Marie-France Garaud, dont il serait discourtois de révéler la date de naissance, a quelques heures de vol dans la vie politique française. Elle accéda à la notoriété dans les années soixante-dix, comme puissante conseillère du président Georges Pompidou, puis comme âme damnée de Jacques Chirac avant que ce dernier ne s’émancipe de sa pesante tutelle. En duo avec son compère Pierre Juillet, elle fut à l’origine du « remerciement » du premier ministre Jacques Chaban-Delmas en 1972, et du torpillage de la candidature de ce dernier à l’élection présidentielle de 1974.
Vestale du gaullisme de stricte obédience, elle se lança dans l’arène politique lors de l’élection présidentielle de 1981, donnant alors une visibilité nationale à son chignon impeccable. Le score qu’elle obtint fut modeste, mais son discours bénéficia tout de même d’un certain écho dans une partie de la droite française, disons sa composante bonapartiste, pour reprendre la classification du regretté René Rémond.
Le titre de son dernier essai, Impostures politiques, prévient d’emblée le lecteur que le temps qui passe n’émousse pas son regard acéré et impitoyable sur la marche du monde et les hommes politiques du présent et du passé.
Marie-France Garaud n’est pas une pleureuse « décliniste » parmi d’autres, c’est une imprécatrice de « l’affaissement » de la position de notre nation, œuvre collective de ces « imposteurs » qui l’ont dirigée depuis la mort de Georges Pompidou en 1974.
L’irréductibilité des différences franco-allemandes
Cette philippique n’aurait qu’un intérêt réduit si elle ne s’appuyait pas sur une analyse historique stimulante, bien que parfois contestable, de l’évolution parallèle des principales nations de « l’ensemble eurasiatique » : France, Allemagne, Russie, Chine.
De son maître, le général de Gaulle, M.F. Garaud a retenu le goût pour les formulations tautologiques du style A=A, qui traduit la nature immuable des traits fondamentaux distinguant les nations et les peuple les uns des autres.
Pour elle, par exemple : « Depuis des siècles, immuables dans leur nature, les données fondamentales de l’Allemagne sont à l’opposé de celles qui déterminent le destin de la France. Elles le sont dans l’ordre des territoires et celui de l’Histoire. Elle le sont de ce fait dans l’ordre du droit et de la politique ».
Ce qui vaut pour l’irréductibilité des différences franco-allemandes vaut tout autant pour la Russie et son aspiration à jouer un rôle planétaire majeur après deux décennies d’éclipse, ou pour la Chine « dotée d’une longue mémoire ».
Il en va également de même des relations entre ces nations qui doivent être regardées dans la longue et moyenne durée pour comprendre les problèmes actuels : le tropisme allemand vers la Russie se traduit notamment par le choix par Siemens, après sa rupture avec Areva, du Russe Rosatom comme partenaire nucléaire, ou par le sabotage par l’Allemagne des projets de gazoducs rendant l’Europe occidentale moins dépendante du gaz russe. La vraie nature des rapports germano-russes, selon M.F. Garaud, c’est Rapallo[1. Le traité de Rapallo, le 16 mars 1922 entre l’Allemagne et l’URSS marquait le rapprochement entre les deux pays, sortant l’Allemagne de l’isolement consécutif à sa défaite de 1918 et l’URSS de sa mise à l’écart par les démocraties occidentales après le triomphe des bolchéviques.]
L’Europe, marché de dupes
La raison majeure de l’effacement de la France sur la scène mondiale et de la prééminence allemande dans l’Europe post-Maastricht réside dans le marché de dupes que fut la construction européenne après la réunification de l’Allemagne, et l’institution d’une monnaie unique sur laquelle Berlin a, de fait, la haute main. On ne peut lui donner totalement tort sur ce point, même si quelques péripéties récentes ont montré que Mme Merkel ne pouvait pas toujours, en la matière, agir comme elle l’aurait souhaité, par exemple en expulsant la Grèce de l’euro, par exemple. Mais, globalement, le mouvement des choses donne raison à Marie-France Garaud.
En revanche on restera sceptique, sinon plus, sur son interprétation des débuts de la construction européenne comme une sorte de complot fomenté par les Etats-Unis et le Vatican pour mettre les nations européennes sous une double sujétion l’une temporelle, l’autre spirituelle.
Sa détestation de la démocratie-chrétienne donne, certes, lieu à des portraits délicieusement vachards d’icônes de cette mouvance comme Jean Monnet et Robert Schuman, le premier étant décrit comme un manipulateur à la solde de Washington et le second comme une chiffe molle tremblant devant Pie XII. Mais elle oublie, au passage que la gauche sociale-démocrate et laïque, après avoir un temps hésité, contribua elle aussi à cette entreprise européenne que l’auteur ne cesse, jusqu’à aujourd’hui, d’exécrer. Cette prétendue créature des Américains a fini par leur échapper en grande partie, même si cela ne chagrine pas outre mesure Washington, car l’UE peut être considérée comme négligeable dans les rapports de force internationaux.
Sans Etat fort, une France faible
Pour la France, elle déplore la démission des dirigeants qui ont consenti à laisser sans réagir la société phagocyter l’Etat – c’est pour cela qu’elle s’ingénia à saboter le projet post-soixante-huitard de « nouvelle société » de l’équipe formée à Matignon par Jacques Chaban-Delmas et Jacques Delors. Sans Etat fort, la France est faible, au contraire d’une Allemagne dont la nation s’est constituée hors des Etats pendant des siècles.
On cherchera en vain, dans ce court essai, une esquisse de programme pour que notre pays se redresse, et retrouve, sur la scène mondiale le rôle qu’il tint jadis. Marie-France Garaud, lasse des nains qui nous gouvernent scrute l’horizon pour apercevoir un géant. Hélas, l’horizon est vide.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !