Marie-Antoinette est l’objet d’une passionnante exposition à la Conciergerie. Le destin atroce de cette reine martyrisée par l’histoire de France est présenté à travers les nombreuses métamorphoses de son personnage et leurs représentations.
Sage ou garce ?
Le 14 octobre 1793, Marie-Antoinette fait face au président du Tribunal révolutionnaire, Martial Joseph Armand Herman, à l’accusateur public Antoine Fouquier-Tinville, et à une salle comble. Le procès est expéditif. Très tôt le matin du 16, le verdict tombe, pour haute trahison : la mort !
Elle monte à l’échafaud le même jour, à 12 h 15. Une charrette l’a menée, mains liées dans le dos, jusqu’à l’actuelle place de la Concorde. Elle a un air de dignité paisible, qui force le respect. Effleurant le pied de Charles-Henri Sanson, elle aurait murmuré : « Faites excuse, monsieur le bourreau ». A-t-elle prononcé ces mots ? Peu importe ! Sa mort fondait à la fois son destin et sa légende.
Marie-Antoinette fut regardée comme une martyre, voire comme une sainte par quelques-uns, comme une garce luxurieuse par d’autres.
Une star d’Ancien Régime
Le cinéma témoigne de ses métamorphoses successives. Dans La Marseillaise (1938), de Jean Renoir, Lise Delamare campe une femme froide, hostile au peuple ; de même Ute Lemper dans L’Autrichienne, de Pierre Granier-Deferre, en 1989. Bien différente est Michèle Morgan, dirigée par Jean Delannoy (Marie-Antoinette, 1955) : éprise d’Axel de Fersen, progressant vers son supplice, tout dans sa silhouette évoque fidèlement la reine. Sofia Coppola avait un autre projet en tête lorsqu’elle donna sa propre version (2006) : peu soucieuse de vérité historique, son Antoinette, jouée par Kirsten Dunst, restitue assez bien la course folle de la jeune souveraine flouée, qui voulait échapper à l’ennui.
Une fille patiente
Wolfgang Amadeus Mozart, reçu avec sa famille à la cour, aurait déclaré à l’archiduchesse Maria Antonia, fille de l’empereur François Ier de Lorraine et de Marie-Thérèse d’Autriche, qu’il voulait l’épouser : le jeune prodige ayant glissé sur le parquet, la petite princesse l’aurait aidé à se relever…
Bref, cela commence bien : l’aristocrate autrichienne ignore que sa vie terrestre s’achèvera dans un geyser de sang, sur une place parisienne, sa tête tranchée basculant dans un panier d’osier avant d’être présentée à la foule.
Depuis François Ier et Charles Quint, les maisons de France et d’Autriche s’affrontent. Mais le traité de Versailles (1er mai 1756) entraîne le « renversement des alliances ». Louis XV et Marie-Thérèse donnent à ce rapprochement l’éclat du mariage entre le dauphin, futur Louis XVI, et la délicieuse Marie-Antoinette.
C’est ainsi que, le 16 mai 1770, cette gamine de 14 ans épouse ce garçon de deux ans son aîné. Il est intelligent, mais timide, balourd. Le soir venu, il s’éloigne… On parle d’une malformation bénigne, un phimosis ; ou est-ce un manque d’audace ? Marie-Antoinette patientera pendant sept longues années avant de se réjouir…
La vie privée contre l’étiquette
« Élevée dans une cour où la simplicité s’alliait avec la majesté, […] il n’est pas étonnant que, devenue reine, elle ait voulu se soustraire à des contrariétés dont elle ne jugeait pas l’indispensable nécessité : cette erreur tenait à une vraie sensibilité [tooltips content= »Madame Campan, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre, 1822. »](1)[/tooltips]. » Son paradoxe repose sur ce cruel constat : Marie-Antoinette, par son « égoïsme », montrait la voie d’une autre forme de gouvernement, libérée de la tutelle, écrasante, de l’Étiquette versaillaise. Elle voulait imposer le registre de la vie privée dans l’énorme appareil, qui fait de la personne du roi de France un personnage sacré.
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À l’écart du palais, dans son domaine du Petit Trianon, elle n’admet que ses intimes. Elle néglige le fardeau de la représentation imposée par sa fonction. Ainsi se cristallise l’image d’un être de frivolité, insupportable à la communauté, alors qu’au même moment, en France, une crise morale et culturelle (par certains aspects comparable à celle que nous connaissons) affecte profondément la société entière.
Marie-Antoinette sous les yeux des Français
Sa figure se gâte rapidement. Ses contemporains useront à son endroit du vocabulaire de la haine et de la grossièreté, souvent puisé dans le registre sexuel. Elle est la putain du royaume. La variété de ses apparitions révèle les passions françaises, mauvaises, jamais éteintes.
Si l’on dresse son portrait chinois, il faut convoquer :
– La délicate jeune fille, promesse d’un règne aimable.
– La frivole : elle fait la fortune de mademoiselle Bertin, marchande de modes qui impose « un changement total […] dans la parure des dames […]. La reine, jusqu’à ce moment, n’avait développé qu’un goût fort simple pour sa toilette ; elle commença à en faire une occupation principale […] naturellement imitée par toutes les femmes […], quelques étourdies contractèrent des dettes ; il y eut de fâcheuses scènes de famille, plusieurs ménages refroidis ou brouillés ; et le bruit général fut que la reine ruinerait toutes les dames françaises [tooltips content= »Toutes les citations suivantes sont tirées du « Procès criminel de Marie-Antoinette veuve de Louis Capet ci-devant roi des Français », Paris, an II. »](2)[/tooltips]. »
– L’étrangère, victime d’une puissante austrophobie : « Un monstre naquit à Vienne en Autriche […]. Il sortit des flancs d’un autre monstre qui […] ne respiroit que le meurtre et le carnage. […] Ces deux monstres, que l’enfer vomit pour le malheur du monde s’appellent Marie-Thérèse […] et Marie-Antoinette d’Autriche.[tooltips content= »Ibid »](3)[/tooltips] »
– La femme Capet, puis la veuve Capet « fléau et sangsue des Français » comptable du sang versé : « Ah jamais ton sang impur ne nous rendra celui que tu as fait couler. »
– L’incestueuse : le tribunal s’efforce de démontrer qu’elle a couché avec son fils. Sa répartie lui amène la sympathie immédiate des femmes présentes : « Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature elle-même refuse de répondre à de telles accusations faites à une mère. J’en appelle à toutes les mères ! »
– La martyre : le parti royaliste, les catholiques, une partie du peuple la diront presque sainte, victime d’une populace affolée de sang et de vengeance.
– L’héroïne d’avant-garde, égarée dans un temps de troubles et de noirceur.
– Une princesse tragique, enfin, dépassée par les événements que son éducation lui interdisait de prévoir et plus encore de comprendre.
Elle voulait le bonheur, elle connut la terreur.