroud, sa grand-mère, qui l’a caché à Caroline. Quelque chose s’est déclenché dans l’esprit de Nicolas, sans doute au cours d’une célébration de Pessah, organisée à ma demande par Henri Atlan. Nicolas s’est entretenu avec Henri et il a abandonné son métier de comédien. Il s’est installé à Nice, où il a étudié à avec Rav Gronstein. J’ai aussi commencé à étudier avec lui. Nicolas est maintenant rabbin à Strasbourg.
Bien entendu, on vous connaît surtout comme producteur de cinéma, activité dans laquelle vous avez reçu les plus hautes récompenses. Comment le jeune réfugié roumain a-t-il eu accès au monde du cinéma ?
J’ai fait de solides études d’opérateur à l’Institut des hautes études cinématographiques, l’Idhec, la Femis actuelle. Je suis sorti opérateur, après avoir échoué au concours de réalisation. J’y ai vraiment appris mon métier. J’ai travaillé avec Yannick Bellon, avec Anne Dastrée, qui dirigeait Aurélia, d’après l’œuvre de Gérard de Nerval, dont le rôle était tenu par Serge Reggiani. On tournait dans les locaux de l’hôpital Sainte-Anne. Un jour, j’entends la voix de Reggiani : « Au secours ! » Il dévalait l’escalier, poursuivi par une très jolie nymphomane criant : « Je te veux ! Je te veux ! » J’ai fait partie de l’équipe du Dialogue des carmélites[tooltips content= »Le sujet est tiré d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort, Die Letzte am Schafott (« La Dernière à l’échafaud »), publiée en 1931, qui relate le drame vécu par seize carmélites condamnées à être guillotinées par un tribunal de la Terreur. Georges Bernanos s’inspire de ce texte pour écrire Dialogues des Carmélites. L’œuvre deviendra un opéra de Francis Poulenc (1957), une pièce de théâtre (mise en scène de Jacques Hébertot, 1952), et un film de Philippe Agostini et Raymond-Léopold Bruckberger (1960). »]4[/tooltips], dont le scénario avait été coécrit par Georges Bernanos et un dominicain très connu à l’époque, le révérend père Bruckberger[tooltips content= »Raymond-Léopold Bruckberger (1907-1998), dominicain atypique et charismatique, fut un grand chrétien « inconfortable ». Résistant de la première heure, admirateur de Charles de Gaulle, néanmoins lié à Joseph Darnand, il s’opposa aux excès de l’Épuration. Il ne détesta ni la mondanité, ni la renommée et ses satisfactions. »]5[/tooltips]. Il avait entrepris la réalisation du film avec l’aide efficace d’un homme de métier, le chef opérateur Philippe Agostini. Quant à moi, j’étais chargé de résoudre les nombreux problèmes de Bruckberger. Par exemple, il avait une maîtresse, au sujet de laquelle il m’a expliqué un jour qu’il l’avait choisie juive et américaine pour ne pas avoir d’ennuis avec son ordre. J’étais donc censé m’occuper de cette dame. J’étais aussi chargé du clap, mission très importante à ses yeux : il voulait que les deux noms fussent écrits dans cet ordre : « Bruckberger – Agostini ». Comme il n’arrivait sur le plateau qu’à cinq heures, et souvent légèrement ivre, dès qu’il avait le dos tourné, les machinistes et les électriciens, tous acquis à Agostini, inscrivaient : « Agostini – Bruckberger ». Jusqu’au jour où Bruckberger, présent plus tôt que prévu et sobre, a découvert sur les rush « Agostini – Bruckberger ». J’ai été mis à la porte par lettre recommandée du producteur. Lui non plus n’était pas banal. Juif roumain, son patronyme était Borku. En France, on lui a conseillé vivement de changer de nom : il a choisi Borkon, Jules Borkon. Comme il organisait les tournées des Folies Bergères, nous avons préparé Le Dialogue des Carmélites au milieu de filles nues, dans ses bureaux des Champs-Élysées. Donc, j’avais été licencié. Et là, miracle !, les comédiennes qui jouaient les carmélites – Alida Valli, Jeanne Moreau, Pascale Audret, Madeleine Renaud – se mettent en grève par solidarité. J’ai été réintégré. Après, j’ai eu beaucoup de chance, je suis devenu assistant d’Agnès Varda, de Jean-Luc Godard, j’ai désappris ce que j’avais appris à l’Idhec. Et j’ai tellement apprécié ce « désapprentissage » utile que je me suis efforcé de le transmettre : apprenez et désapprenez.
Puisqu’il est question de Godard, évoquons votre film, Coup pour coup, et le sien, Tout va bien.
Tout va bien est un « remake » de Coup pour coup, mon film consacré à une grève d’ouvrières. Je suis favorable aux remakes. Ces deux films ont suscité un débat très violent chez certains intellectuels français sur ce qu’on appelait alors la cause du peuple. Nous occupions deux positions très antagonistes. Je me posais une question : j’ai un pouvoir, des connaissances, qu’est-ce que j’en fais, quel est mon rôle ? J’essaie de donner la parole à des femmes, qui ne l’ont pas habituellement. Mais je ne leur demande pas de s’emparer de la caméra, je veille à ce que leur parole soit correctement traduite. Jean-Luc, sur le même sujet, met en scène Jane Fonda et Yves Montand, et s’adresse à des producteurs américains, dans un circuit américain. Jean-Luc Godard utilise la parole de ces femmes pour faire un film de JLG. L’artiste est remis en tête de gondole ! Tout cela est à l’origine de la polémique, dont personne n’a parlé. Dans mon camp, Sartre, Beauvoir et Foucault ; dans le sien, Glucksmann, Deleuze, Guattari. Il se trouve que Coup pour coup a connu un succès mondial, mais militant, dans des conditions « parallèles » : on allait porter la bonne parole dans les usines, dans le style maoïste. Tout va bien fut un échec commercial. La réaction de Jean-Luc a été très violente à mon égard, et durable. Ensuite, il est parti à Grenoble, où il a fait des choses remarquables : en utilisant la vidéo, il a inventé des figures de style cinématographiques.
Avec le groupe Dziga Vertov ?
Oui, à Grenoble. Ensuite, il est revenu à Paris, où plus personne ne voulait de lui. Il est venu me trouver, comme Louis Malle au moment d’Au revoir les enfants. Personne n’en voulait. C’est ce que j’appelle les seconds premiers films. Donc, j’accueille Jean-Luc, et je produis Sauve qui peut (la vie), que nous montrons au Festival de Cannes. Nous y recevons des tombereaux d’injures et de menaces. Je diffère la sortie du film jusqu’en septembre. Aux critiques, dont beaucoup s’étaient déchaînés contre Jean-Luc, je déclare : « Il a tenu compte de vos remarques, je vais vous montrer la nouvelle version. » Au vrai, il n’avait rien modifié, mais nous avons bénéficié d’articles dithyrambiques et connu un beau succès.
Quoi qu’il en soit, les spectateurs vous seront éternellement reconnaissants d’avoir permis à Krzysztof Kieślowski de nous donner La Double Vie de Véronique, et la trilogie Trois couleurs : Bleu, Blanc et Rouge. Avait-t-il conçu les trois films ensemble ?
C’est une trilogie d’origine. Si nous avons pu mener à terme cet ensemble – quatre années de travail, entre la préparation et les tournages les uns après les autres – c’est grâce à Krzysztof Kieślowski, un homme selon mon cœur. Vous savez, dans mon métier de producteur, j’ai tout de même croisé des êtres magnifiques, tels que Kieślowski et Kiarostami.
On peut dire qu’Abbas Kiarostami vous a fait patienter.
Un beau matin, au début des années 1990, un Iranien vient me montrer un film extraordinaire intitulé Close-up, d’un nommé Abbas Kiarostami : la folle histoire d’un paumé, à Téhéran, qui se fait passer pour Mohsen Makhmalbaf, metteur en scène iranien. Je demande à rencontrer Makhmalbaf et Kiarostami. On me présente Kiarostami, un homme, un artiste d’une séduction ! Je lui dis : « Je voudrais faire un film avec vous », il me répond simplement : « Je n’ai pas besoin de producteur. » Pendant dix ans, il m’a répété : « Je n’ai pas besoin de producteur. » On se voyait deux, trois fois par an, à Paris, il me racontait des histoires. Moi, j’étais comme un chat à qui on ne donne pas sa ration de nourriture, je bavais. Entre-temps, j’ai fait des films avec Makhmalbaf, ainsi qu’avec sa fille, Samira. En 1997, Kiarostami reçoit la Palme d’or, à Cannes pour Le Goût de la cerise (ex-aequo avec Shohei Imamura, pour L’Anguille). Les producteurs du monde entier le sollicitent. Il arrive à Paris : « J’ai refusé toutes les propositions, je veux que vous produisiez mon prochain film. » Il avait reçu des menaces, craignait de ne plus pouvoir tourner. Nous avons travaillé ensemble jusqu’à sa mort.
