Dans L’Arche de mésalliance (Le Rocher, 2021), Marin de Viry nous plonge dans l’univers hypocrite et ouaté des multinationales. Une critique amère du progressisme dans la lignée de Michel Houellebecq.
Marin de Viry excelle dans l’art de la description. Observant le Paris mondialisé dans son nouveau roman, l’écrivain régale ses lecteurs de formules et phrases inspirées, comme celle-ci : « La Grande Arche, les pyramides de Pei et la Grande Bibliothèque, signatures des deux septennats de Mitterrand, ont en commun leurs formes abstraites et leur affectation de simplicité grandiose, qui resteront dans l’histoire de l’art comme le style hiératique grotesque. Suinte de ces trois ouvrages un mépris à la fois immense et distrait de la France. » L’organisation cauchemardesque du quartier de la Défense, consacré au tertiaire, est analysée avec une précision inédite dans les premières pages.
Aucune des petites atrocités de notre modernité n’échappe au regard du romancier. On s’amusera de sa traduction, très personnelle mais si juste, du sabir managérial abscons des cadres sup’, comme dans ce communiqué de presse grotesque : « Le leadership inspirationnel de Sean Carthage […] sera sans nul doute une contribution décisive au changement de culture qu’opère StyX à travers son projet de management holistique, dont nous attendons plus de vitesse et plus d’anticipation pour adresser les marchés dans une approche client centric qui fait l’ADN de StyX… »
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Des couloirs d’une multinationale aux rayons d’un Super U de province, l’auteur campe une France défigurée par la mondialisation, une civilisation qui meurt rappelant furieusement le monde désabusé de Houellebecq.
Ceci n’est pas une satire
Il y a peu de péripéties dans ce récit où l’atmosphère fait effectivement penser à notre meilleur romancier du temps présent – obsessions pour l’islam et les partouzes mises à part. Il pourrait s’agir d’une satire ou d’une uchronie, tant la petite société bien-pensante et hygiéniste des bureaux de l’Ouest parisien qui nous est donnée à observer est agaçante. Si on ajoute que le Covid-19 fait son apparition dans le récit, on comprendra que L’Arche de mésalliance est, comme beaucoup de bons romans, un miroir tendu vers notre présent. Peu de péripéties donc, mais les calculs des protagonistes et leur environnement (la société MBP, multinationale de comédie œuvrant au développement durable) suffisent à maintenir notre intérêt.
On suivra Marius, quadragénaire un peu cynique, Français catho tendance royaliste, aux prises avec la Britannique Priscillia, 36 ans, « Borgia anglaise de gauche », féministe exaspérante (pléonasme !) et divorcée. Tous deux rivalisent de ruse pour atteindre le sommet de l’organigramme. Dans cette bataille, on guette notamment les dérapages verbaux antiféministes. Mais Priscillia y croit-elle vraiment ? « Elle sait très bien qu’elle met son intelligence réelle au service d’un corps de doctrine idéologique ridicule. Je la vois s’en rendre compte », observe Marius qui entend dévoiler le féminisme d’opportunité de sa rivale.
Une direction mondiale cynique
Le même jour, Marius et Priscillia se voient l’un et l’autre promettre en secret la direction générale du groupe. On propose à Marius de se porter candidat en « réinventant l’universalisme français à travers le développement des populations défavorisées », tandis qu’on offre à Priscillia l’opportunité d’écrire pour MBP en langue anglaise « une nouvelle grammaire de développement » pour un monde global. Le codir veut les voir se déchirer, les équipes respectives des deux rivaux fourbissent déjà leurs armes. Sauf qu’au moment précis où se mettent en place de vastes complots, Marius ressent un amour naissant pour la Britannique. Le plan cynique et la duplicité de la direction mondiale se retourneront rapidement contre elle. Avec l’aide de Sean, plus gros client de MBP, qui dirige à l’ancienne un géant de l’informatique et se lasse du fameux « management holistique » qu’on lui enjoint désormais de mettre en œuvre, un ingénieux pacte sera conclu.
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La foi, l’amour et la culture classique permettent-ils encore de s’extirper du monde globalisé et faussement sucré que nous vendent les grands groupes ? L’affrontement attendu et l’effondrement civilisationnel ne semblent pas inéluctables, nous ne sommes décidément pas dans un roman de Houellebecq. Et ce dernier ne s’y est pas trompé. Selon l’éditeur, il aurait affirmé : « Je me sens mieux depuis que j’ai découvert Marin de Viry. » Autant dire que ces deux cents pages mettent un peu de baume au cœur à l’heure de reprendre le RER pour rejoindre la grisaille du bureau.