Vos choix de producteurs démontrent une nette préférence pour un cinéma « de qualité ». Détestez-vous le simple divertissement ?
Non, bien au contraire. Mais je me suis toujours posé cette question : qu’apporte le cinéma ? J’ai le sentiment de me trouver devant une maison à construire. À chacun sa pierre. Certains n’apportent rien, ou des cailloux, d’autres cherchent même à mettre à terre le bâtiment. Pour moi, Les Tuche, par exemple, est une honte absolue. J’en ai vu dix minutes, je n’ai pas dormi de la nuit : « Ces gens font le même métier que moi, c’est impensable ! » Les Tuche, le film emblématique des gilets jaunes ! Parmi les grandes réussites commerciales, nous sommes passés de La Grande Vadrouille aux Tuche. Quelle défaite !
Le poids de la télévision dans le financement ?
Oui, et l’absence d’ambition, l’autosatisfaction : on prend le pognon et on se casse. Des hold-up !
Trouvez-vous que Clint Eastwood n’apporte rien au cinéma ?
Non, il n’apporte rien. Il apporte des sous. Sans compter que L’Inspecteur Harry est un film facho.
C’était un moment de l’Amérique.
L’Amérique facho, toujours présente.
L’Inspecteur Harry n’est pas facho et Gran Torino, pour ne citer que ce film, est excellent.
Ce n’est pas désagréable. Million Dollar Baby est réussi, en effet.
L’avez-vous rencontré ?
Oui, une photographie en témoigne. J’ai été invité par Sarkozy, qui lui remettait la cravate de la Légion d’honneur. Il est immense ; à côté de lui, j’ai l’air d’un nain, c’était terrible !
Tarantino ?
Pour moi, le sacre de Tarantino à Cannes, en 1994, signale l’ère des défaites dans laquelle nous nous trouvons. La même année, j’avais plusieurs films en compétition, dont Trois couleurs : Rouge, une œuvre admirable sur la justice. Kiarostami et Lucian Pintilie, je crois, montraient chacun une oeuvre. Qui a eu le prix ? Pulp Fiction. Qui était président du jury ? Clint Eastwood, qui adore les armes. J’ai compris le palmarès comme la victoire de la barbarie sur l’humanisme. Depuis, la situation s’est encore dégradée. Dans Pulp Fiction, un type en flingue un autre dans une automobile, la cervelle éclate, les gens rigolent.
On peut dire également que l’intention est burlesque, non pas apologétique.
Sans doute, mais il s’agit de la banalisation de gestes interdits. On ne franchit pas les lignes jaunes !
Mais peut-on assigner au cinéma une ambition morale ? En tout cas, les manifestations auxquelles, maoïste convaincu, vous avez participé en 1968, et après, n’étaient pas des démonstrations de tendresse.
Il y avait parfois de grosses bagarres dans le Quartier latin, on criait volontiers « de Gaulle démission », mais jamais nous n’avons visé des symboles de la démocratie, de la République.
Mais vous n’aviez pas peur pour votre avenir et celui de vos enfants. Et puis, Paul Ricœur, recteur de l’université de Nanterre, coiffé d’une poubelle, ce n’est pas mieux.
Ce n’est pas honorable, à l’évidence. Alors, tirons-en les leçons.
Ecole d’Orsay. Après la Seconde Guerre mondiale, dans le milieu intellectuel juif français, se forme un projet d’émancipation différent de l’idée antérieure d’intégration par une complète dissolution dans la société. Son objet est de démontrer que le judaïsme, en puisant dans la « tradition d’Israël » peut contribuer à l’effort culturel et social collectif. C’est ainsi que naît l’École d’Orsay ou École polytechnique des disciplines du judaïsme, dite encore École de Paris. Elle comptera, jusqu’à sa dissolution en 1969, 23 promotions d’étudiants, parmi lesquels Emmanuel Levinas et Henri Atlan, biologiste et philosophe.
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